mardi 30 novembre 2010

Visage Vert, 17e du nom

Je suis très en retard par rapport au moment où j'ai reçu mon exemplaire, aussi j'espère qu'Anne-Sylvie Salzmann me pardonnera: j'étais pris par d'autres lectures... Voilà mon compte-rendu du 17e numéro du Visage vert. Ou plutôt devrais-je dire mon appréciation personnelle d'une partie seulement du numéro: je n'ai pas tout lu, et mon avis sur ce que j'ai lu n'engage évidemment que moi. Je ne prétends donc pas donner des leçons, simplement donner mon humble impression personnelle: les auteurs et éditeurs prendront dans mon compte-rendu ce qu'ils jugent pertinent, et rejetteront le reste.

Par où commencer? Mettons par le début, soit Romain Verger, dont j'ai vraiment apprécié l'imaginaire étrange et sylvestre, quoique certaines coquetteries de style, parfois un peu lourdes (ainsi du pléonasme “fresque pariétale”) m'engageraient à l'inviter à raffiner son style dans le sens de l'austérité. Je pense sincèrement que la prose de Romain Verger gagnerait à délaisser Huysmans et les autres fin-de-siècle, et à relire Nerval et Hoffmann. Toujours est-il que l'auteur, notamment dans “Sylvia” et “Aux champignons” (“Vlad” m'a semblé plus convenu, et pour tout dire peu intéressant) sait distiller une atmosphère d'étrangeté qui confine parfois au cauchemardesque, et que cette capacité à donner une ambiance à un récit (qui par ailleurs est minimaliste) n'est pas donné à tout le monde. Une plume prometteuse.
La nouvelle de Judith Gautier est assez intéressante, et même si elle ne me semble pas constituer la trouvaille du siècle, elle manie des thématiques qui, pour être devenues des clichés (la fleur mortelle exotique, l'histoire d'amour italienne...) sont néanmoins inscrites dans une narration tout à fait bien menée. “La Fleur-Serpent” se lit et délasse bien, on ne lui en demandera pas beaucoup plus. Du point de vue de l'histoire littéraire, elle ménage un pont intéressant entre le romantisme de Gautier et l'écriture fin de siècle de Vernon Lee, Jean Lorrain, etc.
J'ai énormément apprécié le récit de Rhys Hughes, “La déconfiture d'Hypnos”, qui est à la fois brillamment écrit (et probablement brillamment traduit) et assez inattendu dans sa forme narrative comme dans son ton humoristique. Le titre français est excellent, véritable trouvaille de traducteur. Ce récit de Rhys Hughes me rappelle un peu les Fictions de Borges: je crois que c'est l'impression que l'auteur est parti d'une idée métaphysique un peu bizarre avant de la transformer en récit, et n'est pas parti d'une situation, d'une impression ou d'un personnage. Très drôle en tout cas, et pour le coup c'est (pour moi) une vraie découverte: j'engage le Visage vert, s'il s'en sent les épaules, à traduire davantage de nouvelles de cet auteur gallois dans le cadre de sa maison d'édition fraîchement née.
J'ai du mal, en revanche, à comprendre l'enthousiasme de la revue pour la prose de Cristian Vila Riquelme, dont les récits, certes assez étranges, m'ont vraiment paru poussifs. C'est sans doute aussi l'effet de la traduction, qui en bien des endroits m'a semblé très maladroite, et a laissé des coquilles qui gênent vraiment la lecture (oubli de la ponctuation...). Toutefois, dans “Retour”, l'artifice, autrement appréciable, de l'adresse du narrateur à un “consul” auquel il rendrait un rapport ou écrirait une lettre paraît particulièrement impertinent à la fin du récit quand le dit narrateur disparaît dans l'autre monde... le rendant ainsi incapable de rédiger le dit rapport ou la dite lettre. L'ensemble me fait vraiment penser à un prosateur qui veut faire de la poésie “sans le savoir”, ou plutôt sans le dire, et qui n'y parvient donc guère.
Le conte de Jessica Almonda Salmonson est très bien, mais je me suis vraiment demandé ce que sa version apportait par rapport aux versions folkloriques dont elle s'est inspirée. C'est sans doute mon côté anthropologue qui ressort (d'où sort-il d'ailleurs, vu que je ne suis pas anthropologue du tout?), mais j'ai en général tendance à privilégier les contes populaires aux réécritures, sauf bien évidemment quand celles-ci apportent quelque chose de nouveau (ce qui ne me semble pas être le cas de “La femme qui avait épousé un phoque”). Mais pourquoi pas: en tout cas, c'est une très jolie histoire.

Dans le dossier “Présences cachées” j'ai particulièrement apprécié la nouvelle de John Buchan, les deux autres m'ayant laissé relativement indifférent. “Skule Skerry” est un récit vraiment très bien écrit (et traduit), très fluide, très agréable à lire: on se trouve véritablement face au “beau style” qui fait l'attrait majeur de la littérature anglaise, fût-elle “de genre”, de cette période. Rien de transcendant, encore une fois, mais une belle histoire qui raconte l'entrevue (ou non ?) d'un ornithologue anglais avec un selkie dans les Orcades peut difficilement laisser indifférent un amateur d'histoires où l'autre monde se laisse entrevoir à l'homme aventureux. Par contraste, la nouvelle d'Edward Fredric Benson me semble assez convenue, et pour tout dire relativement poussive: cette entrevue, sur fond d'hôtel suisse mal décrit, avec une espèce inconnue d'hominidés me rappelle “le Horla”, à savoir une sorte de fantastique dépourvue de magie que je ne goûte guère. Quant à Paul Busson, je ne l'ai lu qu'en diagonale, n'appréciant qu'à petites doses l'artifice, ici mis en scène de manière particulièrement lourde, du récit enchâssé.
L'article critique de Michel Meurger est, comme à l'habitude de l'auteur, d'une prodigieuse érudition qui force l'adhésion. Toutefois, on pourra sans doute lui reprocher un goût un peu trop prononcé pour les affèteries stylistiques, goût qui rend parfois un peu difficile d'accès son discours ; ainsi on relèvera “une culture rustique saturée de démonie” pour parler des superstitions populaires ayant trait aux démons et diables, ou bien “le sieur Sänfftle” au lieu d'un sobre et pourtant compréhensible “Sänfftle”, etc. Certaines mises en perspective me semblent par ailleurs maladroites: “Bon sismologue, [Paul Busson] a su capter les vibrations d'un réveil dionysiaque paysan” ; j'ignorais qu'il y eût, à la fin du 19e siècle, un renouveau des croyances païennes en Europe dans le monde paysan, croyant naïvement qu'il s'agissait d'un tropisme qui avait uniquement agité le monde lettré, savant, majoritairement urbain (Machen, Giono, Yeats, Crowley... mais aussi Barrie ou Grahame). Il faudra que Michel Meurger nous le montre, ou alors qu'il révise son jugement ou sa manière d'écrire.

