dimanche 23 décembre 2007

Solstice


L'année 2007 se termine avec une bien triste nouvelle, bien compréhensible néanmoins, celle du décès de l'auteur du Rivage des Syrtes et du Balcon en Forêt.
Louis Poirier est mort à l'âge de 97 ans. Il a vécu deux guerres mondiales, et a publié tout son travail chez José Corti.

Puisse-t-il filer au long des eaux étroites avec l'âme en paix, et l'assurance d'avoir accompli l'une des oeuvres littéraires les plus importantes d'un XXe siècle qu'il a parcouru d'un bout à l'autre sans dévier de son chemin.

mercredi 19 décembre 2007

Couvertures anglaises d'Harry Potter (children's edition) 2

Le début ici.
Je confirme après l'avoir terminé, la couverture anglaise du troisième tome n'a rien à voir avec une arrivée nocturne à Hogwart sur dos de griffon, c'est une scène du dénouement de l'histoire qui est représentée.C'est le même artiste, cliff wright, qui avait fait la couverture du deuxième tome, après que Thomas Taylor ait réalisé celle du premier.

Visiblement, d'après Wikipedia, Thomas Taylor est un jeune artiste à peine sorti de l'université quand il s'attelle à cette illustration, et le succès du livre aidant, Bloomsbury aurait préféré employer le talent d'un autre illustrateur plus chevronné, Cliff Wright, pour les volumes suivants. Cliff Wright aurait décidé de ne plus travailler avec la maison d'édition après le troisième tome, celle-ci ayant égaré l'original de la couverture de Harry Potter and The Prisoner of Azkaban. Quoi qu'il en soit, on comprendra que Bloomsbury ait cessé de travailler avec Thomas Taylor, vue la qualité de sa prestation. On comprend moins pourquoi la maison d'édition a même commencé à travailler avec lui. Je trouve personnellement que la couverture du deuxième volume, avec ses bleus hideux et ses visages rosâtres, est encore plus laide que la première, qui conservait encore un caractère un peu "naïf", avec ses étoiles schématiques et son trait ferme.

En tout cas, on observe une similarité de composition entre les deuxième et troisième volumes: même insistance sur la diagonale bas-gauche/haut-droit, avec à chaque fois un objet volant sur ou dans lequel Harry et l'un de ses meilleurs amis prennent place. Une impression d'élévation, donc, qui n'aurait pas fonctionné si l'illustrateur avait utilisé l'autre diagonale, et qui concorde bien avec l'atmosphère de merveilleux et d'optimisme qui imprègne les romans de J. K. Rowling.
La couverture du troisième volume est je trouve un peu plus réussie que la précédente (il n'y a pas de mal me direz-vous), grâce au fort impact visuel que donne la pleine lune dans le fond de l'image. Le griffon reste néanmoins peu convaincant (présence d'oreilles pour un monstre à tête d'oiseau?), alors qu'Harry et Hermione (qu'on voit à peine, ceci dit), sont un peu mieux réussis que dans la couverture précédente.

La fin à cet endroit.

jeudi 13 décembre 2007

Couvertures anglaises d'Harry Potter (children's edition) 1

Dans un des derniers billets, je me permettais de dire sans trop d'égards que je trouvais les couvertures anglaises d'Harry Potter pas belles du tout... Je maintiens mon opinion, quoique je trouve qu'avec le temps et l'évolution de la série elles s'améliorent. Les illustrateurs changent au fil de la série, ce qui ne joue pas en faveur de sa cohérence graphique, contrairement à l'édition française, par exemple, dont les sept tomes sont ornés de compositions de Jean-Claude Götting, comme Gilles nous le faisait remarquer il y a peu.
Si ces couvertures ne sont pas toutes très jolies, comparées à celles de Götting par exemple, elles sont néanmoins très intéressantes.
Le premier et le second tome représentent Harry Potter qui s'achemine vers Hogwart, la première année en train, la deuxième dans la voiture de la famille Weasley. Il est très intéressant de constater que le moment que l'illustrateur a choisi de représenter, à chaque fois, est celui dans lequel Harry passe du monde ordinaire au monde magique, à l'autre monde de Hogwart.

Choisir cet épisode précis de l'histoire n'est pas anodin: il permet de représenter, dans cet endroit symbolique qu'est la couverture du livre (la toute première page, qu'on doit tourner pour rentrer dans l'histoire), le passage du monde ordinaire au monde d'Hogwart (pour le personnage), le passage du monde réel à celui de la fiction (pour le lecteur).
L'identification du lecteur avec le héros est rendue d'autant plus sensible qu'il est invité, en couverture, à pénétrer de même que Harry Potter dans un monde fantastique où la magie est possible, etc.

Pour les illustrations des tomes suivants, j'aurais du mal à les commenter, vu que j'en suis encore au tout début du troisième tome... peut-être dans un prochain billet?

En tout cas, force est de constater qu'il y a une nette évolution stylistique du premier au dernier tome, qui va de pair avec l'évolution du lectorat. D'un trait relativement schématique, assez épais dans le premier tome, pour un public assez jeune, on passe progressivement à une composition beaucoup plus détaillée, au trait plus fin dans les derniers livres de la série.Les traits du héros évoluent également beaucoup d'un livre à l'autre. Pour le tome 1, Harry Potter est encore un peu sans âge, conséquence d'une assez importante schématisation des traits. Mais pour le tome 2, on a droit à la représentation d'un enfant de 12 ans, dont les traits s'affermissent dans le tome 3, et pour les tomes 6 et 7 on a un adolescent de 17-18 ans, à la machoire beaucoup plus carrée, et les épaules plus charpentées. Dans le tome 5 (ci-dessous), on n'a pas droit à Harry Potter sur la couverture... seul exemple dans la série. Y-a-t'il une raison à cela? J'en saurais peut-être un peu plus quand j'aurai terminé la saga.

L'incohérence graphique de la série cache donc une évolution stylistique qui accompagne le lecteur dans la maturation de l'oeuvre, du personnage principal, et dans son propre murissement. On a souvent fait la remarque que le style et les thématiques de l'oeuvre évoluaient avec le personnage et avec le lecteur, il est intéressant de constater que les illustrations en font de même. La boucle est bouclée.


