samedi 27 décembre 2008

Les chats noirs sont des génies

Second épisode, après Edgar Allan Poe, des avatars du genius loci dans les chats noirs de la littérature.
Je viens de terminer le Capitaine Fracasse de Gautier. Et je tombe donc sur l'épisode final durant lequel le héros, Sigognac (de son nom de scène le Capitaine Fracasse), enterre son chat noir, prénommé Béelzébuth, qui est mort d'une indigestion après le festin qui clôt les aventures de Sigognac. Celui-ci a tout pour être heureux: il est de retour dans son foyer, le château de ses ancêtres, avec son aimée, Isabelle, avec laquelle il vient de se marier après avoir vécu bien des aventures et traversé bien des épreuves. La mort de l'un de ses animaux domestiques préférés (il y a aussi son chien Miraut et son cheval Bayart, qui finissent le roman en parfaite santé) semble donc une ombre inexplicable au tableau complètement idyllique de cette scène finale de roman, d'autant plus étrange que le chat meurt d'une mort peu noble: d'avoir trop mangé.
Mais l'enterrement du chat, sous l'églantier du jardin qui a vu les premières preuves d'amour entre Isabelle et Sigognac, permet au héros de trouver un coffre rempli de trésors, vestige oublié de la richesse passée de l'un de ses ancêtres. Le chat se fait donc involontairement le médiateur de la découverte d'une richesse supplémentaire. Ne serait-ce donc que parce qu'il agit en quelque sorte magiquement, par l'intermédiaire de son propre sacrifice, pour accroître la richesse de son maître et rénover la richesse de la famille, ce chat mérite de revêtir la fonction de genius loci attaché à un lieu, le château, et à une lignée prestigieuse, les Sigognac. Mais Gautier enfonce le clou avec ce bel excipit, où Sigognac s'adresse à son épouse Isabelle:

« Décidément, dit le baron, Béelzébuth était le bon génie des Sigognac. En mourant, il me fait riche, et s'en va quand arrive l'ange. Il n'avait plus rien à faire, puisque vous m'apportez le bonheur. »

Photographie de Tim Ershot d'un mur parisien.

La fonction de génie tutélaire attaché à une famille et un lieu était en quelque sorte annoncée, comme dans la nouvelle de Poe, par son nom mythologico-religieux, Béelzébuth, divinité infernale... Surtout, on constate qu'a lieu une passation de pouvoir entre le génie domestique associé aux forces chtoniennes, le chat Béelzébuth, et « l'ange » Isabelle, associé au contraire à une symbolique du bien, de la lumière, de la vertu, etc. Non que ce chat soit particulièrement vicieux, mais il est associé à une période de la vie de Sigognac que celui-ci voudrait bien enterrer: celle où il se morfondait, triste et sans le sou, dans son château en ruines. L'arrivée d'Isabelle signifie donc l'arrivée d'une nouvelle période dans sa vie: celle d'une vie rénovée, placée sous le signe du bonheur et de l'abondance, dans un château entièrement restauré.

Cette nouvelle vie, sous forme de happy end, commence à la fin du roman de Gautier, et celui-ci ne s'y attarde donc pas outre mesure. Mais il est amusant de constater que l'écrivain, pour symboliser ce passage d'une condition à une autre, a élaboré une scène, à la signification quasi religieuse, d'enterrement d'un génie tutélaire, qui symboliquement laisse place à une nouvelle âme du château ancestral en charge de le rénover: Isabelle. Ceci constituant une nouvelle preuve de la prégnance des motifs mythiques dans la littérature, notamment durant la période romantique, sous des formes qui pourraient passer, au premier abord, pour anecdotiques.

vendredi 26 décembre 2008

Banquet de Noël

Pour se reposer des agapes du moment, je vous propose de savourer cette splendide et rabelaisienne description de cuisine d'hostellerie, trouvée dans le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier:

« La cuisine où les comédiens entrèrent en attendant qu'on préparât leurs chambres était grande à y pouvoir accommoder à l'aise le dîner de Gargantua et de Pantagruel. Au fond de l'immense cheminée qui s'ouvrait rouge et flamboyante, comme la gueule représentant l'enfer dans la grande diablerie de Douai, brûlaient des arbres tout entiers. A plusieurs broches superposées, que faisait mouvoir un chien se démenant comme un possédé à l'intérieur d'une roue, se doraient des chapelets d'oies, de poulardes et de coqs vierges, brunissaient des quartiers de bœufs, roussissaient des longes de veau, sans compter les perdrix, bécassines, cailles et autres menues chasses. Un marmiton à demi cuit lui-même et ruisselant de sueur, bien qu'il ne fût vêtu que d'une simple veste de toile, arrosait ces victuailles avec une cuillère à pot qu'il replongeait dans la lèchefrite dès qu'il en avait versé le contenu: vrai travail de Danaïde, car le jus recueilli s'écoulait toujours.
Autour d'une longue table de chêne, couverte de mets en préparation, s'agitait tout un monde de cuisiniers, prosecteurs, gâte-sauce, des mains desquels les aides recevaient les pièces lardées, troussées, épicées, pour les porter aux fourneaux qui, tout incandescents de braise et pétillants d'étincelles, ressemblaient plutôt aux forges de Vulcain qu'à des offices culinaires, les garçons ayant l'air de cyclopes à travers cette brume enflammée. Le long des murs brillait une formidable batterie de cuisine de cuivre rouge ou de laiton: chaudrons, casseroles de toutes grandeurs, poissonnières à faire cuire le léviathan au court-bouillon, moules de pâtisseries façonnés en donjons, dômes, petits temples, casques et turbans de forme sarrasine, enfin toutes les armes offensives et défensives que peut renfermer l'arsenal du dieu Gaster. [...] »


Il est à noter que Gustave Doré, célèbre illustrateur romantique de Rabelais (ci-dessus), a également illustré le Capitaine Fracasse de Gautier. Croisement de textes et d'images qui reste, je crois, à étudier, et qui est caractéristique de la réception romantique de l'œuvre de Rabelais. Bon appétit!

vendredi 5 décembre 2008

Un Noël sous le signe des Grimm

Même si le Visage Vert m'a devancé dans son commentaire de mon dernier billet, je me permets de réitérer l'information de manière plus officielle: durant ces étrennes, Grimm est à l'honneur au Théâtre de l'Odéon, ainsi qu'à France Culture qui retransmettra les spectacles. Du lundi au vendredi de 20h00 à 20h30, le samedi de 20h00 à 21h00, et le dimanche de 17h30 à 18h00, on pourra ainsi écouter sur France Culture des lectures, adaptations théâtrales et créations radiophoniques à partir de la nouvelle traduction de Natacha Fertin, qui paraîtra chez Corti en mai 2009. Un programme complémentaire autour de l'œuvre des Grimm, comprenant notamment un reportage sur la Blanche-Neige de Robert Walser, est également décrit à la fin du programme retranscrit ci-dessous. Bonne écoute, et pour les Parisiens bon spectacle de Noël!

Du lundi 22 au dimanche 28 décembre RÉVEILLON CHEZ LES GRIMM
« LES CONTES POUR LES ENFANTS ET LA MAISON » des frères Grimm enregistrés en public à l'Odéon-Théâtre de l'Europe

Publié pour la première fois en 1812-1815, le recueil de contes des frères Grimm devait connaître une grande fortune littéraire, au point d'être, près de deux cents ans plus tard, l'ouvrage en langue allemande le plus traduit et le plus célèbre dans le monde entier, après la Bible de Luther. La postérité a retenu un nom collectif, « les frères Grimm », mettant au second plan leurs prénoms respectifs, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859), les deux aînés d'une fratrie composée de cinq frères et d'une sœur. Si on les désigne ainsi, c'est en raison de la formidable communauté de vie et de création qu'ils ont formée durant près de soixante ans. Le but qu'ils poursuivaient était avant tout d'ordre scientifique : au fil des sept éditions successives qu'a connu de leur vivant le recueil de contes, ils ont continué à collecter des récits d'origines géographiques diverses, issus de sources écrites et orales, les accompagnant de préfaces et de commentaires. A la différence de leurs ouvrages consacrés au patrimoine littéraire et linguistique de l'Allemagne, les Grimm ont choisi de mettre en lumière le caractère universel des contes, ce qui témoigne d'une connaissance des langues et des littératures étrangères qui force l'admiration, ainsi que de leur ouverture au monde.
Les Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm sont à paraître dans une toute nouvelle traduction de Natacha Rimasson-Fertin aux éditions José Corti dans la collection Merveilleux en mai 2009.

lundi 22 décembre Le conte du genévrier - Jorinde et Joringel
Lecture par Ariane Ascaride
Enregistrement en public à l'Odéon-Théâtre de l'Europe dimanche 14 décembre à 15h
Ces contes ont en commun leur caractère sombre et inquiétant, qui s'incarne tantôt dans le personnage de la marâtre, tantôt dans celui de la sorcière qui règne sur la forêt. Mais comme le veut la loi du genre, le bien et l'amour finissent par triompher...