Un dernier mot sur la présentation graphique de la revue, qui d'après ce que j'ai compris devrait encore évoluer dans les prochains numéros depuis que le Visage vert a quitté le gîte de la maison Zulma. La maquette est vraiment très belle et très originale, mais en effet le cadre rend sans doute difficile la mise en pages, et les notes de bas de page au milieu du texte sont assez dommageables. L'illustration, en revanche, est de très grande qualité, et on ne saura jamais assez remercier les petites maisons comme le Visage vert de prendre soin de la qualité visuelle de leurs publications, qui se fait certes à la mesure de leur budget, mais avec goût et ténacité. Merci à vous, et bon vent vers l'autre monde (et retour !).




samedi 13 novembre 2010

Soirée Grimm, Paris

Je me contente de reproduire cette info du blog/carnet de recherches Le Magasin des enfants (manière de lui dire bonjour en passant).
Je regrette vraiment de ne pouvoir être là, d'autant plus que j'ai aussi une responsabilité (tout à fait mineure, certes) dans l'ouvrage, que Natacha est une amie et que Mme Belmont était à ma soutenance et est quelqu'un qui a beaucoup de choses très intéressantes à dire sur le conte. Habiter en province, parfois, c'est difficile...

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Nous signalons cette manifestation culturelle à l’Institut Goethe de Paris:

« Et si l’on (re)lisait… Grimm »


Lundi 15 novembre 2010, 19h
Goethe-Institut – 17 avenue d’Iéna, 75116 Paris
Français
Entrée libre – Réservation conseillée
Tél. +33 1 44439230

Dans le cadre des Journées du Livre Européen, en coopération avec les éditions José Corti
En présence de Natacha Rimasson-Fertin, traductrice et germaniste (maître de conférences à l’Université Stendhal-Grenoble 3) de Nicole Belmont (anthropologue européaniste, enseignant-chercheur à l’EHESS).
Lecture: Lucie Bataille (comédienne)

http://www.goethe.de/ins/fr/par/ver/fr6684602v.htm

vendredi 29 octobre 2010

Svankmajer

Jan Svankmajer

Hier soir aux Studios, à Tours, nous avons eu la chance d'assister à une projection des Conspirateurs du plaisir (1996) de Svankmajer, réalisateur tchèque surtout connu pour ses films d'animation, en sa présence. Non seulement le film était passionnant - je ne dirais pas “déroutant” parce qu'en fréquentant Lynch ou Gilliam les idées surréalistes, l'imaginaire sexuel ou la narration métaleptique sont devenus familiers au spectateur “exigeant” -, mais Svankmajer s'est également montré très aimable dans ses réponses aux questions, nombreuses et intéressantes, du public.


Alice de Jan Svankmajer (1988)

Ce qui déroute le plus, c'est de se rendre compte que des cinéastes de l'ampleur de Svankmajer ne sont pas mieux connus en France, qui se targue pourtant d'être l'un des hauts-lieux du 7e art. Une rétrospective complète de son œuvre (la première en France), animée par le sympathique et savant Pascal Vimenet, a néanmoins lieu en ce moment au Forum des images, à Paris. Ce soir, vous pourrez voir son adaptation d'Alice, qui est à mille lieues du médiocre long-métrage de Tim Burton dont on nous a bassiné les oreilles lors de sa sortie. Allez voir l'Alice de Svankmajer, vous comprendrez ce que c'est qu'une adaptation personnelle et réellement troublante du chef-d'œuvre de Lewis Carroll.

lundi 11 octobre 2010

Naissance de l'album

Walter Crane, The Frog Prince (original en couleurs), Routledge, 1874.

Avis aux amateurs : je donnerai vendredi une conférence organisée dans le cadre des Matinées du Patrimoine, cycle de conférence sur l'histoire du livre et de la littérature de jeunesse proposé par La BnF, Centre national de la littérature pour la jeunesse / La Joie par les livres:

* “Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott, ou la naissance de l’album moderne pour enfants
Par François Fièvre, chercheur en histoire de l'art associé à l'université de Tours.

* PRÉSENTATION : Le travail de Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott représente, dans les années 1870 en Grande-Bretagne, un moment important de l’histoire du livre pour enfants : pour la première fois peut-être, l’espace de la double-page, et du livre dans son intégralité, est organisé selon une logique imposée par l’image et non plus par le texte, consacrant ainsi la naissance de l’album moderne pour enfants. La conférence se propose d’examiner en détail quelques-uns de ces albums anglais, souvent peu connus et en tout cas peu étudiés en France, ainsi que d’engager à une réflexion à la fois lexicale et historiographique sur les limites à poser entre album et livre illustré.

Kate Greenaway, illustration pour Under the Window, Routledge, 1878.


* INFORMATIONS PRATIQUES : vendredi 15 octobre, 9h30-12h30, dans les locaux du Crédit muutuel, 88 rue Cardinet, 75017 Paris.

* LES MATINEES DU PATRIMOINE
Conférences sur l’histoire du livre et de la littérature de jeunesse:
des spécialistes, universitaires ou professionnels du livre, évoquent
l’évolution de l’édition jeunesse et des différents genres et thèmes de
la littérature enfantine, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Avec le soutien de la Fondation du Crédit Mutuel pour la Lecture
www.cmutuel.com/fondation .

Randolph Caldecott, The Diverting History of John Gilpin, Routledge, 1878.