Il est amusant de constater que le service postal britannique a fait de toutes ces couvertures de l'édition anglaise une série de timbres de collection, le 17 juillet 2007, en hommage au succès des livres.
Il ne reste plus à J. K. Rowling qu'à autoriser l'existence d'éditions véritablement illustrées (un très beau projet ici), et le tour des possibilités d'exploitation culturelle sera fait, après les films, les produits dérivés des films, etc.

La suite ici, et la fin à cet endroit.

lundi 10 décembre 2007

Perrault au XIXe siècle

La prochaine séance du TIGRE (Texte et Image Groupe de Recherche à l'Ecole normale supérieure), samedi 15 décembre, est un passage obligé pour tous les amateurs de contes et d'illustrations du XIXe siècle.

Je ne pourrais malheureusement pas y aller (distance géographique oblige, je regrette vraiment), mais avis aux amateurs... et aux professionnels, vu qu'il s'agit quand même d'un séminaire de recherche, d'excellente tenue, soit dit en passant.

mercredi 5 décembre 2007

Harry et Frodo

Ca y est, j'ai craqué, j'ai commencé à lire Harry Potter... après tout le monde, juste pour dire que je fais rien comme les autres, et en anglais, pour faire semblant de bosser mon anglais. Une des choses qui m'a frappé, c'est à quel point Harry Potter, du point de vue du caractère, du physique, comme du point de vue de sa fonction dans l'histoire, ressemble à Frodo Baggins, le héros du Lord of the Rings de Tolkien. Le même type de héros fragile mais courageux, mince et brun, et qui est en lien direct, quasi-matériel avec le grand méchant de l'histoire: par l'intermédiaire de l'anneau pour Frodo et Sauron, et par l'intermédiaire de la cicatrice pour Harry Potter et Voldemort. D'ailleurs, dans les deux sagas pèse un interdit sur le nom du grand méchant... Mais pour le personnage principal, on est loin du type de héros surpuissant à la Conan (Howard), ou de l'anti-héros à la Elric (Moorcock).

J'imagine que je ne dis là rien d'original, puisque J. K. Rowling s'est visiblement inspirée de beaucoup de choses pour écrire son livre, et que la saga de Tolkien constitue LE classique de la fantasy anglaise, mais ça m'a frappé à tel point que j'ai tendance, ces temps-ci, à confondre même les deux acteurs, Daniel Radcliffe et Elijah Wood, qui ont interprété Harry et Frodo. Et que quand je lis le livre, je me représente Harry parfois sous l'aspect de l'un, parfois sous l'aspect de l'autre, parfois autrement, en fonction des illustrations de couverture, qui dans les publications anglophones brillent pourtant par leur laideur.

jeudi 29 novembre 2007

Ovide et Grimm, des histoires de pères mangeurs d'enfants.

Je viens de lire un article absolument passionnant de Françoise Frontisi sur l'histoire de Procné et Philomèle, qu'Ovide raconte dans ses Métamorphoses (VI, 424-674). Je rappelle l'histoire brièvement:

Le roi de Thrace,Térée, est marié avec une princesse athénienne, Procné. Ils ont un fils, Itys. Procné veut revoir sa soeur Philomèle, elle demande à Térée d'aller la chercher à Athènes. Térée viole Philomèle sur le chemin du retour, et pour l'empêcher de parler il lui coupe la langue.

(gravure sur cuivre, édition bilingue d'Amsterdam, 1702)
Il dit à Procné que sa soeur est morte, mais celle-ci, prisonnière, trouve le moyen de lui faire parvenir une tapisserie dans laquelle elle dévoile le drame dont elle a été victime. Les deux soeurs méditent une vengeance à l'encontre de Térée. Procné tue alors son enfant, Itys, pour le servir en nourriture à son père Térée.

"le souffle de la vie animait encore ses membres que déjà toutes les deux les mettaient en pièces; elles en font bouillir une partie dans des vases de bronze; les autres, percés avec des broches, pétillent sur le feu; la chambre ruisselle de sang. Avant que Térée ait rien appris, Procné fait servir ces mets sur la table de son époux [...]. Assis sur le trône élevé de ses ancêtres, Térée consomme ce repas et engloutit sa propre chair dans ses entrailles. Telles sont les ténèbres qui enveloppent son esprit qu'il commande: "Amenez-moi Itys." Procné ne peut dissimuler une joie cruelle; maintenant elle brûle de révéler elle-même le sacrifice qu'elle a accompli: "Tu as avec toi, dit-elle, celui que tu demandes." Il promène son regard autour de lui et cherche où est l'enfant. [...] mais telle qu'elle était, Philomèle a bondi en avant et lancé la tête sanglante d'Itys à la figure de son père." (traduction de Georges Lafaye)

(burin d'une édition française de 1768)
Finalement, Térée s'apprête à tuer les deux soeurs, quand les dieux décident de métamorphoser l'une en hirondelle, l'autre en rossignol, et Térée en huppe.

Ce qui est l'objet de l'article de Mme Frontisi, c'est essentiellement la question de la condition féminine dans l'antiquité, et du sens à accorder au viol dans les Métamorphoses. Elle prend sur ce point le contrepied d'un article féministe d'Amy Richlin, qui estime que le récit d'Ovide est un texte pornographique donnant une image de la femme dégradée à l'état d'objet sexuel, et asseyant ainsi un pouvoir androcentrique. Je ne reprendrais pas toute son argumentation, mais Mme Frontisi essaye au contraire de montrer que dans le récit d'Ovide, les hommes sont autant victimes que les femmes, et que le plus grand bourreau dans l'histoire, ce n'est pas l'homme mais le destin (ou les dieux).

Ce qui m'intéresse plus directement, c'est la parenté de cette histoire avec le Conte du Genévrier, tel qu'il est rapporté par les frères Grimm, dont j'ai déjà parlé ici. On retrouve le même motif de la mère qui assassine son fils (dans Grimm c'est une belle-mère, mais on sait que dans les contes la belle-mère est une figuration de la mauvaise mère, de sa partie "noire", négative), et du père qui mange son enfant (en ragoût chez les Grimm, en ragoût et en brochettes chez Ovide).
Sauf que le récit d'Ovide se termine mal: l'enfant est définitivement mort: nous sommes dans le domaine du récit mythique, et donc du tragique, où souvent (mais pas systématiquement) les histoires se terminent mal pour les hommes qui sont des jouets entre les mains des dieux. Alors que dans le conte de Grimm, l'enfant ressuscite après une métamorphose en oiseau de feu, et trois épreuves vécues sous cette forme, et qui lui permettent de rétablir justice en tuant sa belle-mère.