mardi 23 décembre Monsieur Korbès - Les gens avisés - L'oie d'or - La clé d'or
Lecture par Jacques Bonnaffé
Enregistrement en public à l'Odéon-Théâtre de l'Europe samedi 13 décembre à 17h
Mise en scène Olivier Py, réalisation Christine Bernard-Sugy
Sagesse et folie ne sont pas toujours là où on le croit : tel est le message de Monsieur Korbès, Les gens avisés et L'oie d'or, trois contes satiriques où le triomphe appartient à celui que l'on tient pour idiot ou insignifiant. Dans ces récits, la sympathie du lecteur-auditeur va aux innocents, à qui la chance sourit, et le rire l'emporte lorsqu'animaux et objets se liguent contre l'homme.

mercredi 24 décembre Les souliers usés à la danse - Rumpelstilzchen - Les trois fileuses

jeudi 25 décembre La salade qui transforme en âne - Gretel la maligne

vendredi 26 décembre Le conte du pêcheur et de sa femme - Le renard et les oies
réalisation Jean-Matthieu Zahnd

samedi 27 décembre
20h - 21h DROLES DE DRAMES REVEILLON CHEZ LES GRIMM
La vraie fiancée d'Olivier Py d'après les frères Grimm
mise en scène Olivier Py
version radiophonique réalisée par Christine Bernard-Sugy
Enregistrement en public à l'Odéon-Théâtre de l'Europe samedi 13 décembre à 15h
Pour Olivier Py, les contes des frères Grimm n'ont été que trop longtemps « considérés comme une vitrine idyllique pour petites filles en quête de prince ». La plupart de ces contes n'ont rien de puéril, au contraire : recueillis et rédigés par des contemporains de la grande génération du romantisme allemand, leur merveilleux est d'autant plus frappant qu'il se détache sur un fond de gravité. L'oeuvre des frères Grimm offre « un moyen de parler aux enfants de ce dont on ne leur parle pas ». Deux des contes des frères Grimm ont d'ores et déjà été adaptés par le metteur en scène : La Jeune fille, le diable et le moulin et L'eau de la vie. À l'occasion de leur présentation aux Ateliers Berthier, il a décidé de leur adjoindre l'adaptation d'une troisième histoire, La vraie fiancée, surprenant carrefour où Cendrillon croise Peau d'Âne : « Il était une fois une fille jeune et belle, mais sa mère était morte quand elle était enfant, et sa marâtre faisait tout pour la chagriner... »
Avec Céline Chéenne, Samuel Churin, Sylvie Magand, Thomas Matalou, Antoine Philippot, Benjamin Ritter.
La vraie fiancée d'Olivier Py est jouée aux Ateliers Berthier du 23 décembre 2008 au 18 janvier 2009 dans une mise en scène d'Olivier Py. La pièce est à paraître chez Actes-Sud Papiers en décembre 2008.

dimanche 28 décembre
17h30 - 18h ENFANTINES REVEILLON CHEZ LES GRIMM
La gardeuse d'oies à la fontaine
Réalisation Jean-Matthieu Zahnd

Et aussi

lundi 22 décembre
12h-13h30 TOUT ARRIVE par Arnaud Laporte
Avec Olivier Py

samedi 27 décembre
18h30-19h JUSQU'A LA LUNE ET RETOUR par Aline Pailler
Grimm et les enfants
22h10 - 23h PERSPECTIVES CONTEMPORAINES coordination Blandine Masson
Blanche-Neige de Robert Walser
Réalisation Jean Couturier
Blanche-Neige est l'un des écrits décisifs de Robert Walser comme le souligne Walter Benjamin, dès 1929 : «... Blanche-Neige, l'une des œuvres les plus profondément significatives de la poésie récente. Elle suffit à elle seule à faire comprendre pourquoi cet écrivain, apparemment le plus fantaisiste de tous, fut un auteur de prédilection pour l'inflexible Kafka. » De la Blanche-Neige des Grimm, qui sert de prologue implicite à cette œuvre poétique-dramatique où tout se joue une fois « qu'ils furent heureux » entre une Belle-mère équivoque et bien vivante, un chasseur viril et un prince fuyant, ne semblent rester que ces mots de Blanche-Neige : « C'est un mensonge noir et fou, dur à entendre, bon à faire peur aux enfants. Va-t'en mensonge ! »
Avec Pierre Notte, Alice-Yann Schmidt, Michel Robin, Francine Bergé, Olivier Martial.
Le texte est édité chez José Corti.

[Illustrations: Rackham pour Grimm, 1917 et 1909]

mardi 2 décembre 2008

Prix Charles Perrault

Je suis content, je suis arrivé en seconde place du prix du meilleur article inédit organisé par l'institut Charles Perrault! Mon article, intitulé «Arthur Rackham dans les jardins de Kensington», devrait être publié dans la Revue des livres pour enfants.

lundi 1 décembre 2008

Le livre des livres pour enfants

Sympathique entretien avec François Rivière sur le site de l'Express, où ce prolifique auteur jeunesse rappelle quelques grandes dates de l'histoire de la littérature jeunesse. En même temps que la BNF fait une exposition sur le sujet (sans grosse prise de risque, visiblement, dans la perspective adoptée, je me demande même si j'y irais), François Rivière publie un livre intitulé Le livre des livres pour enfants, édité aux éditions du Chêne.


Je ne sais pas ce que le livre vaut, il semble qu'il soit essentiellement constitué d'images, comme souvent aux éditions du Chêne (qui sont par ailleurs dotés d'un site internet mal foutu, dans lequel il est quasi impossible de naviguer). Mais après tout, même le Matricule des anges de ce mois-ci en parle, il ne doit donc pas être dénué d'intérêt.
Ce que j'apprécie en tout cas chez François Rivière, c'est que, à lire son entretien, il a l'air de savoir de quoi il parle. Il n'est pas historien de la littérature, mais il arrive quand même à parler de Mame à propos de la littérature pour enfants du XIXe siècle, ce qui montre bien qu'il ne se contente pas de prendre en compte les grands chefs-d'œuvre du genre, mais connait aussi le tout-venant de l'époque, ce gros de la production pour jeunesse du XIXe siècle qui n'est pas resté dans les annales, et n'est plus guère réimprimé de nos jours. Esprit curieux, on lui doit notamment une biographie de James Matthew Barrie, l'auteur de Peter Pan.
J'apprécie également son point de vue sur l'édition jeunesse actuelle, et sur ses «nouveautés hypersophistiquées» et en cela-mêmes «atterrantes». Certains albums dits «jeunesse» sont en réalité des joujous pour graphistes, et me semblent bien éloignés de ce qu'un enfant est susceptible d'attendre de la littérature pour enfants. Autrement dit, à force de jouer avec les formes et les couleurs pour soi-disant développer la sensibilité des enfants, j'ai bien peur que parfois l'on produise des objets pour le moins hermétiques. Fascinants, certes, mais assez incompréhensibles, et souvent très fragiles, comme ce livre pop-up de David Pelham, certainement poétique, mais qui ravit davantage, je pense, les parents que les enfants.

mercredi 26 novembre 2008

Dulac à Toulouse

Illustration du Quatrain XXII du Rubaiyat d'Omar Khayyam.

Profitant d'un passage à Toulouse pour une journée d'étude sur le livre illustré, organisée par le département de littérature comparée de l'université du Mirail, je me suis attardé à la médiathèque José Cabanis pour aller voir une exposition sur Edmund Dulac, très célèbre illustrateur franco-anglais de la première moitié du XXe siècle. Compte-rendu de cette exposition, en partie justifiée par la richesse des collections de la médiathèque, et par le fait qu'Edmond Dulac (qui se fera plus tard naturaliser anglais, et signera Edmund) est né à Toulouse.

Illustration pour «La Princesse au petit pois» des Contes d'Andersen

D'abord, un cartel très limité, pour ne pas dire quasi-inexistant, rend difficile la compréhension du contexte d'émergence de ces images. Et dieu sait, pourtant, que le contexte est important dans le cadre du livre illustré: on n'illustre pas tel type d'ouvrages de la même manière que tel autre, etc. Mais là, visiblement, on est prié de se reporter au catalogue. Bon. Belle muséographie cependant, qui met vraiment très bien en valeur les ouvrages, comme les planches indépendantes. Mais assez confuse néanmoins, ceci étant dû encore une fois à la faible présence d'explications directes des œuvres exposées. Certaines œuvres ne nous sont même pas présentées: certaines vitrines contiennent jusqu'à 5 ouvrages, dont un seul est décrit par le cartel. Il est dès lors impossible de faire une différence entre les exemplaires, ou même d'imaginer une chronologie de publication. Ce qui entraîne de manière générale un flou historique complet, conséquence d'une muséographie qui insiste plus sur la mise en scène des ouvrages que sur l'explication de leur contexte de création. A de rares exceptions près, bien évidemment: quand les images ou les objets exposés posent vraiment question (les timbres postaux, les instruments de musique, les revues litéraires que Dulac ornait de lettrines à l'époque où il apprenait les Beaux-Arts à Toulouse), on a droit à une petite explication. Mais tout cela est vraiment très limité, et on doit donc se reporter au livre-catalogue qui a été édité pour l'occasion pour en apprendre plus. Soit, allons donc le voir de plus près.