GRATUIT sur inscription

* RENSEIGNEMENTS / INSCRIPTIONS
Marion Caliyannis
Bibliothèque nationale de France
Centre national de la littérature pour la jeunesse – La Joie par les livres
Quai François Mauriac 75706 Paris Cedex 13
Tel : 01 53 79 57 06 / Fax 01 53 79 41 80
Courriel : prénom.nom@bnf.fr (et remplacer par marion.caliyannis)

dimanche 26 septembre 2010

Le bois et le jardin

Thoreau

Les nouvelles traductions sont à la mode... Autant je doute de la pertinence de celles du genre des Confessions de saint Augustin, dont le titre avait de manière polémique été transformé en les Aveux en 2008, autant Walden, de Thoreau, souffrait dans la précédente traduction de G. Landré-Augier d'avoir été retranscrite dans un français très lourd, voire poussif (j'ignore ce qu'il en est de la trad. de Fabulet chez Gallimard), et nécessitait sans doute une retraduction. Même si l'original est très digressif et parfois assez long, le style de Thoreau est loin d'être chargé, et je pense que la nouvelle traduction de Brice Matthieussent, parue ce mois-ci chez Le Mot et le Reste, sera très bonne. Je dis "je pense" parce que je n'ai pas encore eu le temps d'aller la voir, mais vu l'expérience du traducteur, qui s'est déjà confronté à la plupart des grands noms de la littérature américaine, je pense que l'on peut y aller les yeux fermés.

Arthur Rackham pour James Matthew Barrie, Peter Pan in Kensington Gardens, 1906
(pour célébrer la venue de l'automne)


En revanche, n'allez pas acheter les yeux fermés la nouvelle traduction par Céline-Albin Faivre de Peter Pan in Kensington Gardens de James Matthew Barrie, illustré par Rackham, parue il y a quelques jours. Autant il faut remercier les éditions Terre de Brume pour avoir accepté de rééditer un tel chef-d'oeuvre de la littérature enfantine avec l'intégralité des illustrations de Rackham, ce qui ne s'était pas fait en France depuis... 1907, autant on peut reprocher à cette nouvelle traduction d'être émaillée de lourdeurs, et surtout de contresens, comme ce "little persons" de la première ou deuxième page, je ne sais plus, qui est traduit par "petit peuple", faisant ainsi allusion aux fées alors qu'il n'est ici question, dans le texte de Barrie, que d'enfants (dans ce passage tout du moins, les fées apparaissant ultérieurement*)... Pour le reste, les illustrations couleur de Rackham sont superbement reproduites - j'ai plus de réserve pour les illustrations noir et blanc reproduites à l'encre violette, ce qui est très laid**. Et bien sûr le texte de Barrie est à lire (en anglais de préférence).

Dans la veine du romantisme écologique, il convient également de signaler la sortie, aux éditions Finitude, de la Vie dans les bois de Charles Lane, un livre auquel Thoreau a visiblement beaucoup pensé quand il a écrit Walden. C'est visiblement la première traduction française de ce court essai. L'automne se passera donc dans les bois ou les jardins, selon les goûts...

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* Au passage : l'expression consacrée en anglais pour le "petit peuple", c'est-à-dire les fées, est "little people", pas "little persons"...
** Décidément j'aime énormément la ligne éditoriale de Terre de brume, mais pas leurs maquettes (ni leur site en flash, d'ailleurs)...

vendredi 17 septembre 2010

Une bataille de chiffres

Marion Bataille, designer célèbre pour avoir réalisé un magnifique abécédaire pop-up, vient de sortir, chez Albin Michel, un magnifique livre sur les chiffres, dont la caractéristique est que les chiffres, de 1 à 10, se déplient et se retournent de manière à laisser apparaître un autre chiffre qui, additionné au premier, donnera systématiquement la somme de 11 : ainsi le 2 laisse apparaître un 9, le 9 un 2, le 3 un 8 et le 8 un 3, etc. Le livre joue ici sur la particularité des chiffres qui est qu'ils peuvent se combiner entre eux par des opérations mathématiques (ce qui n'est pas le cas des lettres de l'alphabet, qui s'agrègent, s'accumulent en mots, mais ne s'additionnent pas), mais c'est surtout une formidable expérience visuelle qui permet de mieux voir des formes devant lesquelles on passe habituellement de manière indifférente.



Quoi de commun entre un 9 et un 2 ? Tout, sauf la barre horizontale inférieure: tout dépend de la manière dont on le dessine, et c'est là que résident le travail et la réflexion de Marion Bataille.

Merci à Jean Véronis d'avoir signalé cette publication.

mercredi 15 septembre 2010

Rumpelstiltskin

Tiens, une nouvelle application Ipad (et Iphone) destinée aux enfants reprend un conte de Grimm, Rumpelstiltskin, signe, s'il en était besoin, de la prégnance de ces contes (plutôt que ceux de Perrault ou d'Andersen) dans l'imaginaire enfantin anglo-saxon.



Assez bizarrement, cette application consiste à feuilleter un livre virtuel, livre pop-up, certes, et amélioré avec pléthore d'animations impossibles dans un livre papier, mais livre quand même : signe, cette fois-ci, de la permanence de la forme symbolique du livre quand il s'agit de raconter une histoire. La mort du livre tant de fois annoncée, qui serait remplacé par l'écran, n'est qu'une vaste fumisterie: tant qu'on éprouvera le besoin de raconter des histoires, le livre, papier ou autre, répondra présent.

dimanche 29 août 2010

Russie éternelle

Entre 1909 et 1912, Sergüeï Prokoudin-Gorski (1863-1944) entreprit, avec le soutient du tsar Nicolas II, de photographier les territoires et les habitants de l'Empire Russe. Grâce à un appareil spécial permettant de prendre des séries de trois photos en noir et blanc, successivement avec des filtres rouge, vert et bleu, puis en les superposant et les projetant sur un écran, il pouvait obtenir des couleurs de qualité exceptionnelle.
Le Boston "Big Picture" propose quelque 34 clichés parmi les centaines que contient cette collection de la Bibiothèque du Congrès (voir l'exposition en ligne "The Empire that was Russia"). Les images, exhumées en 2003 et restaurées à l'aide du numérique, défient le temps par la vérité des couleurs, et l'éloignement de plus d'un siècle fascine, tant la facture des photos semble moderne. Et pourtant c'est d'une époque reculée que nous parviennent ces clichés, où ni la Première Guerre Mondiale ni la Révolution Russe n'avaient encore eu lieu.
Les images d'un empire immensément vaste, passant par l'Arménie, la Géorgie, le Turkménistan, le Daguestan, la Turquie, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, ou encore l'Abkhazie, sont tout simplement d'une beauté à couper le souffle, mais surtout elles redonnent vie à ces visages et à ces paysages de manière absolument saisissante. C'est au présent que ces clichés nous parlent. Une présence éternelle, un présent pour l'humanité.

dimanche 11 juillet 2010

Retour des Orientales 2 - La Perse

Après l'Inde, la Perse était à l'honneur de la dernière demi-journée du festival des Orientales, à Saint-Florent-le-Vieil.