Tiens donc, une métamorphose en oiseau? Dans le récit d'Ovide, on a aussi une métamorphose en oiseau. Mais des deux soeurs et de Térée, pas de l'enfant. Ceci est dû, encore une fois, à la différence de genre des deux textes: l'un est un mythe, l'autre est un conte. Et dans les mythes, les métamorphoses sont rarement réversibles. Ne pourrait-on pas néanmoins conclure de tout ça, que derrière la métamorphose des trois adultes en oiseau, chez Ovide, se cacherait une mort symbolique? Ce qui est évident chez les Grimm l'est moins chez Ovide. Mais c'est une piste d'autant plus intéressante que l'oiseau est un symbole psychopompe très répandu.

Maurice Sendak a en tout cas très bien mis en valeur cette dimension morbide de la métamorphose, en rajoutant le détail du crâne au pied de l'enfant-oiseau, dans une illustration du Conte du Genévrier (The Juniper Tree) qui date de 1973.

vendredi 23 novembre 2007

Débuts de la bande dessinée

J'ai lu récemment une excellente analyse d'un album de Gustave Doré (le célèbre illustrateur romantique), intitulé Dés-Agréments d'un voyage d'Agrément (1851), dans la revue électronique Textimage. C'est une amie, Susan Pickford (maintenant Maître de conférences à l'université de Paris-XIII), qui s'est chargée d'expliquer toutes les complexités narratologiques de cette proto-bande dessinée. Un peu théorique et jargonnant à mon goût, mais passionnant quand on s'intéresse aux rapports entre texte et image à l'époque romantique, ou de manière générale à l'histoire de la bande dessinée.


Vous excuserez la piètre qualité de l'image, c'est tout ce que j'ai trouvé sur le web. Au moins, on peut voir que Doré s'amuse avec les conventions naissantes de la bande dessinée (alignement de cases, sur lesquelles ici un importun a marché). Le livre a été réédité récemment, avec une introduction d'Annie Renonciat, par une petite maison d'édition du Gers, Le Capucin, pour ceux que cela intéresse. Dans le même registre, son Histoire de la Sainte Russie est disponible à meilleur marché, et c'est tout aussi désopilant. Pour les parisiens, j'ai vu ce dernier ouvrage à pas cher, récemment, dans un Mona Lisait. Ci-dessous une image qui commente la manière ridicule dont le spectre de la désastreuse campagne militaire napoléonienne, en Russie en 1812, est agité devant des soldats français.

dimanche 18 novembre 2007

L'utopie selon la franc-maçonnerie


A France-Culture ce matin, dans l'émission pudiquement intitulée "Divers aspects de la pensée contemporaine", j'ai entendu un entretien avec un franc-maçon de la GLF qui m'a un peu agacé.
Il avait récemment fait une planche sur l'utopie, et il a opéré une comparaison entre le "non-lieu" et le "non-temps" du rituel franc-maçon avec le non-lieu et le non-temps de l'Utopie de More.
Ce qui montre que si ce monsieur a lu More, il l'a lu un peu rapidement: l'Utopie de More n'est pas un "non-lieu" inscrit de manière atemporelle dans l'histoire. Si c'est un espace fictif, il est néanmoins situé par More dans l'espace réel des mers orientales, et il a une origine gréco-perse, il a été fondé, il est susceptible d'une évolution, etc. Ce n'est pas un instantané intemporel, une pure vision de l'esprit, mais bien une nation fictive, avec son histoire et sa géographie propres, qu'a décrit More. Elle a beau être isolée du reste du monde géographiquement, More s'attarde très longuement sur sa politique extérieure, avec d'autres pays fictifs.
La comparaison avec l'espace et le temps sacrés du rituel me paraît très malvenue. C'est typique de beaucoup de franc-maçons (mais je les connais mal, alors qu'on me pardonne si j'en blesse quelques-uns en disant ça) de brasser les idées de manière approximative, et de citer des sources qu'ils ont mal comprises ou peut-être même pas lues du tout.

samedi 17 novembre 2007

Tour de blogs

A l'invitation de Pernette, et contrairement à mes habitudes, je sors de ma tanière pour parler des blogs, et non pas "créer du contenu", comme on dit. Désolé M. Patouche :-)

Vu que Pernette m'a taguée sur son site (pour la deuxième fois, je suis très flatté!), il paraît que je "dois" faire la publicité de 5 blogs sur lesquels j'apprécie d'aller de temps en temps. Je ne suis pas un grand blogonaute, mais bon... voici la règle du jeu initiale:

“Les personnes récompensées doivent publier un article dans lequel elles feront apparaître à leur tour 5 blogs qu’elles apprécient, avec les liens vers ces derniers pour qu’on puisse les visiter.
Faire un lien vers Ilker pour que l’on puisse savoir d’où vient le prix… !!”

Tout d'abord, l'incomparable Youpifrance, qui est un site d'information sur l'actualité qui cultive le bon goût et la plaisanterie fine, avec des tags très utiles comme "degaullexxxanalgratuit" ou bien "Comité Miss France", "bougnoule", "crève pourriture d'outre espace", et j'en oublie certainement (je cite de mémoire). Un site très sérieux, donc, dans lequel tout est à prendre pour argent comptant, et dans lequel les analyses politiques les plus fines se marient avec les considérations les plus édifiantes sur le déclin de la pêche au poulpe en Mauritanie.

Ensuite, sur un ton un peu différent, je me permets de recommander la visite du blog culinaire de Pernette, avec lequel je suis en totale communion du point de vue gastronomique. J'ai déjà testé moi-même quelques-unes de ses recettes, c'est délicieux, et je ne désespère pas qu'elle rende compte de quelques-unes des miennes que je lui ai envoyées.

Puis, sur des thématiques qui sont plus proches de mon "travail", le blog textuel de Gilles, un ami féru de culture coréenne, dont je trouve les analyses plastiques très intéressantes (il ne parle pas que d'art coréen, rassurez-vous).

Il est difficile de ne pas parler de l'excellent blog d'images tirées de livres, bibliodyssey, qui écume les bibliothèques numériques du monde entier pour donner en pâture à nos yeux avides, des images splendides, tirées de toutes les formes de livres d'images possibles, du manuscrit médiéval au livre enfantin du XXe siècle, en passant par l'estampe victorienne, les cartes géographiques de la Renaissance, les manuels de démonologie du XVIIe siècle, etc. Site bourré d'images, avec à chaque fois une (trop) brève présentation du livre dont elles sont tirées. Pas du tout un blog qui fait réfléchir, mais plutôt une espèce de corne d'abondance d'images toutes plus belles les unes que les autres. Et puis on n'apprend pas qu'avec des mots!