En le feuilletant, je me rends d'abord compte qu'il ne s'agit pas vraiment d'un catalogue d'exposition, puisque les œuvres exposées ne sont pas toutes répertoriées, et que par ailleurs on trouve des reproductions d'œuvres non exposées. Il s'agit donc plutôt d'un essai plus ou moins indépendant du conservateur en charge de l'exposition, Pierre Nouilhan. Je m'attendais également à voir le nom de Sophie Galinier, la lectrice de ce blog qui a attiré mon attention sur cette exposition à l'organisation de laquelle elle a participé, mais visiblement c'est Pierre Nouilhan qui est responsable du livre, et Pierre Nouilhan et Sophie Galinier qui sont responsables de l'exposition. Soit.
Le livre est par ailleurs assez peu épais (120 pages avec beaucoup d'images), et assez cher (30 euros) pour la quantité de texte qu'on peut y trouver. D'autant plus que ce texte est parfois (souvent?) émaillé d'erreurs et d'approximations.
Un exemple d'erreur p. 19: «William Morris, par exemple, fabriquait ses ouvrages en petit nombre, créant lui-même ses caractères et ses encres»; non, Morris ne fabriquait pas lui-même ses encres, il passait beaucoup de temps à les choisir et les faisait venir spécialement d'Allemagne, certes, mais il ne les créait pas. Il faisait déjà suffisamment de choses au sein de la Kelmscott Press (la typo, la mise en page, les ornements, le texte), n'en rajoutons pas trop.
Un exemple d'approximation p. 39: «[Arthur Rackham] était un grand dessinateur, influencé par l'Art nouveau»; peut-être va-t-on trouver que je chipote, mais non, Arthur Rackham n'est pas influencé par l'Art nouveau. Il peut à la rigueur être considéré comme un artiste Art nouveau, étant tout à fait contemporain de l'émergence de ce mouvement d'arts décoratifs, mais en aucun cas il n'est «influencé» par lui. Ses références sont Beardsley, Housman, Crane, etc., mais certainement pas Guimard, Horta, ou même Mucha. Et puis parler d'Art nouveau en Grande-Bretagne est à peu près aussi problématique que de parler de symbolisme anglais: les îles britanniques ont leurs propres écoles et mouvements d'arts décoratifs au tournant du siècle (les Arts & Crafts, l'école de Glasgow...), et n'ont donc pas véritablement besoin de s'inspirer des volutes végétales des décorateurs Art nouveau. Ceci engagerait un vaste débat que je ne veux pas lancer, mais dire que Rackham est influencé par l'Art nouveau est sinon faux, du moins très rapide et approximatif.
Seulement deux exemples, mais qui montrent bien que cet essai de Pierre Nouilhan est de seconde main, et qu'il aborde visiblement le sujet de manière pour ainsi dire nouvelle. Non que ce qu'il dise est globalement faux, mais c'est juste une synthèse qui d'une part n'apporte visiblement pas grand-chose de neuf (ce qui en soi n'est pas grave, puisque son travail permet après tout de synthétiser la bibliographie anglo-saxonne pour un public francophone), et d'autre part semble par endroits fort imprécise. Ce n'est pas grave, mais c'est dommage. Parce que c'est le premier livre de conséquence à être publié en langue française sur Dulac, et qu'il est dès lors dommage qu'il soit par moments... inconséquent.


Le rêve de l'entomologiste.

Néanmoins, je ne voudrais pas, par ces quelques critiques sans doute un peu pointilleuses, éloigner le lecteur de cette exposition. Bien que le cadre scientifique de cette exposition soit à mon sens insuffisant (mais après tout, nous ne sommes pas non plus dans un musée national...), il reste que l'on est ébloui par les images de Dulac, très rarement visibles en aussi grand nombre sur le territoire français, à part, je suppose, dans les biblliothèques de quelques collectionneurs privés... Après tout, le but d'une exposition n'est pas seulement d'apprendre, c'est aussi (surtout?) de passer un bon moment, et de donner accès aux œuvres. Cette exposition est l'occasion de voir de très belles choses, pour certaines assez étonnantes, comme les photos des costumes de Dulac pour la création de la pièce At the Hawk's Well de William Butler Yeats, fin 1815. Ou encore les séries d'illustrations de l'artiste commandées par l'éditeur Henri Piazza pour orner les numéros de Noël de l'Illustration, de 1910 à 1913, sur des thématiques aussi variées que les poèmes de Verlaine, les princesses orientales, la poésie vénitienne de Musset, ou les comptines françaises.

Allez donc vous réjouir les yeux, l'exposition dure jusqu'au 25 janvier. Mais si vous lisez l'anglais, vous pouvez ne pas dépenser les 30 euros du livre... qui est parfois en plus mal écrit, et là c'est le correcteur qui parle. «Le travail, bien que maigre, ne fut pas totalement interrompu» (p. 101): je ne savais pas qu'un travail pouvait être «maigre», ou gras, aussi, peut-être? Enfin bon, cessons de nous plaindre, c'est déjà tellement bien qu'on ait droit à une exposition, en France, sur un illustrateur anglais. L'honneur est sauf, néanmoins: il est d'origine française!

lundi 24 novembre 2008

Parastou Forouhar


Quand j'ai vu les oeuvres de Parastou Forouhar, j'ai pensé immédiatement à Marjane Satrapi. Et pour cause, les deux artistes sont iraniennes. Forouhar est née 7 ans avant Satrapi, en 1962. Bien que très différents, leurs styles respectifs semblent esquisser en noir et blanc une mise en image critique de l'Iran actuel.


mardi 18 novembre 2008

Ossian et les peintres pré-romantiques

C'est la saison des soutenances, décidément. Après celle de Natacha le 22 et celle de Charlotte le 6 décembre, c'est le tour de Saskia Hanselaar, une amie de l'époque où je faisais mon Master 2 à Nanterre sous la direction de Ségolène Le Men. Saskia soutiendra sa thèse d'histoire de l'art à l'université de Paris-X Nanterre, MAE, rez-de-jardin, salle 2, le lundi 24 novembre à 14h00. Sa thèse est tinitulée:

Ossian ou l'esthétique des ombres: une génération de peintres français à la veille du Romantisme (1793-1833)

Avec un titre comme ça, personnellement je craque, et j'ai vraiment envie d'en savoir plus. Malheureusement je ne pourrais pas être là, faisant cours au même moment... Bon, à défaut de pouvoir soutenir Saskia le 24, j'aurai peut-être un jour, je l'espère, l'occasion de lire son travail.

Anne-Louis Girodet-Trioson, Les ombres des héros morts pour la Patrie conduites par la Victoire viennent habiter l'Elysée aérien où les ombres d'Ossian et de ses valeureux guerriers s'empressent de leur donner dans ce séjour d'immortalité et de gloire la fête de la Paix et de l'Amitié, huile sur toile, 192 x 182 cm, 1801, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.

Pour la petite histoire, Ossian est un barde écossais mythique redécouvert par James Mcpherson, qui publia ses poèmes entre 1760 et 1763. Cette publication fit beaucoup de bruit à l'époque, notamment parce que les poèmes retranscrits par Macpherson virent leur authenticité contestée, mais surtout parce que ses thématiques et l'imaginaire qui fut attaché eut un retentissement considérable, à la fois dans les milieux littéraires et dans les milieux artistiques. Ossian était alors considéré comme le «Homère celtique», à une époque où l'Ecosse et le Pays de Galles commençaient à vouloir mettre en valeur leur culture nationale (le XVIIIe siècle est, en Ecosse, notamment l'époque de l'invention des kilts et des tartans). Les pré-romantiques et romantiques se sont emparé de l'œuvre d'Ossian notamment parce qu'elle opérait un déplacement de référent culturel par rapport à la culture classique et néoclassique: ce n'est plus la Grèce ou la Rome antiques qui sont posées en modèle, mais le monde «barbare» et nordique des Celtes. L'importance des écrits d'Ossian, complètement oublié de nos jours, était énorme au tournant des XVIIIe et XIXe siècles: il était, entre autres, l'un des poètes préférés de Napoléon. On peut en lire des extraits dans le n°23 de la collection romantique, chez Corti.