Biographie de Rûmî par Leili Anvar

Deux spectacles avaient été prévus en écho l'un à l'autre, il s'agissait en début d'après-midi de la conférence de Leili Anvar et du concert, très attendu, de Shahram Nazeri, à 18h00. L'un comme l'autre ont été des moments inoubliables, même si la qualité du premier a été très surprenante: je m'attendais à une simple conférence très didactique sur le thème de la poésie d'amour iranienne, et j'ai eu l'une des interventions les plus émouvantes qu'il m'ait été donné d'entendre durant ma courte vie.
Je pèse mes mots: j'ai pourtant eu plus que souvent l'occasion d'entendre des conférences scientifiques, mais celle-ci, soit qu'elle était accompagnée d'une improvisation par l'un des musiciens de Nazeri, soit que Leili Anvar, maitre de conférences à l'Inalco, avait elle-même mis tout son cœur dans la lecture - en langues française et persane - d'extraits de poésie amoureuse de Rûmî, d'Attar, et d'autres poètes (et poétesses) iraniens du XIIe au XVe siècle, cette conférence, donc, m'a laissé complètement transi, coi, pantois. Je crois n'avoir pas été le seul à avoir ainsi compris le sens du mot “transporté”: la poésie d'amour, charnel ou mystique, a je crois cet après-midi bien rempli son rôle extatique.


Shahram Nazeri

Le concert de Shahram Nazeri, de son côté, a été absolument envoûtant, et qui ne connaît pas le Ravi Shankar du chant perse, la star de la musique traditionnelle iranienne, n'a plus qu'à aller la découvrir pour être convaincu. Ce que j'ai entre autres apprécié ce soir là, c'est l'humilité de ce grand artiste: la programmation ne le mettait pas en avant, et laissait toute sa place aux musiciens qui l'accompagnaient, et qui ont ainsi pu faire montre de leur virtuosité et de leur sensibilité propres. Le grand chanteur nous a chanté à l'occasion de son passage en France un extrait du Livre des rois du poète Firdousi, qui, comme nous l'a rappelé Leili Anvar en début de concert, a été composé il y a tout juste mille ans, en l'an 1010. L'extrait choisi m'a laissé pensif, il s'agissait de l'histoire, résumée par Leili Anvar en début de concert lors de sa présentation, d'un roi tyrannique et surtout usurpateur, qui s'est trouvé défait par le prétendant légitime du trône, lui-même aidé par un forgeron puissant, symbole du peuple. Allusion au régime iranien actuel? Probablement: c'est par le mythe que la musique répondrait de manière détournée à l'histoire. Toujours est-il que mythe et réalité se sont ce soir-là trouvés joints dans le chant d'un aède venu d'Orient.



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Une note funeste néanmoins pour cette édition du festival, sans doute: alors même que des artistes perses comme Shahram Nazeri étaient, dans le document de présentation du festival, présentés comme très libres dans leur rapport à la religion musulmane (“L'âme perse a toujours préféré s'immerger dans cet océan de la transe et de la connaissance symbolique plutôt que de se laisser porter par le fleuve calme de la légalité religieuse”), on s'interrogera sur la tribune laissée dans le même festival à Tariq Ramadan, pourtant connu pour son double discours et son accointance avec les franges les plus radicales de l'islam.
Et surtout, quoi que l'on pense du personnage, que vient faire une conférence sur “l'islam aujourd'hui" dans un festival de musique, fût-elle orientale? A part une lubie incompréhensible d'Alain Weber, le directeur artistique qui est pourtant d'habitude de jugement plus sûr, je ne vois pas d'autre explication à ce "point noir" qu'une intrusion du politique dans la programmation. Hervé de Charette, député Nouveau Centre et maire de Saint-Florent-le-Vieil, mais aussi président de l'Institut français de finance islamique, y aurait-il été de son grain de sel? Dans tous les cas, il y a des moments où devrait seul régner le symbolique, et où le politique devrait avoir la sagesse de s'éclipser.

mardi 6 juillet 2010

Retour des Orientales 1 - L'Inde

Le weekend dernier, Cha et moi étions sur un petit nuage. La dernière édition du festival des Orientales à Saint-Florent-le-Vieil, la patrie de Julien Gracq, nous a permis de découvrir bien des artistes talentueux, et de nous envoler un peu vers d'autres horizons.

Arrivés tard le samedi soir, nous avons pu assister à la “nuit indienne” intitulée Rising Stars, nuit consacrée à la découverte de jeunes artistes prometteurs de musique classique indienne.

Rama Vaidyanathan (origine site de la danseuse)

La soirée commençait, à 23h00, par un spectacle de danse de Rama Vaidyanathan, accompagnée de son ensemble. Jeune artiste talentueuse, Rama Vaidyanathan s'est donnée corps et âme à une ancienne danse rituelle, la danse bharata natyam, qui consiste à danser les vieilles légendes mythologiques hindoues. Il s'ensuit une danse extrêmement évocatrice, à la limite du mime parfois, qui raconte de manière virtuose et évocatrice les aventures de Krishna , Shiva et des autres divinités du panthéon indien. Il faut souligner que Rama Vaidyanathan a eu le souci de faire partager le maximum de son art avec le public, dans la mesure où elle racontait les mythes en les mimant avant d'entamer chacune de ses danses, accompagnées par un flûtiste, un joueur de tabla et une chanteuse. Le spectacle était splendide, et c'était probablement la partie de la nuit indienne que j'ai préféré, très probablement en partie du fait que mon attention fatiguée a baissé pendant les deux autres spectacles.
La seconde partie de la nuit était consacrée à un concert de trois musiciens virtuoses d'Inde du nord, Debapriya Adhykary (chant khyal), Samanwaya Sarkar (sitar) et Madhurjya Barthakur (tabla, jugalbandi), qui dans la plus pure tradition hindustani ont improvisé sur un raga. Néanmoins, contrairement à l'habitude qui consiste à mettre en valeur un seul musicien en l'accompagnant de manière relativement discrète, le chanteur et le cithariste se sont ici partagé la vedette en dialoguant mélodiquement tout au long du concert, accompagnés par le joueur de tabla qui a également montré de quel bois il était fait vers la fin de la représentation. Trois musiciens virtuoses, pour un concert nettement plus contemplatif, mais tout aussi fascinant que le premier.
Le troisième concert, qui a commencé vers 1h30 du matin environ, s'est déroulé devant une assemblée plus éparse. Pourtant, il est très rare d'avoir l'occasion d'entendre un concert de shehnaï, le hautbois indien. Les frères Sanjeev & Ashwani Shankar, accompagnés d'un musicien occidental étudiant l'art du shehnaï en Inde ont pu nous faire découvrir cet instrument avec l'accompagnement traditionnel des tablas et de la tampura. Vous pouvez voir et entendre un extrait ici. Que dire sinon que, à 2h00 du matin, sous le chapiteau du festival, on se serait cru dans un temple lointain? En entendant cet instrument, j'ai compris pourquoi il avait tant servi à orner les rituels religieux: le son est empreint d'une telle emphase, d'une telle profondeur qu'il est particulièrement apte à donner une image, mobile et éternelle, du sacré.