Enfin, un excellent blog littéraire qui souvent mérite de s'y attarder un peu, celui de Pierre Assouline, dont je ne connais pas tellement l'oeuvre littéraire, mais dont j'apprécie le ton quand il parle du monde des lettres, du livre, de l'édition, des dessous des prix littéraires, etc. Le récent billet intitulé "Tintin au Congo, Sarko à Dakar", est très intéressant.

Et puis, tant qu'on y est à parler des blogs, je me permets de faire en quelque sorte de la "publicité négative", et de déconseiller fortement de laisser des commentaires sur le blog d'Alain Korkos, "La boîte à images". Je vais m'attarder un peu sur ce que je reproche à ce blog.

Le gros défaut de M. Korkos, alias M. Ka, est d'affirmer parfois de manière très péremptoire ses interprétations. Récemment, j'ai eu le malheur de faire quelques remarques qui étaient destinées non à nier, mais à relativiser son point de vue, sur un sujet que je pense connaître un peu (l'illustration des contes de fées). Je me suis fait renvoyer comme un malpropre, après un long débat où M. Ka a fait preuve d'un certain ridicule dans son argumentation, qui consistait essentiellement à dire qu'étant donné qu'il est illustrateur depuis plus de trente ans, il est bien placé pour savoir ce qui s'est passé dans la tête de Gustave Doré quand il a illustré La Barbe Bleue de Perrault. Un argument d'autorité, donc, que je me suis permis de stigmatiser comme tel.

Ma récompense, pour avoir essayé d'aider M. Ka à sortir de ses approximations, a été l'effacement de tout le débat dans la liste des commentaires. Comme ça, M. Ka est sûr qu'un prochain lecteur de son blog ne risque pas de voir le ridicule dans lequel il s'est enfoncé. Certains de ses lecteurs l'ont visiblement soutenu, mais d'autres lui ont au contraire fait remarquer le caractère déplacé de son attitude, et ont "pris ma défense". Leur message a également été effacé. En conséquence de quoi, je supprime son site de la liste de mes liens, à regret car de temps à autres, ses analyses sont intéressantes, à défaut d'être approfondies.

mardi 13 novembre 2007

Le dieu des utopiens

C'est fou, le dieu des utopiens selont Thomas More s'appelle Mythra! Je cite le passage:

Au reste, malgré la multiplicité de leurs croyances, les autres Utopiens tombent du moins d'accord sur l'existence d'un être suprême, créateur et protecteur du monde. Ils l'appellent tous dans la langue du pays, Mythra, sans que ce nom ait pour tous la même signification. Mais, quelle que soit la conception qu'ils se font de lui, chacun reconnaît en lui cette essence à la volonté et à la puissance, à laquelle tous les peuples, d'un consentement unanime, attribuent la création du monde.

La traductrice, Marie Delcourt, nous explique que le nom du dieu suprême s'explique par l'origine gréco-perse des utopiens. Mais quand même, c'est bizarre, pourquoi Thomas More, un bon chrétien anglais du début du XVIe siècle, a-t-il voulu faire de la religion de Mythra la religion principale d'Utopie?


Il semblerait (mais là, Hyeronimus en parlerait mieux que moi), que le culte de Mythra ait beaucoup inspiré les premiers chrétiens dans leurs rituels et leur symbolique (on peut noter notamment que Mythra est né un 25 décembre). On peut donc penser qu'au XVIe siècle, le culte de Mythra était considéré comme un espèce de préchristianisme païen. D'autant plus que les utopiens de More sont très réceptifs au christianisme venu d'ailleurs. Si More a choisi le culte de Mythra, c'était donc, semble-t-il, parce que c'était dans son idée la religion préchrétienne la plus propre à accepter le christianisme.
On notera par ailleurs la souplesse dogmatique et la tolérance religieuse des utopiens, qui laissent les gens croire ce qu'ils veulent, du moment qu'ils ne perturbent pas l'ordre public. A tel point qu'un nouveau partisan du christianisme particulièrement zélote est arrêté et exilé:

Un de nos néophytes fut cependant puni en ma présence. Récemment baptisé, il prêchait le christianisme en public, malgré nos conseils, avec plus de zèle que de prudence. Il s'enflamma non seulement jusqu'à dire que notre religion est supérieure aux autres, mais à les condamner toutes sans distinction, à les traiter de mécréances et leurs fidèles d'impies et de sacrilèges promis au feu éternel. On le laissa longtemps déclamer sur ce ton, puis on l'arrêta, on l'emmena et on le condamna, non pour avoir outragé la religion, mais pour avoir excité une émeute dans leur peuple. On le punit de l'exil. Car une de leurs lois, et l'une des plus anciennes, interdit de faire tort à personne à cause de sa religion.

Une première esquisse de ce que sera bien plus tard la loi française sur la laïcité? La conception de la laïcité en tant que séparation des pouvoirs est ancienne, mais je ne sais pas quand apparaît la conception moderne, qui est un cadre politico-juridique prônant une tolérance générale des différentes religions, ainsi qu'une prééminence du droit public sur le droit religieux. L'Utopie de More semble en tout cas en donner les premiers jalons.
D'où la question: devrait-on remplacer le folklore républicain par le culte de Mythra? Ca permettrait peut-être de se réconcilier avec le Moyen-Orient :-)
Ajout du 17-11:
Après consultation d'une amie philosophe, il s'avère que l'idée de la laïcité (comprise comme subordination de l'ordre religieux à l'ordre politique) n'apparaît qu'au XIXe siècle, à une époque où la Révolution Française vient fournir un modèle d'organisation politique dénué, au moins en théorie, de toute dimension religieuse.
Ce qu'on retrouve en revanche dans l'Utopie de More, c'est l'amorce de l'idée d'une religion naturelle: la Constitution d'Utopie est fondée sur le principe unanimement partagé de l'immortalité de l'âme, qui se trouve être un des principes fondamentaux de la religion naturelle chère aux penseurs classiques de la fin du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle (Locke, Hume, Rousseau). Utopie semble donc être en quelque sorte régie par une religion d'état rationnelle, qui prend l'apparence (et c'est là que ça devient intéressant) d'un ancien culte hénothéiste d'origine gréco-perse, révérant au premier chef le dieu Mythra.

lundi 5 novembre 2007

Kiefer

Je ne suis pas d'habitude amateur d'art contemporain, mais je dois avouer que les thématiques et les réalisations d'Anselm Kiefer sont loin de me laisser indifférent. Il vient de passer en entretien avec Emmanuel Laurentin, hier matin à France Culture, dans l'émission "La Fabrique de l'Histoire". Vraiment passionnant, ce monsieur, je conseille vivement aux amateurs de podcaster l'émission, si c'est encore possible. J'ai manqué l'exposition de son oeuvre "Sternenfall" au Grand Palais cet été, mais il semble qu'il expose très prochainement au Louvre.