Le travail que propose Saskia est tout bonnement d'étudier la réception du mythe et de l'oeuvre ossianique dans la peinture pré-romantique française. Travail passionnant s'il en est, car la période est celle de nombreux déchirements idéologiques, esthétiques et politiques, où Ossian, en tant que héros celte, a pu servir des causes aussi différentes que le nationalisme écossais ou le bonapartisme... Bon courage à elle en tout cas pour le rite de passage.

dimanche 16 novembre 2008

Ouaknin, Kiefer et la kabbale

En écoutant Michel Cazenave sur France Culture il y a quelque temps (c'était l'émission du 8 novembre, je ne pense pas qu'elle soit encore podcastable, malheureusement), Charlotte et moi sommes tombés sur une entrevue avec un personnage hors du commun, Marc-Alain Ouaknin. Il a même sa page wikipedia, c'est dire. Rabbin, docteur en philosophie et professeur de littérature comparée, il parlait alors du problème de l'interprétation des textes bibliques. Ce qui m'a frappé, c'est d'abord son propos que j'ai trouvé absolument passionnant, ensuite le fait que je l'ai retrouvé dans l'émission de Victor Malka le lendemain, le 9 novembre, à croire qu'il avait campé à Radio-France pendant la nuit (mais certaines émissions doivent être, je crois, pré-enregistrées, de toute façon, non? J'avoue mon ignorance dans ce domaine), et enfin le fait qu'il sorte trois bouquins quasiment en même temps (Zeugma, mémoire biblique et déluges contemporains, aux éditions du Seuil, Mystères de la Bible aux éditions Assouline et Invitation au Talmud aux éditions Flammarion, une réédition).
Du coup on a fait quelques petites recherches sur le net, et on a vu qu'il avait fait une conférence sur Anselm Kiefer et la kabbale à l'occasion de Monumenta 2007. Très intéressant, même si le début tarde un peu à se mettre en place. Mais bon, c'est une conférence, pas un cours... Toujours sur le site de Monumenta, il y a également tout un entretien avec ce rabbin, où il explique notamment la conception judaïque du Livre, qui n'est pas seulement un objet de consommation, un media qu'on peut jeter après usage, mais un objet rituel, envers lequel le lecteur s'engage physiquement, de tout son être, et pas seulement de manière intellectuelle. Passionnant. Dans le même registre, une table ronde d'universitaires sur la kabbale, l'alchimie et l'art de Kiefer, dont le propos reste assez grand public, mais qui a l'immense mérite de tordre le coup à certains préjugés (nombreux en matière d'ésotérisme), et par ailleurs d'être très clair. Ce qui est également assez rare dans le domaine de l'ésotérisme. Très bonne introduction à l'histoire de la kabbale et à celle de l'alchimie si l'on n'y connaît pas grand chose (comme moi). En tout cas c'est très agréable et intéressant à écouter quand on doit donner le biberon à un nourrisson à 1h30 du matin.

Anselm Kiefer, Zim Zum, 1990, National gallery of Art, Washington.


Je regrette vraiment d'avoir manqué le Monumenta de 2007. D'autant plus que celui de cette année, avec Richard Serra, était pour le coup assez décevant. En regard de la richesse de l'œuvre de Kiefer, la Promenade de Serra fait pâle figure.

vendredi 14 novembre 2008

L'art invisible




Non, je ne veux pas parler du livre de Scott McCloud sur la bande dessinée. Simplement signaler la sortie, sinon aujourd'hui 14 novembre (date annoncée de publication), du moins très prochainement, d'un livre sur la typographie du livre français. Réalisé par les étudiants du pôle Métiers du Livre de l'IUT de Bordeaux sous la direction de leurs professeurs d'édition et d'histoire de la typographie, Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier, cet ouvrage regroupe à la fois des études historiques et des rencontres professionnelles» avec des éditeurs, graphistes, typographes... Le livre, paru aux Presses Universitaires de Bordeaux, a l'air d'être intéressant non seulement parce qu'il nous instruit de certains éléments de l'histoire des caractères, mais également parce qu'il plaide pour un renouveau de l'art de création des fontes et de composition des caractères.


Moins complet que le manuel de James Felici, plus centré sur la France et donc moins général que le livre d'Ellen Lupton sur la même question, ce livre a donc par ailleurs la particularité d'être sinon polémique, du moins programmatique. Dans l'article de Livres Hebdo que j'ai lu sur le sujet, des éditeurs comme Allia, Fata Morgana ou Tristram sont cités en exemples de maisons pour qui la présentation physique du texte a de l'importance. Plus une typo est visible, moins elle est lisible. Et inversement. C'est pourquoi on peut parler d'art invisible, tant les efforts des typographes et des graphistes qui s'acharnent à produire des fontes de qualité passent généralement inaperçus, dans notre univers visuel où les apostrophes et les guillemets droits tendent à s'imposer même dans l'édition papier.

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Oui, j’aurais pu donner l’exemple en utilisant des apostrophes orthodoxes dans l’ensemble de ce billet, mais pour le coup c’est vraiment trop fastidieux pour un support comme le blog.

dimanche 9 novembre 2008

Féerie symboliste

C'est la saison des soutenances de thèse... La date définitive de celle de Charlotte est arrêtée. Ce sera le 6 décembre, je crois aux alentours de 14h00 en salle 410 du site Censier de l'université de Paris-III.
Je rappelle le sujet : il s'agit d'une thèse en littérature générale et comparée, dont le titre complet est La fée dans le symbolisme européen, domaines francophone et anglophone, identité nationale, mémoire littéraire et questionnements poétiques.
Le jury sera constitué de Jean Bessière (le directeur), Stéphane Michaud, Joanny Moulin, Micéala Symington, et Laurence Brogniez.

Dante Gabriel Rossetti, illustration pour The Maids of Elfin-Mere, poème de William Allingham, publié en 1855 (gravure sur bois des frères Dalziel).

La thèse de Charlotte Michaux tente de rassembler et de confronter les poèmes de plus de 50 auteurs français, belges, anglais et irlandais, entre 1880 et 1920, dans une approche qui ne se contente pas d'une simple analyse thématique, mais qui met en perspective le motif féerique à la fois dans l'histoire littéraire et dans la poétique symboliste de la suggestion. Tout un programme, donc, dont le motif central est davantage celui de la grande fée hiératique héritée de l'imagerie préraphaélite que celui de la petite créature espiègle aux ailes de libellule. Avis aux amateurs, ainsi qu'aux amis (ce sont parfois les mêmes personnes) : venez soutenir Charlotte dans cette épreuve.

lundi 3 novembre 2008

Folklore en ligne

Une nouvelle liste de diffusion sur les sciences du folklore est née sur H-net. On peut s'inscrire ici. La liste est internationale, visiblement de langue anglaise, et a pour but de faciliter la communication entre les chercheurs. Dieu sait que la recherche française est en retard et en manque de visibilité dans ce domaine. J'espère que cette liste sera utile à lui donner, peut-être, quelques impulsions.

samedi 1 novembre 2008

Plagiat sur droits d'auteurs

Je ne fais que rapporter une information déjà colportée par Pierre Assouline, mais le fait divers est trop amusant pour ne pas être partagé : Bernard Edelman, éminent spécialiste du droit d'auteur, auteur du "Que sais-je?" sur la propriété littéraire et artistique, s'est lui-même fait récemment accuser... de plagiat dans l'un de ses livres, où il aurait oublié de mettre des guillemets à une longue citation d'une thèse de Laurent Pfister sur l’histoire du droit d’auteur. L'accusatrice est une enseignante-chercheuse en lettres de l'université de Tours, Hélène Maurel-Indart, elle-même spécialiste de ces questions, qui avait formulé ses accusations dans un livre publié aux éditions de la Différence, Plagiats, les coulisses de l'écriture. Bernard Edelman l'avait attaquée en diffamation, et le tribunal de grande instance de Versailles vient de débouter sa plainte, donnant ainsi raison à Hélène Maurel-Indart.
Les emprunts non référencés sont une pratique malheureusement récurrente dans les milieux universitaires, mais l'affaire est d'autant plus étonnante qu'il s'agit là d'un plagiat d'une thèse sur le droit d'auteur par un spécialiste de la propriété intellectuelle... Plus de détails sur le site de l'@mateur d'idées. Il est vrai qu'on ne demande pas forcément à un philosophe d'être sage, ni à un historien de l'art d'avoir bon goût... mais de là à enfreindre les règles qu'on enseigne, il y a des limites !

jeudi 30 octobre 2008

Dans la chambre des cartes

Le nouveau numéro de la revue en ligne Textimage, consacré aux Cartes et Plans, vient d'être publié. Où Olivier Leplatre nous explique que les utopies de la Renaissance sont cartographiables, où Ana-Maria Gîrleanu-Guichard nous introduit à la cartographie mystique du poète Christian Gabriel/le Guez Ricord, où Maïa Peyré fait le point sur l'usage des cartes et plans dans la littérature fantasy, et dans le cycle de La Roue du temps de Robert Jordan en particulier.