Krishna, dieu de l'amour, accessoirement de la flûte et des bergers (origine Wikipedia).

Le lendemain matin, nouveau spectacle de Rama Vaidyanathan. Le spectacle avait lieu cette fois-ci au palais Briau, un improbable ensemble d'édifices, pour moitié en ruines, donnant sur la Loire au milieu d'un immense parc. L'ensemble, tout de brique mais imitant l'architecture des villas italiennes, avait autrefois été construit pour un grand industriel du chemin de fer du Second Empire. Dans l'entrée du palais transformée pour l'occasion en salon de danse oriental, on se serait cru dans le Salon de musique de Satyajit Ray. Les danses de Rama, ce matin, tournaient autour du dieu Krishna, grand flutiste s'il en est.
La danseuse nous a ainsi raconté une splendide lamentation aux oiseaux, où une femme amoureuse de Krishna, harangue les volatiles autour d'elle, la perruche, l'aigle, etc., en leur demandant de porter sa plainte au dieu pour qu'il vienne à lui. Jamais la mythologie de l'oiseau transport de l'âme vers les dieux ne m'a semblé aussi proche. Cela m'a rappelé une autre soirée, où d'autres histoires d'oiseaux nous avaient été contées. Décidément, je crois que j'aime les oiseaux autant que j'aime les arbres, surtout quand ils sont chantés, dansés, joués, racontés de cette merveilleuse manière.

lundi 21 juin 2010

Le livre au corps

Cette semaine j'interviendrai au cours d'une des deux journées d'études organisée par Alain Milon et Marc Perelman (Paris 10) à l'INHA, journées d'études réunies sous le titre Le livre au corps.
C'est là le dernier volet d'un triptyque organisé autour de l'esthétique du livre; les deux premiers, Le Livre et ses espaces et L'Esthétique du livre, ont déjà été publiés par les presses de Paris Ouest.


Voilà le programme. J'interviens personnellement le jeudi en début d'après-midi. Avis aux amateurs...

JEUDI 24 JUIN 2010

- 10h00-10h30 : Accueil et présentation du colloque et de l'ouvrage L'Esthétique du livre aux presses universitaires de Paris Ouest par Alain Milon et Marc Perelman

APPROCHE PHENOMENOLOGIQUE DU LIVRE
- 10h30-11h00 : Le livre comme « objet investi d'esprit » : chair et sens du texte, Anne Coignard (CREA, Ecole polytechnique)

APPROCHE HISTORIQUE DU CORPS DE LIVRE
- 11h00-11h30 : La Femme livre : fragmentation du corps féminin dans les recueils de blasons anatomiques à la Renaissance, Irène Salas (EHESS, Paris)
- 11h30-12h00 : Discussion

- 14h00-14h30 : Les Reliures armoriées, métaphore corporelle du temps de Louis XVI, Peggy Manard (BNF)
- 14h30-15h00 : Les Trois Corps du livre : vocabulaire et mise en page du livre illustré au XIXe siècle, François Fièvre (Université de Tours)
- 15h00-15h30 : Discussion

CORPS VIVANT ET CORPS DE LIVRE
- 16h00-16h30 : Écriture des troubles alimentaires : du corps-livre au livre-corps, Karin Bernfeld (écrivain)
- 16h30-17h00 : Du journal intime au corps de la femme chorégraphe : une forme singulière de la créativité, Billana Vassileva-Fouilhoux (Université de Paris III)
- 17h00-17h30 : Ceci est mon livre : quelques stratégies opératoires du livre d'artiste au Québec, Danielle Blouin (Université du Quebec à Montréal)
- 17h30-18h : Discussion

VENDREDI 25 JUIN 2010

METAMORPHOSES DE LIVRE, METAMORPHOSES D'ECRITURE
- 10h-10h30 : Le livre de Mallarmé : Texture et performance, Peter Krilles (Université de Paris III)
- 10h30-11h : Le corporel et le incorporel chez Henri Michaux (« Par des traits »), Serge Chamchinov (chercheur, artiste peintre, concepteur de livres d'artiste)
- 11h30-12h00 : Autour de Poésie pour pouvoir de Michaux, Lorraine Dumenil (Paris VII)
- 12h00-12h30 : Discussion

- 14h00-14h30 : Pétrole de Pasolini : corps du verbe, Marie-Françoise Buresi-Collard (Université Paris I)

DISPARITION DU CORPS DU LIVRE
- 15h00-15h30 : Le Livre, un corps luminescent : modernisme et dématérialisation graphi-que de l'imprimé, Victor Guegan
- 15h30-16h00 : Artiste chirurgien du livre, Anna Rykunova (EHESS, Université Humboldt, Berlin)
- 16h00-16h30 : DISCUSSION et SYNTHESE

Colloque organisé par Alain Milon et Marc Perelman, Professeurs à l'Université de Paris Ouest-Nanterre La Défense

mardi 11 mai 2010

Premières Pierres, une écologie de la littérature


Dernièrement je suis tombé sur les deux nouveautés d'un petit éditeur qui est à garder en tête, de même que Finitude, Héros-Limite et bien d'autres. Dans la forêt de Bavière est un récit autobiographique d'Adalbert Stifter, un écrivain autrichien du second (voire du troisième) romantisme, qui semble développer un sens aigu de la nature, dans la lignée de Friedrich et de l'ensemble du courant romantique allemand (et anglais).