Seraphim, 1983-1984, technique mixte sur toile, Guggenheim Museum. Une oeuvre qui fait allusion au motif biblique de l'échelle de Jacob, et donc à la kabbale et la mystique chrétienne.

Ci-dessous une oeuvre sans titre, qui date de 1996, et est exposée au Metropolitan Museum of Art. Le sujet reste assez hermétique, mais il fait appel à un imaginaire de la terre, de la végétation, de la mort, qui n'est pas sans rappeler, en tout cas pour moi, celui du poète irlandais Seamus Heaney. Un même rapport à la fois organique et mystique à la terre. On a souvent fait le rapprochement du travail de Kiefer avec Paul Celan (un livre est récemment paru sur ce sujet), mais je crois que Heaney est aussi un rapprochement intéressant. Avis aux comparatistes!


Let a Thousand Flowers bloom, une oeuvre de 2000, toujours au Metropolitan. Où l'imaginaire végétal est travaillé avec celui de l'histoire, et des constructions humaines. Toutes ces briques qui tombent en autant de fleurs, et qui forment ensemble une grande tour de Babel, sur laquelle une ombre totalitaire est projetée. Une sorte de "Maison-Dieu", en quelque sorte, une vanité architecturale qui n'est pas sans signification dans la culture allemande d'après-guerre.

Ce qui me fascine avec cet artiste, c'est qu'il n'hésite pas à reprendre à l'imagerie nazie ce que celle-ci a pris à la culture allemande. Kiefer essaye de retravailler les mythes de l'ancienne Germanie, les architectures national-socialistes, une ceraine imagerie de la forêt allemande, tout en se démarquant des valeurs politiques que l'histoire de ces motifs implique. Pour reprendre ses mots dans l'entrevue avec Emmanuel Laurentin, l'imaginaire national a été "pollué" par son appropriation nazie, et c'est comme s'il essayait d'en reprendre les vestiges, pour en donner une interprétation à la fois expurgée et très personnelle. Kiefer s'interroge sur la mémoire de la culture allemande - en somme sur son identité nationale - tout en maintenant cette interrogation dans une perspective personnelle, humaine, en dehors, il me semble en tout cas, de tout propos politique.

Dem Unbekannten Maler (Au peintre inconnu), 1982, Museum of Modern Art, NY.
Resurrexit, 1973. Encore une fois un imaginaire mystique, dans lequel l'imaginaire allemand (la forêt) et l'imaginaire biblique (le serpent) se mêlent, dans une oeuvre au symbolisme apparemment simple, mais aux implications assez lourdes. On a également rapproché l'oeuvre de Kiefer de celle du peintre Friedrich.
Il se dégage une religiosité dans les oeuvres de Kiefer... qui va de pair avec un imaginaire je trouve très cohérent, fait de terre, de végétation, d'histoire, de mystique juive (ci-dessous Zim Zum, 1990, National Gallery of Art, Washington), de mythologie nationale, de culture chrétienne.
Une vraie oeuvre, en quelque sorte, qui engage beaucoup plus que de simples problèmes formels, ou une quelconque "transformation du rapport du spectateur à l'espace" ou au langage, ou à l'art, etc., qui caractérise trop souvent l'art contemporain depuis les années 1960. Un vrai travail de la matière, mais mis au profit d'un imaginaire qui dépasse l'autotélisme de l'art contemporain habituel. Kiefer a beau être à la mode en ce moment, je pense que son oeuvre mérite d'être qualifiée de grande, et de profonde: il y a une vraie culture qui se dégage d'elle. Non pas une culture superficielle, faite de pseudo-inventions conceptuelles, mais une culture faite de symboles, d'images, et de tensions personnelles.

jeudi 1 novembre 2007

Journée symboliste

Après une soutenance mouvementée mais à l'issue heureuse, rien ne vaut une bonne exploration des musées parisiens. Comme si on n'en avait pas assez de l'histoire de l'art... Après avoir vu les gravures de Giacometti à la BNF (site Richelieu) et les photographies de Steichen au Musée du Jeu de Paume, Cha et moi avons décidé de consacrer la journée du mardi aux artistes symbolistes. On a enchaîné les dessins d'Odilon Redon au Musée d'Orsay, ceux d'Alfred Kubin au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, et les grès de Jean Carriès au Petit Palais.

L'araignée souriante d'Odilon Redon. Oui, elle a dix pattes et une bouche, c'est normal. Oeuvre très connue, mais ça fait plaisir de voir le dessin en vrai.

La Dame Blanche d'Alfred Kubin, et en dessous L'épidémie du même artiste. Cette exposition est vraiment superbe, et une exposition Kubin est tellement rare que je conseille vraiment d'aller la voir. Un univers bien morbide et bourré de clichés, mais vraiment délirant et sur bien des points angoissant. A en réjouir un psychanalyste. A découvrir ou revoir, donc, ce disciple de Félicien Rops, et ancêtre de Beksinski.