Carta Marina d'Olaus Magnus (1539)

Et où nous recommandons, en lecture complémentaire, la lecture du livre d'Elena Balsamo sur la Carta Marina d'Olaus Magnus, qui est une carte légendaire de la Scandinavie datant de la Renaissance. Chez José Corti. Carte dont on peut voir des détails agrandis, absolument superbes, sur le site de l'université du Minnesota.

jeudi 23 octobre 2008

Visages du livre

C'est le nom d'une exposition virtuelle proposée par la bibliothèque Carnegie à Reims, qui a suivi une exposition réelle au sein de cette belle et riche institution, du 11 mars au 30 avril derniers. L'exposition a pour thème la figure de frontispice et la page de titre, depuis leur invention à la Renaissance jusqu'à nos jours. Elle était assortie d'un colloque sur trois jours en mars dernier, auquel j'ai eu l'honneur de participer. C'était vraiment très intéressant : contrairement à d'autres colloques auxquels j'ai pu assister, dans lesquels tout le monde parle dans son coin, il y avait un vrai dialogue. Les actes devraient normalement à l'avenir, je l'espère, être publiés.

Page de titre de La Fabrique du corps humain d'André Vésale, 1542 (image prise ici)

L'exposition virtuelle est je trouve très bien conçue, et donne bien les jalons de l'histoire de cette figure imposée des arts du livre depuis la Renaissance, qui consiste à fournir un premier aperçu du contenu d'un ouvrage en une seule page à la position symbolique. De la page de titre architecturée à la couverture illustrée, en passant par la gravure indépendante en face de la page de titre, l'image a en tout cas son rôle à jouer dans la mise en scène du texte.

mercredi 15 octobre 2008

Cordes pincées au diapason du temps

Henrik Strinberg (b. 1954)

Mes divagations sur la toile m'ont fait tomber sur deux pièces tout à fait récentes pour guitare,
qui m'ont mis une idée troublante en tête : le "metal" s'invite désormais dans la pensée guitaristique moderne.
La pièce composée par Jeff Stanek fait intervenir une guitare électrique et un violoncelle. La musique est faible mais le cadre est posé, et l'usage intempestif du triton noyé dans une distorsion convulsive est sans appel (Derek Johnson n'est d'ailleurs pas mauvais dans cet emploi).
Love & Agression
L'autre pièce, à l'inverse, ne fait pas de référence explicite au metal, et pourtant je ne doute pas que si Fredrik Thordendal découvrait l'oeuvre de son génial compatriote Henrik Strinberg, il serait fort ému, car on croirait du Special Defects transfiguré en duo classique... Jubilatoire !
Unnggg

dimanche 12 octobre 2008

The Way of All Flesh

Bon, j'étais un peu dubitatif quand j'ai entendu tous les effets sur le chant et les bouts de sons digitaux par-ci par-là, mais non. A deuxième et troisième écoutes, le dernier album de Gojira confirme la réputation du groupe. Pour parler jeune, ça déchire sa race. Juste le troisième morceau, A Sight to Behold, que je trouve mal foutu et inutile, le reste est plein d'idées rythmiques et sonores phénoménales et vachement bien produites. The Art of Dying est notamment parmi mes titres préférés. Et puis le concept qui tourne autour des différentes conceptions de la mort et de la vie après la mort est assez bien mené. Ne pas s'attendre néanmoins au son brut et simple des deux premiers albums, le groupe a évolué et aime désormais les arrangements.

samedi 11 octobre 2008

Jamais deux sans trois

Le samedi 22 novembre à 9 heures, dans la salle des Colloques de l'université Grenoble 3-Stendhal, aura lieu la soutenance de la troisième thèse française sur les contes de Grimm. La première étant celle d'Ernest Tonnelat, en 1912, et la deuxième étant... la mienne, l'année dernière, quoique je n'aie étudié les contes que de seconde main, et que mon objet principal ait été les illustrations.

La thèse de Natacha Rimasson-Fertin a pour objet une étude comparée, à la fois littéraire et anthropologique (histoire des croyances populaires), des contes de Grimm et d'Afanassiev. C'est un doctorat d'allemand, qui a pour titre:

L'autre monde et ses figures dans les Contes de l'enfance et du foyer des frères Grimm et les Contes populaires russes d'A. N. Afanassiev.

Caspar David Friedrich, Brouillard, 1807, huile sur toile, 34,5x52cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum

Je précise simplement que Natacha est la traductrice de la prochaine édition critique des contes de Grimm, à paraître l'année prochaine chez Corti. Bon courage à elle pour la dernière ligne droite.

jeudi 9 octobre 2008

Jackson, Del Toro, Rackham, Tenniel au pays des merveilles

Très amusant compte-rendu d'interview de Guillermo Del Toro, le réalisateur des deux Hellboy et du Labyrinthe de Pan, où l'auteur du billet développe les liens entre ce dernier et Peter Jackson, réalisateur de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Où l'on apprend notamment que Guillermo Del Toro va tourner prochainement Bilbo le Hobbit en Nouvelle-Zélande, que les deux réalisateurs collectionnent les jouets, et que Del Toro est particulièrement amateur... des livres illustrés par Arthur Rackham et Edmond Dulac. Qui ne sont que très rarement, n'en déplaise à Aurélien Ferenczi, l'auteur du billet, des "romans victoriens", mais plutôt, en général, des classiques de la littérature mondiale, et en particulier de la littérature merveilleuse et légendaire.

Quand on voit certaines images de Del Toro, surtout dans Le Labyrinthe de Pan, il est évident qu'elles rappellent les images de Rackham, et les illustrations victoriennes en général. Comment ne pas penser aux illustrations de Tenniel pour Alice au Pays des Merveilles en voyant le costume bien apprêté de cette petite fille, et à celles de Rackham quand on voit cet arbre tordu, aux formes évocatrices? De même, dans l'image ci-dessous, l'héritage d'Alice au Pays des Merveilles est flagrant, avec son imagerie de petite fille rentrant dans un terrier et arrivant dans un long couloir souterrain qui l'achemine vers l'Autre Monde. A la différence que la version de Del Toro de l'Autre Monde est bien plus terrifiante que celle de Carroll, et qu'elle doit autant à Lovecraft ou à Clive Barker qu'à l'auteur d'Alice.


Pour information, Alice est représentée par John Tenniel, selon les injonctions de Lewis Carroll lui-même, comme une petite fille aux cheveux longs et blonds.
John Tenniel, illustration pour Alice, 1865.

Mais la véritable Alice, Alice Liddell, dont Lewis Carroll s'inspire pour écrire Alice au Pays des Merveilles, est connue par des photographies (toujours de Lewis Carroll) où elle porte ses cheveux bruns dans une coupe courte, au carré.
Lewis Carroll, portrait d'Alice Liddell, années 1860.

Quand Rackham illustrera à nouveau Alice au Pays des Merveilles en 1907, il suivra le parti de John Tenniel, qui avait été, sous les injonctions de Lewis Carroll, de dissimuler l'identité d'Alice Liddell sous une perruque blonde.
Arthur Rackham, illustration pour Alice, 1906.

C'est sous cette forme de petite fille aux longs cheveux blonds que l'on connaît généralement le personnage d'Alice, mais tous les illustrateurs ne l'ont pas représentée comme telle. Ainsi Charles Robinson, toujours en 1907, représente Alice les cheveux bruns, au carré... La très intéressante version en album, illustrée récemment par Jong Romano, représente encore une fois Alice brune avec une coupe mi-longue, mais avec des couettes cette fois-ci, histoire de la moderniser un peu. Tout se passe comme si nous n'avions que deux représentations possibles du personnage d'Alice: les cheveux courts (ou plutôt mi-longs) et bruns, ou longs et blonds. Le parti de Guillermo Del Toro, pour faire allusion au personnage de Carroll, a été de faire référence au type, sinon le moins fréquent, du moins le moins connu: celui aux cheveux bruns et mi-longs. Justement pour que sa référence au personnage de Carroll reste une simple allusion, et ne relève pas de l'évidence absolue.

Jong Romano, couverture pour Alice au Pays du Merveilleux Ailleurs, Au Bord des Continents, 2000.