Mais le livre sur lequel j'ai bondi est celui de William Gilpin, première traduction en français d'un essai peu connu de l'inventeur anglais de la notion esthétique de pittoresque, et qui nous livre ici ses réflexions sur la beauté du paysage naturel et la nécessité de le préserver à une époque, la fin du 18e siècle, où les effets de la révolution industrielle commencent pourtant à peine à se faire sentir. Comme si la notion de patrimoine naturel avait émergé à peu près en même temps que celle de patrimoine artistique (voir Dominique Poulot, Musée, Nation, Patrimoine, Gallimard). Décidément, cette fin du 18e siècle est une période absolument passionnante, et notre époque a toujours des leçons à tirer des idées développées durant la période romantique, qui avait dans bien des cas essayé de penser une conciliation possible entre les derniers idéaux humanistes hérités des Lumières et l'émergence de la société industrielle moderne.

Premières Pierres est donc un éditeur à surveiller de près, qui produit peu mais adopte une ligne éditoriale visiblement aussi exigeante qu'étroite, creusant le sillon d'une archéologie littéraire de l'écologie et du sentiment moderne de la nature, du romantisme jusqu'à nos jours. Dans leur catalogue, Goethe, Thoreau, John Burroughs, Carl Gustav Carus: toute une caisse de résonance de littérature «de plein air» qui apporte une bouffée d'air frais dans le paysage plus qu'asphyxié de l'édition contemporaine.

jeudi 6 mai 2010

Le conte et l'oiseau, une histoire naturelle

Ce fut un grand moment d'échange et de bouillonnement d'idées que la rencontre avec Fabienne Raphoz à la librairie Le Livre, à Tours, ce 23 avril dernier. Fabienne Raphoz, par ailleurs éditrice chez José Corti et auteur de livres de poésie chez Héros-Limite, présentait une anthologie de sa composition autour de la présence de l'oiseau dans les contes... et dans les contes populaires de tradition orale en particulier. Je renvoie à la page consacrée à l'ouvrage sur le site des éditions Corti pour une plus ample description de ce projet passionnant qui a consisté à débusquer des oiseaux — tous types d'oiseaux, imaginaires (l'oiseau de feu) et réels, génériques («un oiseau» dont l'espèce n'est pas nommée) et spécifiques (les corbeaux, cygnes, martinets, rossignols, poules, etc.) — dans les contes de tradition orale recueillis dans le monde entier, et parmi quelques mythes des «nations premières».
Les textes sont rangés dans l'ordre de la classification Aarne-Thompson, ordre canonique pour les folkloristes qui permet de classifier les contes en fonction de leur proximité avec un «conte-type», entité abstraite qui n'a pas pour autre fonction épistomologique que d'autoriser le rapprochement entre différentes versions d'un même conte.

Quelques illustrations d'Ianna Andréadis pour l'Aile bleue des contes, photographie que j'ai empruntée à son site internet.

L'ouvrage est magnifiquement illustrés de dessins en silhouettes d'Ianna Andréadis, artiste peintre qui a magnifiquement représenté les oiseaux selon leurs espèces, dans une sobriété de noir et de blanc qui ne peut que rappeler le noir de la typographie sur le blanc du papier. Mallarmé n'avait-il pas comparé la poésie à la grâce du vol d'un oiseau dans le ciel?
Les illustrations d'Ianna Andréadis sont, elles, classées selon un autre ordre canonique, celui du Handbook of the Birds of the World (HBW), qui classe les oiseaux selon leur espèce et leur famille, dans la plus stricte tradition taxinomique de la biologie animale, nommée du temps de Linné «histoire naturelle».
L'improbable Froba, ou oiseau bleu des contes, inventé par Ianna Andrédais pour l'occasion

Cette coexistence de deux classifications au sein d'un même ouvrage, celle d'Aarne-Thompson pour les textes, et celle du HBW pour les images, m'a laissé songeur. Il m'a semblé que nous avions comme deux histoires naturelles qui se rencontraient et s'entrelaçaient, celle des textes et celle des images, celle des contes et celle des oiseaux. Le conte, dont personne n'a pu jusqu'ici décrire l'origine et raconter l'apparition, ne serait-il pas au sens strict une histoire naturelle, au sens où les Grimm parlaient, justement à leur propos, de «poésie de nature» ? Sans vouloir dire que les contes sont nés de la nature comme les oiseaux (ils restent des objets de culture), le rapprochement entre les deux ordres, ici magnifiquement entrelacés, méritait d'être souligné. Splendide et magnifique rencontre, en tout cas, et absolument poétique, de l'art de raconter des histoires et de l'animal au chant divin qui parcourt l'azur des cieux.

dimanche 2 mai 2010

R.I.P.


Je ne l'ai appris qu'il y a peu, mais Peter Steele, le charismatique et talentueux chanteur de Type O Negative, est mort le 14 avril dernier. October Rust (1996) restera l'un de mes albums fétiche, et Type O Negative l'un des principaux groupes qui ont contribué à la renaissance du rock gothique à la fin des années 1990.

jeudi 25 mars 2010

Tour d'horizon des arts graphiques

Au cours de mes pérégrinations sur la toile afin d'alimenter en images mes derniers cours de cette année sur la bande dessinée et le graphisme, j'ai eu l'occasion de découvrir des tas de choses formidables:
Töpfferiana, un site tenu par Antoine Sausverd, et qui est consacré à la bande dessinée du 19e siècle. Les articles sont très intelligents, et ne se contentent pas d'aligner, comme le fait (trop souvent) La Boite à images de monsieur K., quelques repros avec des commentaires qui n'engagent que leur auteur: un véritable souci de recherche historique et méthodologique, et une véritable compréhension du médium sont les grands atouts des analyses d'Antoine Sausverd. On sent qu'il a dû passer par la case université...
A Journey round my skull, qui est un blog tenu par un passionné de graphisme et de beaux livres, et qui, plutôt axé 20e siècle, présente des œuvres aussi belles qu'inattendues.
David Apatoff tient le blog bien nommé Illustration Art, et a des analyses tout à fait intéressantes, des analyses de praticien puisqu'il est lui-même illustrateur. Du coup, il insiste souvent sur des détails que l'historien de l'art a tendance à survoler.
Enfin, last but least, le blog du Petit Paquis, qui à côté des trois premiers fait pâle figure, mais est tout de même assez intéressant. Trop souvent ses billets sont de simples agrégats d'images assortis d'un simple commentaire élogieux, mais on lui pardonne: tenir un blog est chronophage, l'auteur de ces lignes en est bien conscient, et il n'est pas toujours possible de réunir le temps (ni les moyens), comme arrive à le faire Antoine Sausverd par exemple, de donner l'équivalent de petits articles.