Une découverte récente pour ma part, enfin, Jean Carriès, qui est un sculpteur français de la fin du XIXe siècle. Au départ porté sur les sujets religieux, il se spécialise par la suite dans des sujets grotesques, comme des figures hybrides de grenouilles à oreilles de lapin, de faunes (ci-dessous), ou bien dans des masques grimaçants (encore ci-dessous) inspirés de l'art japonais. Il a peint un "Grenouillard" absolument sublime dont je n'ai pas réussi à trouver une image correcte à montrer ici. Mais de toute façon, la sculpture, ça gagne à être vu en vrai, et allez donc voir l'exposition du Petit Palais.

mardi 23 octobre 2007

Guy Môquet

Très beau billet de Pierre Assouline sur le problème de la lecture de Guy Môquet. Je ne veux pas ajouter encore une pierre à l'édifice anti-Sarkozy, mais juste souligner à quel point je trouve grave qu'on puisse même se poser la question de savoir s'il faut obliger les professeurs d'histoire-géographie à lire cette lettre.
On se croirait sous la IIIe république, mais pas la meilleure, celle de Maurice Barrès visiblement, qui remporte les suffrages d'Henri Guaino, l'une des principales plumes de notre président. Ma IIIe république est celle de l'instruction citoyenne, pas celle de la communion charnelle avec la nation. Il ne s'agit pas de qualifier M. Guaino de raciste, mais de nationaliste dans le pire sens du terme. La nation est une construction idéologique, est-il nécessaire de le rappeler? Pas une entité avec laquelle on fait corps. On croirait retrouver le vocabulaire ontologique des théologiens...
Il n'est pas question que la laïcité française se transforme en une nouvelle religion, et que l'Etat français devienne une église. Soit pour les cérémonies, mais pitié, ne les transformons pas en rituels. Le folklore républicain a servi en son temps, et depuis les trente glorieuses j'ose espérer qu'on n'en soit pas rendu à venir s'agenouiller devant la Sainte Marianne, et à brandir la Déclaration des Droits de l'homme comme un texte sacré. Et qu'on ne fasse pas de Guy Môquet un martyr, mais une figure historique, qui certes a valeur de symbole, mais n'a pas lieu d'être sacralisée. Non, la nation n'est pas un sujet politique fondamental. Ceci dépend, toutefois, de la conception qu'on a de la politique. Si on reste sur les acquis du XIXe siècle, c'est sûr que M. Guaino a toute sa place.
Je me suis trouvé plus long que je ne l'aurais voulu. Juste préciser, donc, qu'il serait temps de réviser ses classiques, et de comprendre que le cours d'histoire n'est pas un cours de catéchisme civique.

lundi 15 octobre 2007

Présentation de votre serviteur

Bonjour,

Mon cher François vous ayant annoncé ma venue, ma présentation est donc bienvenue. Hieronymus est mon pseudonyme et il est un fait : je n'ai pas l'érudition de mon ami dans le domaine des contes de fées, du folklore et de l'Art.
Cependant, je pense deviner l'origine de cette invitation dans mes centres d'intérêts, c'est-à-dire les mythes, les religions préchrétiennes, l'ésotérisme, la psychologie jungienne dite des profondeurs, et un sincère amour de la Forêt (tant le lieu que l'Idée). Puisque François et moi aimons pêcher le saumon au pied des noisetiers et fouiller de nos groins les racines des chênes, j'accepte avec joie de me poser sous l'Ombre Verte.
Je sortirai épisodiquement de mon oratoire afin de vous faire part de mes amours, de mes colères et de mon ennui.

A bientôt, l'heure est au repos...


samedi 13 octobre 2007

Nouvel arrivant

Le blog de François devient également celui où Hieronymus viendra de temps en temps s'exprimer. Et un petit Bosch pour souhaiter la bienvenue, en musique, à Hieronymus!

lundi 8 octobre 2007

En quête des juments de la nuit - 3

Suite et fin des chevauchées nocturnes. Le début ici, la suite .

Je suis en train de lire un journal de voyage au Maroc d'un écrivain d'expression allemande, d'origine juive bulgare mais de nationalité anglaise et turque, Elias Canetti. Vous voyez un peu le caractère cosmopolite du personnage. A ma grande et heureuse surprise, dans Les voix de Marrakech, je suis tombé sur ce passage, où le narrateur (Elias Canetti) pose à un quidam des questions sur un chameau que l'on s'apprête à abattre. Ce quidam nous dit:

"Le tueur vient de l'abattoir et il pue le sang de chameau. Le chameau n'aime pas ça. Un chameau peut être dangereux. Lorsqu'il est enragé, il vient la nuit et tue les gens dans leur sommeil. - Comment peut-il tuer les gens? demandai-je. - Lorsque les gens dorment, le chameau vient, il baraque sur eux et les étouffe. Il faut faire très attention. Avant que les gens ne s'éveillent, ils sont déjà étouffés. "

Autres latitudes, autres formes pour l'esprit oppresseur des nuits! La jument est au Maroc remplacée par un chameau, mais on retrouve la même idée de piétinement et d'étouffement dans les superstitions populaires de l'autre côté de la Méditerranée.

Mais revenons à nos cauchemars anglais.
La dernière fois, j'avais montré la parenté étymologique (Mahr/mare) et symbolique (le piétinement) qui existait entre la jument et l'esprit nocturne. L'aspect simiesque de la petite figure a fait dire à certains chercheurs (dont Christopher Frayling) qu'il avait peut-être à voir avec "l'homme sauvage" qu'imagine le 18e siècle post-rousseauiste, quand les premières théories d'histoire naturelle opérant une filiation entre l'homme et le singe sont élaborées (Buffon notamment). Soit, dirais-je, mais pourquoi représenter un tel "homme sauvage" dans une allégorie du cauchemar? On a vu que le mara, l'esprit nocturne oppresseur, avait un rapport avec l'incube. L'iconographie des incubes n'a pas, du moins à ma connaissance, une grande fortune à l'époque de Fuseli: seuls les traités de démonologie en parlent, et ils sont rarement illustrés. Ou quand ils sont illustrés (un exemple ici), la forme des démons est mouvante, et se caractérise surtout par sa monstruosité et sa bestialité. Tout au plus peut-on donc rapprocher la forme du Mahr de Fuseli de celle d'un démon en général, mais pas d'un incube en particulier. La connotation sexuelle de l'incube est très forte par rapport à celle du Mahr, qui est un esprit tourmenteur de manière générale, pas spéciquement érotique. La dimension érotique du motif est néanmoins présente, comme vient le souligner, ci-dessous, une reprise de l'oeuvre de Fuseli, en 1800, par Nikolaj Abraham Abildgaard, un peintre danois.

Dans cette dernière composition, la femme est nue et a les jambes écartées. L'esprit nocturne est de plus tourné vers son sexe: la connotation érotique est donc accentuée. Mais le cheval a disparu: on n'a plus l'idée de piétinement, seulement celle de pénétration, d'incubation qui caractérise l'incube. Ici le tourment est spécifiquement sexuel, et on a affaire à un incube, et plus à un mara.