Quant à l'influence des images de Rackham sur ce film, c'est une autre histoire. On a déjà vu les formes d'arbres tordus, qui doivent peut-être autant à l'univers de Tim Burton qu'à celui de Rackham (mais Tim Burton connaît très probablement lui-même très bien l'oeuvre de Rackham). Qu'il nous soit juste permis de faire allusion au livre que tient Ofélia au tout début du film (mes excuses si je n'ai pas d'image à montrer): c'est un livre de conte de fées illustré en silhouettes, genre de représentation dans lequel s'est particulièrement illustré Arthur Rackham...

lundi 29 septembre 2008

Typographie


Dans mes recherches sur les Didot, j'ai trouvé un excellent site internet sur la typographie: Affaire Esperluette. Il y a plein d'explications sur les familles de caractères (humanes, réales, didones, linéales, etc.), ainsi que sur quelques polices très connues ou importantes historiquement (le Times, le Grandjean, le Garamond, le Caslon, le Baskerville, etc.) Vraiment très bien fait, ce site, je trouve. Je regrette juste qu'il n'y ait pas un peu plus d'exemples visuels: il y en a, mais pas sur toutes les pages.

vendredi 26 septembre 2008

Forêts scandinaves

J'ai écouté cet album pendant tout le mois d'août. Eternal Kingdom de Cult of Luna, lumière montante du post-hardcore à la Neurosis et Isis. Lumière nordique également: leur musique est très froide, et dégage une ambiance de forêt scandinave. Ce que j'ai aimé dans leur dernier album, sorti en juin dernier, c'est la musique bien sûr, avec ses passages de cor de chasse et ses ambiances froides et oppressantes, ainsi que le design du packaging (réalisé par Erik Olofsson, qui fait partie intégrante du groupe et est par ailleurs designer), qui est véritablement superbe avec ses réemplois de vieilles xylographies dans le livret, et sa splendide couverture dessinée par Pär Olofsson. Mais j'ai aussi surtout apprécié l'histoire qui a entouré sa création.
Cette histoire, que dévoile le chanteur sur le myspace consacré à l'album, je voudrais la reprendre en quelques lignes. Dernièrement le groupe, qui vit et travaille en Suède, avait changé de lieu de répétition, et s'était installé pour ce faire dans un ancien asile psychiatrique. En faisant du ménage dans leur local, ils trouvent des vieux papiers médicaux, des peintures et autres productions de patients aliénés... Parmi tout ce fourbi, ils trouvent notamment le journal intime d'un dénommé Holger Nilsson, intitulé Contes du royaume éternel. Ils découvriront par la suite que celui-ci a été condamné pour le meurtre de sa femme, et incarcéré à vie dans cet asile.
Dans son journal, Holger Nilsson explique comment sa femme a été tuée par le Näcken, qui est présenté par le groupe comme un équivalent suédois populaire de Satan, mais qui semble surtout, d'après Wikipedia, être l'équivalent masculin d'une nixe, et tient en tout cas la fonction d'un genius loci à caractère maléfique. On a notamment un très beau et suggestif nokken norvégien représenté par Kittelsen.

Quoi qu'il en soit, ce Holger, pour maquiller son meurtre, s'invente visiblement une histoire où le Näcken, sous la forme d'un hibou maléfique, roi des mauvais animaux, tue sa femme. Durant la nuit, il voit une lumière dans la forêt, et commence à se diriger vers elle. Il arrive alors près d'un feu autour duquel dansent des animaux et des garous - des hommes-loups, des hommes-ours... Il voit également un gitan, qui se révèlera être Ugin, le Roi Hibou: tout ceci constitue en fait une sorte de sabbat, une réunion des mauvais animaux. Le gitan se transforme en hibou quand il voit Holger, et le fait prendre en chasse. Holger réussit néanmoins à s'enfuir, et le lendemain il reçoit la visite d'un représentant des bons animaux, qui sont menés par un grand tétras (capercaillie). Le Roi Grand Tétras lui explique alors les secrets de la forêt, et la lutte qui oppose les bons animaux aux mauvais animaux. Il lui explique qu'ils ont envoyé un espion dans le camp des mauvais animaux, et qu'ils se préparent à lancer une attaque décisive grâce à une information qu'ils ont réussi à acquérir. L'information se révèle en définitive fausse, et l'attaque se solde par un échec des bons animaux, qui sont encerclés et capturés. Holger se fait également capturer, et enfermer dans un dongeon: dans la vie réelle, l'asile psychiatrique.

Cult of Luna, dans les paroles de son album et le déroulement de ses morceaux, ne ferait que reprendre, à sa manière, l'histoire de Holger et son univers de forêt nordique peuplée de bons et de mauvais animaux se livrant une lutte éternelle. L'histoire ressemble point pour point, sinon à un conte de fées, du moins à un récit tiré du folklore, type mémorat ou légende. Je ne sais pas si ce journal de Holger est une invention complète du groupe destinée à mieux vendre leur album ou bien une histoire vraie, toujours est-il qu'elle est très réussie. La conjonction du récit d'un fou et d'un récit de type folklorique, avec le Näcken comme source de tous les maux, produit un mélange détonnant, où l'on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Je ne sais pas si Cult of Luna a inventé cette histoire, ou si Holger Nilsson a réellement existé; je ne sais pas, dans le cas où Cult of Luna n'aurait rien inventé, si Holger Nilsson était fou, s'il a été victime de ses croyances superstitieuses, s'il a mêlé sa folie à ses croyances, ou s'il a vraiment vécu les choses telles qu'il les a racontées. Mais je sais que j'adore cette incertitude, et c'est ce mélange des réalités que, personnellement, j'appelle le merveilleux.

lundi 22 septembre 2008

Faut-il ?

Les lecteurs attentifs de ce blog auront remarqué mon apparition subite sur Ombres Vertes il y a quelques mois, sous le pseudo de Continuum. Les lecteurs attentifs auront également remarqué que jusqu'à présent, mon existence de blogueur ne s'était pas développée au-delà de cet espace partagé avec mon cher hôte et ami, j'ai nommé François. Considérons maintenant cela comme du passé, puisque la toile s'est enrichie il y a quelques jours d'une nouvelle adresse où je me suis aménagé un nouveau logis. Bien sûr, je ne pars pas tout à fait et je continuerai d'intervenir sur Ombres Vertes, mais peut-être plus rarement, suivant les occasions.
J'invite donc les marathoniens qui parviennent à lire mes billets jusqu'au bout, et les insomniaques qui trouvent un bon remède dans ma lecture, à venir me rejoindre dans Le Beau Vingt-et-Unième !
J'y parlerai de musique bien sûr, et d'autres choses propres à développer l'esprit et l'âme, mais surtout pas de moi (ou très peu). Aussi j'essaierai modestement de participer le moins possible à ce mouvement général de paresse intellectuelle, ce brouhaha moyen-âgeux qui caractérise la blogosphère tant par les propos tenus que par leur énonciation.
Je n'aurai peut-être pas beaucoup de lecteurs, mais avoir deux lecteurs ou cent m'importe peu puisque je n'attend rien de l'internet, et surtout pas la création d'un pseudo lien social. Sauf à croiser des esprits aventureux qui échoueraient chez moi par hasard comme c'est arrivé parfois sur Ombres Vertes - c'est marrant ça.
Voilà, j'ai tissé mon fil.
Je remercie François pour son sens du partage (son idée d'ouvrir son espace personnel à des contributeurs extérieurs), et aussi pour sa tolérance (aucune prise de tête sur le contenu des billets). Ca fait toujours plaisir.

vendredi 19 septembre 2008

Calligraphies de William Morris

William Morris, King Hafbur and King Siward, encre et aquarelle sur papier, c. 1873.

Dans la lignée du précédent billet, et pour répondre à certaines des remarques qui lui ont été faites, un autre visage de William Morris, celui du calligraphe... où l'on remarque encore une fois la proximité du travail de notre artiste victorien avec les enlumineurs et calligraphes médiévaux. Ci-dessous, une photographie du manuscrit de Saint Gail, fournie par la bibliothèque virtuelle CESG via M. Patouche, où l'on retrouve le système des encres bicolores, avec incipit en rouge et corps du texte en noir. Comme l'a fait remarquer M. Patouche par mp, on dirait presque un livre imprimé, et pourtant ça date du IXe siècle: grandes marges vides, "justification" du texte, cadrage de l'image qui donne l'impression d'une planche gravée, position de la lettrine...
Manuscrit de Saint Gail, fin du IXe siècle.

Ce sont donc ces modèles de manuscrits qui ont inspiré notre manière de concevoir le livre imprimé, et cela depuis le XVe siècle (Voir La Naissance du livre moderne, Henri-Jean Martin, éditions Cercle de la Librairie; on peut aussi aller voir la page incunable de Wikipedia).

Comme je disais, donc, William Morris s'est non seulement intéressé aux incunables, mais aussi à la calligraphie médiévale. Aussi il est difficile de déterminer ses modèles artistiques, que ce soit en tant qu'imprimeur ou en tant que calligraphe. Il serait trop simple (mais évidemment pas complètement faux) de dire qu'il s'inspire des manuscrits médiévaux pour ses travaux de calligraphie, et des incunables pour ses travaux d'imprimeur. Mais comme les incunables s'inspirent eux-mêmes des manuscrits, ça brouille un peu la chaîne déterministe des inspirations, et il paraît probable que Morris s'inspire des manuscrits médiévaux comme des incunables, à la fois pour ses travaux d'imprimeur et de calligraphe.
William Morris, Rubaiyat d'Omar Khayyam, encre, aquarelle et dorures sur vellum, 1872.

Si le principe de la dorure à l'intérieur de la page, dans l'exemple ci-dessus, semble directement inspiré des manuscrits médiévaux, on remarquera néanmoins la (relative) séparation du texte et de l'image, qui ne s'entremêlent pas, et qui semble découler de l'organisation des incunables, où la planche xylographique et la typographie sont séparées spatialement, plutôt que des manuscrits. Cependant, l'exemple du manuscrit de Saint Gail, fourni par M. Patouche, montre que tous les types d'organisations spatiales existent dans les manuscrits médiévaux, et donc que les choses sont plus compliquées que ça. D'autre part, il y a chez Morris, comme ci-dessous, des manuscrits avec envahissement de l'espace du texte par les bordures végétales.