mardi 23 mars 2010

L'autre voyage d'Ulysse

Le livre était passé à peu près inaperçu l'automne dernier, lors de sa parution. C'est aujourd'hui sur France Culture, dans la seconde partie de l'émission A plus d'un titre, que l'on peut écouter Evanghélia Stead présenter son anthologie qui rassemble, chez Jérôme Millon, une quinzaine de textes écrivant le second voyage d'Ulysse, que Tirésias lui avait prédit dans l'Odyssée d'Homère. A partir à la fois d'une relecture d'Homère et d'une relecture de la lecture qu'en fait Dante, Tennyson, Borges, Cavafis et bien d'autres ne se contentent pas de réécrire l'œuvre originelle, mais la prolongent là où elle reste ouverte. Ulysse n'est donc pas l'homme d'un seul voyage: à nous de nous laisser happer par ses autres périples, aussi poétiques qu'inattendus.

lundi 22 mars 2010

Luis Francesco Arena

Loin de mes habitudes de musique violente et vociférante comme des références savantes de Continuum, je voudrais ici signaler une belle découverte musicale: Luis Francesco Arena. Dans un registre de pop-folk intimiste où la douceur des mélodies a pour compagnons des arrangements d'une pertinence et d'une sobriété sans faille, et des textes d'une vigueur poétique étonnante pour un compositeur d'origine française, les compositions de LFA méritent vraiment le détour.

© Sophie Delaveau

L'orchestre est essentiellement constitué de Pierre-Louis à la guitare et au chant, un tourangeau d'adoption que j'ai eu l'heur et l'honneur de rencontrer à plusieurs reprises, mais ses dernières compositions sont accompagnées de violoncelle, piano, batterie, etc., selon les nécessités. Dans un genre de song-writing «à l'anglo-saxonne», je trouve que ce petit Français se défend plutôt très bien. Il fait des concerts un peu partout en ce moment pour la sortie de son prochain album en avril: allez le voir et l'entendre, vous me direz ce que vous en pensez.

mardi 2 mars 2010

Emily Dickinson

Emily Dickinson, daguerréotype, c. 1845.

Assez court, mais très intéressant entretien avec Françoise Delphy pour sa traduction des Poésies complètes d'Emily Dickinson (Flammarion, 2009). C'était samedi dernier dans l'émission "Ça rime à quoi", sur France Culture, mais vous pouvez encore le podcaster ces prochains jours. Les lectures de poésies par Tiffany Stern étaient splendides (surtout en anglais, en français elles manquaient un peu d'aisance...).
Si Claire Malroux avait déjà entrepris le travail de longue haleine consistant à traduire la quasi intégralité des écrits de la célèbre poétesse américaine chez José Corti, cette traduction de Françoise Delphy, fruit d'un long et patient travail d'une dizaine d'années, vient proposer une autre version - ni plus juste, ni plus infidèle - du texte de Dickinson. En matière de poésie, tant qu'on évite le contresens, il n'y a pas de mauvaise traduction, il n'y a que des restitutions, l'une complétant les lacunes de l'autre, chacune proposant une lecture singulière de l'œuvre d'origine. D'où la nécessité absolue, en poésie, des éditions bilingues, ce qui est le cas de l'édition de Claire Malroux comme de celle de Françoise Delphy, pour apprécier le texte en sa langue première, et pour en faciliter la lecture également. La récente traduction d'un choix conséquent de poèmes de Ted Hughes par Jacques Darras et Valérie Rouzeau, l'année dernière chez Gallimard, dans une édition monolingue, est pour cette même raison, du point de vue éditorial, un non-sens. Ted Hughes attendra, chaque chose en son temps...

lundi 15 février 2010

Arts graphiques

Une fois de temps en temps n'est pas coutume : un peu de publicité pour un blog passionant de bibliothécaires de la bibliothèque de l'université de Princeton, consacré aux arts graphiques et autres arts du livre et de l'estampe... je trouve les billets mieux rédigés que sur Bibliodyssey, et les images sont de première main.

Je suis tombé sur ce blog en faisant une recherche sur les illustrations de Julia Margaret Cameron pour les poèmes de Tennyson, et j'ai enfin pu voir des photos des clichés de la photographe en contexte, avec leurs marges bleutées et un exemple des poèmes calligraphiés par l'artiste sur pierre lithographique... Merci !

Dans le même registre bibliophilique, je signale pour ceux qui ne le connaissent pas déjà le blog de Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF. Ils viennent de faire un billet à propos du projet Mame auquel je participe.

vendredi 12 février 2010

Et in Arcadia ego

Le Temps des Grâces, de Dominique Marchais

Lundi dernier, je lisais cet article dans le Monde : Pour la première fois depuis 150 ans, la forêt ne gagne plus de terrain en France. La raison principale en est qu'un terrain vide consacré à la culture prend de la valeur avec la construction, valeur qui peut en être multipliée par 50, voire 300 en région parisienne. Par un heureux hasard, un film exemplaire est sorti cette semaine sur un sujet connexe : "Le Temps des Grâces", ou comment la France a saboté plus de 2000 ans d'héritage agricole en l'espace de 50 ans . Un documentaire efficace qui dresse le portrait effrayant de la course aux gains de productivité agricole, et la mort programmée d'une richesse ancestrale inestimable. Il ne s'agit pas du tout d'un documentaire "artistique", comme Raymond Depardon avec sa série des Profils Paysans, mais bien d'une démonstration classique, avec paroles de paysans et discours d'experts, et même quelques interventions lyriques de Pierre Bergounioux, qui permet de comprendre comment on en est arrivé là, et comment on peut s'en sortir - ou non. Si le film n'évoque pas directement le sujet traité par Le Monde, il en est question en filigrane, de manière très éclairante. Vous comprendrez le titre de ce billet en allant voir le film, que je vous conseille vivement.

lundi 1 février 2010

La Guillette


La maison de Maupassant à Etretat, que l'auteur à lui-même baptisée fort à propos "La Guillette", ne sera pas un musée. Toujours annoncée en vente sur le site, elle vient en fait d'être vendue à un particulier pour 600.000 euros, la municipalité traînant des pieds depuis plusieurs mois pour en faire l'acquisition. C'est dommage, car elle aurait pu rejoindre le circuit de la Route des Ecrivains, qui regroupe les maisons, de Mallarmé, Chateaubriand, Maeterlinck, Aragon etc.