Quand on revient, toujours avec Claude Lecouteux, sur l'histoire des superstitions païennes, on se rend compte que le cauchemar a un rapport avec les elfes. Au départ, dans la mythologie scandinave, le nain est une créature plutôt maléfique, chtonienne, voire psychopompe, et l'elfe est au contraire une entité plutôt bénéfique, liée aux Vanes qui sont les dieux de la magie et de la fertilité. Les elfes sont de plus également liés aux esprits des morts. Mais à partir du 13e siècle, en langue allemande, le terme (alp) désignant l'elfe désigne également le nain et le cauchemar:

"En Allemagne, "elfe" (alp, elbe) est rarissime dans les textes jusqu'au XIIIe siècle; à partir de cette époque, le mot est systématiquement employé comme synonyme de "nain" (zwerc), ou de "cauchemar" (mar)."
Plus loin:
"En ancien haut allemand "elfe" (alp) désigne le cauchemar, et aujourd'hui celui-ci est appelé "pression de l'elfe" (Alpdruck) ou "rêve elfique" (Alptraum). En fait, l'elfe et l'entité que les Germains appelaient mar, masculin et féminin dans tous les idiomes germaniques, sont distincts à l'origine."

Ce n'est que tardivement que l'elfe et le cauchemar seront donc rapprochés. A partir du Bas Moyen-Âge, Mahr et Alp sont confondus. De deux mots pour désigner le "mauvais rêve", on a rapproché et fait se fusionner les deux agents. D'abord parce que les elfes sont liés à la mort et à la magie (et donc au caractère illusoire du rêve), et ensuite parce qu'un retournement de valeur s'est opéré au Bas Moyen-Âge entre les nains et les elfes:

"Le vocable "elfe" est donc devenu un nom collectif, un terme générique qui englobe tous les esprits nocturnes et nuisibles. Il s'oppose maintenant à "nain", terme lui aussi collectif, qui désigne les autres petites créatures des croyances populaires, bénéfiques cette fois. Entre disons le IXe et le XIIIe siècle, il y a eu inversion des caractères: la bonne créature [l'elfe], celle à laquelle s'adressaient des rites propitiatoires, est devenue maligne, tandis que l'être malfaisant [le nain] s'est transformé en une personne sympathique et bienveillante, celle que nous présentent souvent les contes et les légendes."

Voilà qui explique pourquoi le Mahr de Fuseli a les oreilles pointues, comme un elfe: c'est qu'un retournement s'est effectué et qu'à l'elfe, contrairement à la fée, sont attachées des valeurs négatives au départ seulement attribuées aux nains. Le Mahr de Fuseli représente une espèce de synthèse entre le nain et l'elfe, un "elfe sombre" en quelque sorte, qui est un elfe empruntant au nain son caractère maléfique et trapu.

Il est à remarquer que l'une des raisons pour laquelle nain, elfe et cauchemar ont été amalgamés "disons entre le IXe et le XIIIe siècle", c'est que l'elfe comme le nain sont des esprits liés à la mort, soit comme esprits psychopompes qui emportent les âmes des morts, soit plus fondamentalement comme des esprits des morts, des esprits des ancêtres transformés en petites divinités (pour les elfes, qui avaient droit à un culte, contrairement aux nains). Et quel animal est psychopompe, dans la mythologie germano-celtique, sinon le cheval?

Pour résumer, parce qu'avec tout ces sauts entre les siècles et les entités, on s'y perd un peu. Au départ (mythologie nordique), il y avait des nains (zverc, ancêtre de dwarf) maléfiques et des elfes (alp, ancêtre d'elf) bénéfiques, les uns psychopompes et les autres représentations des ancêtres morts. Les deux entités sont amalgamées au Bas Moyen-Âge, en même temps qu'elles sont assimilées aux esprits nocturnes (Mahr) des mauvais rêves. Ce qui amène à une inversion des valeurs entre nains et elfes, les premiers devenant bénéfiques dans les contes, et les seconds devenant maléfiques.
Quand Fuseli, au 18e siècle, reprend cette vieille représentation du cauchemar, il ajoute encore une couche de représentation: le cheval, ou la jument qui piétine. Comme il ne peut pas représenter en une même entité un cheval et un esprit anthopomorphe, il représente d'un côté la jument de la nuit (night mare), et de l'autre l'esprit nocturne, qui emprunte sa forme trapue aux nains, et ses oreilles effilées, sans doute, aux elfes.Mais reste un détail à expliquer... Comment faire la jonction entre les deux figures? Comment combler le fossé narratif, au niveau de la représentation picturale, entre la figure chevaline et la figure anthropomorphe?

Hypothèse qui est mienne, mais qui je trouve fonctionne très bien: la jument est la monture de l'esprit. C'est la jument qui a amené l'elfe, c'est pourquoi on la voit en retrait par rapport à la scène. Et d'autre part, elle se trouve derrière un rideau: il n'est pas difficile, dès lors, d'interpréter ce rideau comme celui qui sépare notre monde de l'autre monde (ou, si on considère la scène véritablement comme un rêve, qui sépare la conscience de l'inconscient). La jument aurait donc amené la créature maléfique, le Mahr, de l'autre monde, du monde qui se trouve derrière le rideau, et l'esprit aurait alors jailli pour venir tourmenter la dormeuse.
Cette hypothèse semble d'autant plus intéressante qu'on peut de ce point de vue rapprocher le tableau de Fuseli d'un passage de l'histoire de Lancelot telle qu'elle est racontée par Chrétien de Troyes. Dans Lancelot, le héros rencontre, quand il se lance à la recherche de Guenièvre enlevée par Méléagant, un nain conduisant une charrette d'infamie. Claude Lecouteux interprète ce passage de Lancelot dans la charrette du nain comme un passage dans la charrette des morts, comme un passage vers l'autre monde.
Avec en tête cette dimension psychopompe de la figure du nain, dont le Mahr de Fuseli est l'héritier, on peut aborder la scène peinte par Fuseli non seulement comme une scène de mauvais rêve, mais également comme une scène de mort. L'esprit nocturne, tel l'Ankou du folklore breton, est venu non seulement tourmenter une dormeuse, mais recueillir son âme pour l'emmener dans le royaume des ombres. Ombre sur laquelle Fuseli insiste, d'ailleurs, dans la version de 1782, entre la jument et l'esprit, et qui forme ainsi une sorte de troisième terme, permettant de combler le vide sémantique qui existe entre les deux figures.