Morris, Fairfax-Murray, Burne-Jones, Wardle, A Book of Verse, encre, aquarelle et dorures sur papier, 1870

On trouve donc de tout, aussi bien dans les manuscrits médiévaux que dans ceux de Morris. Cette inventivité des manuscrits est essentiellement due à l'absence des restrictions techniques qui caractérisent au contraire les livres imprimés jusqu'au début du XXe siècle, dans lesquels les conditions et techniques d'impression influent sur l'organisation de la page. A la main, c'est long, mais on peut tout faire. Avec une presse, c'est plus rapide, mais on ne peut pas tout faire. Avec un logiciel, on peut (on pourra?) tout faire, c'est relativement rapide, mais c'est beaucoup plus compliqué.

En définitive, pour connaître les modèles de Morris, il faudrait surtout enquêter dans sa vie privée, pour savoir à quels manuscrits et à quels incunables il a eu accès, et ainsi reconstituer sa "bibliothèque imaginaire", afin de voir où est l'invention, où sont les emprunts. Le travail a déjà été en grande partie effectué pour la typographie; pour l'organisation de la page c'est plus compliqué, sachant qu'il y a non seulement les incunables, mais aussi les manuscrits qui rentrent en ligne de compte.
Pour la fin de ce billet, je voudrais présenter une calligraphie de William Morris dont j'aurais bien aimé connaître l'existence avant la rédaction et la soutenance de ma thèse: il s'agit d'une calligraphie de jeunesse, inachevée et assez maladroite, prenant pour texte un conte de Grimm, Der Eisenhans (L'homme de fer, ou Hans de fer). Qui sait, je pourrais peut-être l'exploiter pour la publication, si un jour elle advient?

Morris, Der Eisenhans (Grimm), encre, aquarelle et peinture dorée sur vellum, 1857.

lundi 15 septembre 2008

Kelmscott Press

En ce moment, je prépare un petit cours sur l'impression de l'image et du texte au XIXe siècle, de Didot à Morris. Qu'est ce que c'est beau les productions de la Kelmscott Press de William Morris! Je sais que c'est un peu réactionnaire d'aimer les recréations néogothiques victoriennes des livres imprimés du XVe siècle, mais on ne peut pas nier que William Morris avait le sens de la mise en page. C'est même plutôt bien que le texte, sur deux colonnes, ne soit pas justifié mais ferré à gauche, ça laisse un peu de blanc à la page, ce qui évite d'accentuer l'effet de masse déjà obtenu par une décoration surchargée des bordures et des lettrines (cliquer sur l'image pour la voir en plus grand).

Burne-Jones (illustrations), Morris (typo, lettrines et bordures), The Works of Geoffrey Chaucer, Kelmscott Press, 1896.

Je pense que politiquement (il ne faut pas oublier qu'il était socialiste militant), William Morris, de nos jours, aurait été dans le camp de la décroissance: contre le Grand Capital, on revient aux méthodes de production de «nos ancêtres», on revalorise l'artisanat, la qualité au lieu de la quantité, on lutte pour de bonnes conditions de production (comme pour le commerce équitable, qui est une version mondialisée de la conscience de classe propre à la culture ouvrière syndicale... sauf qu'elle ne vient pas des mêmes acteurs), etc. «William Morris, un prototype de la culture bobo?» Un beau titre de communication, ça, il faudra que je me penche là-dessus.

The Recuyell of The Historyes of Troye (Raoul Lefèvre, trad. William Caxton), Kelmscott Press, 1892.

Admirez ça, si ce n'est pas une bonne idée d'imprimer les têtes de chapitre en rouge! Depuis les années 1980, on est dans une culture moderne qui fait du vide autour du texte, et qui privilégie les outils de la position du texte, de sa taille, et du blanc de la page pour mettre en valeur les éléments paratextuels (titre, note, changement de paragraphe, etc.). Mais dites-moi, ça n'a pas plus de gueule de tout garder au même corps et de ne pas faire d'interligne, et d'utiliser tout simplement des encres de couleur différente pour désigner ce qui n'appartient pas proprement au texte? Ca serait intéressant d'utiliser des couleurs pour imprimer le texte dans l'édition «courante», non? Je suis sûr que des tentatives modernes ont été faites, mais jamais dans des livres de grande diffusion. En général on se cantonne au noir. C'est bien le noir. Mais un peu de rouge de temps en temps, ça ferait du bien, dans nos livres de poche (à condition que ce soit un beau rouge, bien sûr).

vendredi 12 septembre 2008

Journée d'étude sur la littérature enfantine norvégienne

Avant tout, mille excuses de ne pas avoir donné de nouvelles ces temps derniers: entre la correction et la mise en page de la thèse de Charlotte, le déménagement, et la reprise d'un nouveau travail (post-doc à l'université de Tours), j'ai eu peu de temps à accorder aux ombres vertes.

Juste un petit mot, donc, pour signaler une journée d'étude sur la littérature enfantine norvégienne à la Bibliothèque Sainte Geneviève (Bibliothèque Nordique), à Paris. La seconde intervention d'Elena Balzamo (EHESS), qui est une grande traductrice de contes scandinaves, et qui avait eu la gentillesse de venir assister à partie de ma soutenance, est notamment à voir. Après le troll, la description et le programme.

Theodor Kittelsen, Troll, 1911.


Lundi 22 septembre 2008, à la Bibliothèque nordique - Bibliothèque Sainte-Geneviève - 6, rue Valette - 75005 Paris

En novembre 2006, le roman Kurt et le Poisson, écrit par Erlend Loe a remporté le prix Tam Tam au Salon livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis. L'année suivante, pour son album L'Eté de Garmann, publié en France aux éditions Albin Michel Jeunesse, Stian Hole est couronné du Ragazzi Award, le plus grand prix décerné à la Foire internationale de Bologne. En 2008, c'est à nouveau un Norvégien, Øyvind Torseter, à qui est décernée cette récompense, grâce à Détours, que le public français découvrira en novembre prochain aux éditions La Joie de Lire. Le succès de la littérature norvégienne pour la jeunesse ne se dément pas, et pourtant, elle demeure encore une terra incognita pour de nombreux médiateurs français du livre. De fait, les romans et albums norvégiens pour enfants et adolescents sont depuis longtemps traduits en France. En témoignent la publication de romans classiques de l'après-guerre, comme ceux de Torbjørn Egner ou d'Anne-Cath. Vestly, ou plus contemporains de Tormod Haugen, Ragnar Hovland ou Hilde Hagerup, pour ne citer qu'eux. Néanmoins, c'est avec Le Monde de Sophie de Jostein Gaader, publié en français en 1995, que la littérature destinée à la jeunesse en provenance de notre pays a trouvé une réelle résonance dans le monde francophone, ouvrant la voie à un regain d'intérêt de la part des éditeurs comme du public.

Souhaitant profiter de l'accueil positif, tant en France qu'à l'étranger, de cette expression littéraire, l'Ambassade Royale de Norvège, NORLA (le Centre de promotion de la littérature norvégienne à l'étranger) et le traducteur Jean-Baptiste Coursaud organisent depuis 2007 diverses manifestations pour promouvoir sur le territoire français la richesse de cette littérature. Aujourd'hui, ces mêmes acteurs s'associent à Livres au trésor et à la Bibliothèque Nordique pour proposer aux professionnels français du livre pour la jeunesse (bibliothécaires, libraires et documentalistes) cette journée d'étude.

Programme de la journée :


9 h 30 : Tradition et renouveau. Un regard rétrospectif sur la littérature norvégienne pour la jeunesse, par Harald Bache-Wiig, professeur à l'Institut d'études linguistiques et des langues et cultures nordiques, Université d'Oslo.
10 h : Les contes norvégiens, par Elena Balzamo, essayiste, critique littéraire, traductrice.
11 h : Romans et albums norvégiens, par Grui Fjeldberg, essayiste, critique littéraire.

12 h 30 : Déjeuner.

14 h : Langues norvégiennes et ateliers de traduction, par Jean-Baptiste Coursaud, traducteur, spécialiste des littératures scandinaves et de littérature pour la jeunesse.
15 h : La politique du livre en Norvège, par Anne-Trine Kjørholt, directrice du Centre norvégien de recherche sur l'enfance, maître de conférence à l'Université des sciences naturelles et techniques, NTNU, Trondheim, Norvège.
15 h 45 : Table-ronde sur la place de l'enfant dans les sociétés norvégienne et française, animée par Véronique Soulé, responsable de Livres au trésor, avec Anne-Trine Kjørholt, Harald Bache-Wiig et Régine Sirota (à confirmer), sociologue de l'enfance, professeur à l'Université Paris V-René Descartes, Paris.