Interprétation morbide, donc, qui vient s'opposer à l'interprétation érotique qu'on a souvent fait du tableau. S'opposer? Entre une mourante, et une femme se faisant posséder par un incube... Peut-être qu'Eros et Thanatos ne sont pas si éloignés que ça.

En tout cas, ça montre bien qu'un chef-d'oeuvre, ça porte du sens à n'en plus finir.

samedi 6 octobre 2007

Soutenance

La date définitive de soutenance de ma thèse est arrêtée. C'est le vendredi 26 octobre, à 14h30, à l'INHA, à Paris, que je défendrais mon travail devant un jury composé de:
M. Paul-Louis Rinuy (mon directeur), Professeur d'Histoire de l'art à Paris VIII,
Mme Ségolène le Men, Professeur d'Histoire de l'art à Paris X et à l'Institut Universitaire de France,
M. Barthélémy Jobert, Professeur d'Histoire de l'art à l'université Paris IV,
M. Alain Bonnet, Maître de Conférences en Histoire de l'art à Nantes,
Mme Nicole Belmont, Directeur d'études d'Anthropologie à l'EHESS.

La soutenance est publique, cela veut dire que n'importe qui peut venir. Âmes impatientes s'abstenir, néanmoins, car la séance dure environ 4 heures. Pour se rendre à l'INHA, voir sur leur site.

Le sujet de ma thèse est:


L'illustration victorienne des Contes de Grimm:

George Cruikshank,


Richard Doyle,


Walter Crane,


Arthur Rackham.

mercredi 3 octobre 2007

Sous la cendre

C'est le nom d'une toute prochaine parution de chez José Corti. Ceux qui me connaissent savent à quel point j'idolâtre cette maison d'édition. Leur collection "Merveilleux" est particulièrement bien achalandée. Dans cette anthologie, c'est l'histoire de Cendrillon qui est à l'honneur, dont vous voyez ci-dessous une illustration d'Arthur Rackham (frontispice de la version Perrault, 1919).

L'anthologie est établie par Nicole Belmont, anthropologue spécialiste du conte oral, directrice d'études à l'EHESS (qui en passant fera partie de mon jury de thèse); et Elizabeth Lemirre, spécialiste du conte de fées littéraire qui a réédité notamment le célèbre Cabinet des Fées, anthologie du conte de fées précieux qui date du 18e siècle.
Sous la cendre est un beau titre pour une anthologie dédiée à Cendrillon. Elle répertorie un certain nombre de variantes du célèbre conte, dont nous ne connaissons souvent que la version Perrault ou la version Grimm. La plus ancienne version de l'histoire serait chinoise, et daterait du 9e siècle après J.-C.

Lointaine héritière des vestales antiques qui gardaient le feu sacré du temple de Vesta, déesse du foyer, la figure de Cendrillon est très dense symboliquement. Associée au foyer en tant qu'espace domestique, elle est également associée au foyer en tant que feu autour duquel vient se construire cet espace domestique. J'en avais déjà un peu parlé ici.
Assistée par une fée marraine dans la version Perrault, par un arbre enchanté souvenir de sa défunte mère dans la version Grimm, Cendrillon à travers ses épreuves et ses métamorphoses se libère de ce qui la lie au foyer. Par le mariage, elle passe d'un foyer à un autre, de son foyer paternel à celui de son futur époux. Ce qui veut dire qu'elle va se défaire de son habit de cendre, s'éloigner de son ancien foyer, et en même temps se débarasser de sa virginité (on fera remarquer que, dans l'Antiquité, les vestales étaient nécessairement vierges).

Sous la cendre couve donc le feu... du mariage, d'un nouveau foyer, et d'une sensualité à conquérir. Le sage Arthur Rackham ne retransmet pas tout cela dans le frontispice ci-dessus, mais l'air inquiet et impatient avec lequel Cendrillon se presse de regarder vers l'extérieur le laisse fortement présager. Il se trouve que ce frontispice en couleurs ouvre un livre qui est par ailleurs totalement illustré de silhouettes monochromes, comme celle ci-dessous, et qui constitue une singulière manière de représenter le conte de Cendrillon.
Hommage à l'imagerie précieuse des contes de fées du 18e siècle, cette utilisation de la silhouette permet également d'insister sur la forme florale de la robe de l'héroïne, qui reste néanmoins ici en bouton. La corolle s'ouvre, à l'inverse, dans l'illustration en 1909 de la version Grimm par le même artiste (le conte arbore alors le nom allemand, Aschenputtel).
Eloge discret de la sensualité, l'interprétation par Rackham de la figure de Cendrillon ne découvre néanmoins qu'une de ses facettes. Nul doute que l'anthologie publiée par Corti ne nous en fasse découvrir d'autres.

vendredi 28 septembre 2007

Les Grimm aux Blancs-Manteaux

Natacha n'a même pas eu le temps de diffuser l'information que je m'en rends compte en consultant le programme du 17e salon de la revue, qui a lieu du vendredi 19 au dimanche 21 octobre à l'espace d'animation des Blancs-Manteaux, dans le 4e arrondissement à Paris. Elle nous fait une petite conférence sur les frères Grimm et leurs contes, le samedi 20, de 13h30 à 14h30.

Rien d'absolument exceptionnel pour cette spécialiste des deux philologues allemands, mais j'invite les quelques parisiens que je connais (et que je ne connais pas), qui s'intéressent de près ou de loin au romantisme ou aux contes de fées, à aller boire ses paroles. Elle connaît son sujet sur le bout des doigts. Moi je travaille pour Lire en Fête, et je ne pourrais malheureusement pas être là (mais j'ai déjà eu l'occasion de l'entendre sur le même sujet). Aussi, si vous y allez, saluez-là de ma part, comme ça on verra à quel point mon blog est lu de toute la francophonie. Et puis, pour ceux qui viendront à ma soutenance une semaine après, ça fera une petite mise au point.Aller au salon des revues permettra également aux curieux d'aller voir La Grande Oreille, belle revue sur les arts de la parole, à laquelle je n'ai malheureusement pas pu m'abonner pour l'instant, faute de sous... En plus de ça, des tas de numéros qui m'intéressent sont épuisés! Et les bibliothèques de Tours n'y sont pas abonnées! Il est vraiment temps que je m'abonne tout seul, comme un grand...