Inscription (gratuite) et informations :
Ambassade royale de Norvège - Laura Marie Harbsmeier : 01 53 67 04 00 - info.paris@mfa.no
Livres au trésor - Véronique Soulé : 01 48 30 54 72 - livres.au.tresor@ville-bobigny.fr
www.livresautresor.net

mercredi 10 septembre 2008

La Messe de Nostre Dame à Tours !

Pour les tourangeaux, un évènement à ne manquer sous aucun prétexte :
Le 26 septembre, Diabolus in Musica, excellent ensemble de musique médiévale, viendra proposer sa nouvelle lecture de la Messe de Nostre Dame, oeuvre extraordinaire, fondatrice, composée par Guillaume de Machaut (1300-1377). Le concert aura lieu dans la cathédrale.
Je ne pourrais malheureusement pas y assister, mais je conseille vivement de ne pas rater une telle expérience musicale.
(Pour les curieux, il y aura aussi un stage de chant les 18 et 19 octobre (02.47.42.13.37). Peut-être y a-t-il des cours ouverts au public ?)

dimanche 24 août 2008

L'édifice chinois

Les JO de Pékin ont vu la Chine passer devant les Etats-Unis en nombre de médailles d'or, ce qui les place en premier dans le rang des nations olympiques. Je suis pris d'une certaine stupeur devant ce score, sachant dans quel état était encore ce pays il y a à peine 20 ans. Tous les regards sont tournés vers ce spectacle incroyable que la Chine offre au monde. Moi aussi je reste sans voix devant ce développement effréné qui s'opère sous nos yeux. On parle beaucoup du domaine économique, mais c'est partout que la Chine tente de s'imposer. On l'a bien vu avec la médiatisation de certains plasticiens, dessinateurs et photographes chinois pour le moins intéressants (ici, ici et ici). Je dois dire que, pour ma part, je ne me sens pas tout à fait conquis par l'art en provenance de chine, mais je pense que dans les années à venir il est fort probable que des artistes majeurs émergent dans ce pays. Je lisais d'ailleurs un récent article d'Alex Ross, embarqué dans le rêve chinois durant la courte période des JO. La fascination, mêlée à une certaine circonspection, sont perceptibles dans ses propos. Dans plusieurs billets il évoque la figure désormais emblématique de la musique moderne chinoise : le compositeur Qigang Chen.


C'est François, je crois, qui m'a fait découvrir Qigang Chen, il y a peut-être 5 ou 6 ans. J'avoue n'y avoir pas prêté une attention particulière depuis, mais ce matin j'ai décidé de faire le pas, encouragé par tout ce tintamarre chinois, et par la diffusion d'un concert sur France Musique. Il s'agissait de la création mondiale en janvier dernier, Salle Pleyel, d'une pièce pour orchestre commandée par Radio France, Enchantements Oubliés (23 minutes), interprétée par le philharmonique de Radio France dirigé par Alan Gilbert.

Qigang Chen naît en 1951. A cette époque la musique chinoise est déjà fortement imprégnée de musique occidentale, puisqu'entre 1919 et 1927 se créent plusieurs établissements de recherche et d'enseignement musical comme l'Institut de recherches musicales de l'Université de Pékin ou le Conservatoire d'Etat de musique de Shanghai. La musique chinoise d'alors ne se pense plus seulement de manière monodique et hétérophonique, mais également polyphonique. Déjà plusieurs genérations de compositeurs se sont succédé, lorsque Qigang Chen naît. Leur musique se conçoit comme un brassage de musiques populaires et traditionnelles mélangées à des choses plus savantes, y compris d'influence russe. C'est surtout après 1976 que commence vraiment chez les compositeurs ce besoin d'étudier la musique du vingtième siècle. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux vont émigrer aux Etats-Unis, notamment Dun Tan, devenu depuis une sorte de "star". Certains ont choisi la France. C'est le cas de Qigang Chen, qui vit et travaille toujours dans notre beau pays.

En 1977, la Chine restaure un système de concours d'entrée dans les écoles supérieures. Qigang Chen s'y présente. Il est l'un des 26 élus sur 2000 candidats à la classe de composition du Conservatoire Central de Pékin. Il fait 5 ans d'études dans cet établissement et en sort classé premier au Concours National. Les autorités chinoises le laissent donc partir à l'étranger pour suivre un troisième cycle en composition. Il arrive en France, boursier du gouvernement français. Ainsi, de 1984 à 1988 il est l'élève d'Olivier Messiaen, mais aussi d'Ivo Malec, Betsy Jolas et Claude Ballif. En 1987 il suit la formation de l'IRCAM. Il part ensuite à l'Académie Chigiana de Sienne étudier avec le compositeur Franco Donatoni. A l'ENM il obtient le diplôme supérieur de composition avec félicitations du Jury. En 1989 il obtient le diplôme de musicologie de la Sorbonne avec mention Très Bien.


Joueuse de guqin, cithare à 7 cordes

Ses oeuvres s'intitulent par exemple Voyage d'un Solitaire, Extase, ou encore Wu Xing (Les Cinq Elements). Il fait appel aux instruments classiques, à l'informatique, mais aussi aux instruments traditionnels comme le guqin, une cithare à 7 cordes, instrument très ancien.

La création que j'ai entendu ce matin est pour orchestre à cordes, percussions, piano et harpes.

C'est un morceau qui commence de manière très douce. Un thème cantabile est présenté au violon.. Ce début me fait penser à du Vaughan Williams, pour le côté élégiaque. Le violon déploie une mélodie où traversent des gammes chinoises, insérées dans des arabesques de harpe et de percussions. Cela sonne parfois comme du Debussy - mais il est vrai que Debussy lui-même avait déjà tissé des liens forts avec la musique chinoise, dans Et la Lune descend sur le temple qui fut (Images I), ou Dans la Terrasse des audiences au clair de lune (préludes II) - et certains passages peuvent rappeler La Mer, mais avec un violon très romantique. Les percussions harmoniques (marimba, xylophone) sont utilisées de manière très gaie et vigoureuse. Peu à peu s'installe une résonance, un climat assez ethéré. Soudain les timbales interviennent, en rythme asymétrique, et c'est l'ombre de Stravinski et de son Sacre qui passe par là. Ravel n'est pas loin non plus avec quelques quartes parallèles furtivement distillées dans un environnement plus complexe. Chen impose une atmosphère légère et bucolique, enchanteresse. Nous sommes dans un beau jardin chinois finement aménagé. On peut entendre parfois des accents de mélodies populaires chinoises aux percussions, et l'harmonie pentatonique du thème irrigue toutes les couches instrumentales. Le traitement de l'orchestre, très coloré et raffiné, est de toute évidence un héritage de l'apprentissage auprès d'Olivier Messiaen. A un moment plus chargé, le langage penche vers l'esthétique dodécaphonique proche de Maderna ou Donatoni, mais ce moment débouche sur une note lumineuse. Cela occasionne le retour du thème principal aux violoncelles. Le thème est le même, mais c'est l'accompagnement qui change. De subtiles harmonies de percussions donnent une atmosphère post-impressionniste.
Les cordes seules font ressentir des relents de musique russe comme on en trouve dans La Pathétique de Tchaïkovski par exemple. S'ensuit un déferlement de timbales, où les cordes jouent en pizzicati, sur des rythmes en ostinati et des motifs courts répétés. Cette tension trouve son échappatoire dans une esquisse de rythme de valse détourné, qui nous transporte à Vienne. Avec la différence étrange, cependant, que cette valse est planante, contemplative, même dans les passages plus dansants. J'entends là une musique de l'éveil, une musique de la nature. Musique de méditation, peut-être à relier aux moines bouddhistes. Puis c'est le retour des timbales pesantes, sur un rythme haletant, presque scandé, proche là encore de Messiaen et de ses rythmes hindous. Une fois de plus, la tension se résout en de longs accords tenus, où l'harmonie devient une sorte de kaléidoscope spectral. C'est certainement le plus beau passage de la partition. Lentement, le thème au violon réapparaît dans les aigus, très sobrement. Deux violons chantent à tour de rôle ce thème en s'entrecroisant. La pièce se termine très calmement sur l'exctinction d'une note tenue au violon.

Voilà ce que j'ai pu noter au cours de cette écoute radiophonique d'Enchantements Oubliés de Qigang Chen ce matin. Je n'ai voulu faire ni un commentaire de l'oeuvre, ni une chronique musicale de type journalistique. J'ai juste voulu faire partager mon écoute et ma découverte en toute simplicité. Je peux constater que cette musique est fort plaisante à écouter, et je conseille vivement à tous ceux à qui la musique contemporaine fait peur, de se procurer du Qigang Chen. Bien loin des courants actuels les plus radicaux, difficiles d'accès, la musique de ce compositeur chinois suit le chemin d'une paix intérieure. C'est une longue méditation, un rêve, un effleurement.

Et une pierre de plus dans l'édifice chinois.