Dans la même veine, c'est le Musée Tourguéniev à Bougival qui est en danger, une partie du parc étant convoité par des promoteurs immobiliers, avec l'appui des décideurs locaux. Vraisemblablement le raffermissement de l'identité française peut très bien se passer de la valorisation de son patrimoine national.

mercredi 27 janvier 2010

Bloomsbury

Une exposition sur le très intéressant groupe de Bloomsbury a lieu en ce moment à Roubaix, jusqu'au 28 février, au musée La Piscine. Le Bloomsbury group est un groupe d'intellectuels et d'artistes qui, au tout début du 20e siècle, ont vécu réunis ensemble autour du square de Bloomsbury square, à Londres, du côté du British Museum. Je passe l'histoire du groupe, (voir aussi sur le site de la Tate) assez complexe dans la mesure où liens amoureux et familiaux se sont régulièrement ajoutés aux affinités intellectuelles entre les deux sœurs à l'origine du groupe, Virginia Woolf et Vanessa Bell (l'une écrivain et l'autre peintre), les deux cousins Lytton Strachey et Duncan Grant (le premier homme de lettres et le second peintre), ou encore Roger Fry, peintre et critique d'art, l'écrivain E. M. Forster et l'économiste John Maynard Keynes, pour n'en citer que quelques-uns parmi les plus célèbres.
Toutes ces personnes étaient issues de la meilleure société bourgeoise, voire aristocratique, et ont vécu dans le quartier de Bloomsbury, alors peu huppé contrairement à celui de Kensington, dans une atmosphère d'effervescence intellectuelle et de liberté morale. Leurs moeurs, bien que peu répréhensibles, faisaient scandale: on supportait tout simplement mal que deux femmes célibataires telles que Virginia (future épouse Woolf) et Vanessa (future épouse Bell) Stephen vivent de manière indépendante au milieu d'artistes homosexuels, et qu'elles soient susceptibles d'un avis personnel et d'ambitions autres que celle d'être une bonne épouse et une bonne mère. Les histoires d'amour «en triangle» de différents membres du groupe ont par ailleurs fait décrire ce mouvement ainsi : «It is a circle of friends who live in a square and love in triangle

Roger Fry, Vanessa Bell, 1916. (source wikipedia)

L'exposition de Roubaix, que je n'ai pas eu l'occasion de voir mais dont j'ai eu la chance d'écouter la description sur un podcast de France culture qui n'est plus disponible (ne le cherchez plus), se consacre à l'aspect proprement artistique des créations du groupe, en général passé sous silence du fait d'une mise en avant des grandes figures littéraires (Woolf et Forster) ou intellectuelles (Keynes) du groupe. L'aspect particulièrement intéressant de cette exposition est qu'elle semble notamment mettre en valeur les arts décoratifs: à la manière anglaise, et dans la tradition des Arts and Crafts (même si le Bloomsbury Group se détache du mouvement piloté par William Morris sur de nombreux points), les innovations françaises du post-impressionnisme et du fauvisme sont revues et réexploitées d'une part dans l'espace domestique de tous ces artistes, et d'autre part concrétisées dans les Omega Workshops menés par Roger Fry, qui joue ici un rôle à la fois de passeur de l'art moderne français et de tête pensante en ce qui concerne cette entreprise particulière des ateliers d'art décoratif.

Roger Fry, autoportrait. (source wikipedia)

Ce groupe d'artistes est passionnant non seulement parce qu'on y retrouve beaucoup des grands noms de la modernité anglaise, que ce soit en art ou en littérature, et même en économie (Keynes), mais surtout parce qu'il est une application particulièrement frappante du principe romantique selon lequel l'art doit fusionner avec la vie. Toute la vie de ces artistes était orientée vers l'art, et ils n'ont cessé de travailler, qui à écrire, qui à peindre, pour transformer leur cadre de vie et faire évoluer leur pensée. Loin de l'image d'un petit groupe de gens bien nés qui n'ont pas besoin de travailler pour vivre et qui passent leur temps à discuter et à échanger des points de vue utopiques dans des chaises longues, il faut comprendre ce groupe comme un atelier où ont travaillé ensemble différentes personnalités éprises de liberté intellectuelle et morale, et duquel ont pu émerger les œuvres majeures que l'on sait.

Lytton Strachey et Virginia Woolf (source wikipedia).


samedi 16 janvier 2010

Bright Star

Suprême ravissement du dernier film de Jane Campion qui m'interdit d'en parler plus avant.


I had such a dream last night.
I was floating above the trees, with my lips connected with those of a beautiful figure.


Allez le voir, c'est tout.

dimanche 10 janvier 2010

Le métier de correcteur

La chose est suffisamment peu courante pour être signalée: un article récent sur le métier de correcteur (qui est, entre autres, celui de votre serviteur), article qui explique assez bien pourquoi le métier est en crise malgré son importance centrale dans le monde de l'édition.
Seuls bémols:
1. L'article met l'accent sur les publications littéraires, qui ne sont qu'une partie de la production éditoriale échue aux correcteurs... mais il est vrai que du fait de la notoriété de l'écrivain de littérature, dont le style est censé être inaliénable, l'exemple de la correction littéraire est particulièrement frappant: le métier de correcteur y apparait d'autant plus invisible que la place de l'auteur y est prépondérante.
2. La conclusion sur "la faute à Internet et aux portables" est tout à fait approximative, la réduction du nombre de corrections accordées à un manuscrit étant le plus souvent la conséquence de la soumission du monde de l'édition à une échelle de rentabilité qui n'est pas la sienne... mais celle de Dassault, Bouygues, Lagardère, Seillère et autres grands possesseurs de groupes d'entreprises qui rachètent d'année en année les maisons d'édition et les groupes de presse, et leur font par conséquent subir des taux de rentabilité auxquels ils n'ont pas l'habitude d'être soumis. "La faute à Internet et aux portables", c'est tout à fait vrai pour la presse, ça l'est beaucoup moins pour l'édition, qui était jusque dans les années 1990 un secteur tout à fait "rentable", mais dont l'appropriation par les grands groupes financiers dénature les objectifs financiers et les logiques de profit qui lui étaient jusqu'ici habituelles — dénaturation qui se répercute naturellement sur les stratégies éditoriales, et par suite sur la qualité des livres publiés. Le problème actuel des maisons d'édition au regard du marché, ce n'est pas tant qu'elles ne soient pas rentables, mais qu'elles ne le soient pas assez.

Merci à Langue sauce piquante d'avoir signalé cet article.

jeudi 7 janvier 2010

David vs Sibylle

Demain soir, salle Pleyel, aura lieu un petit évènement : la création du Requiem composé par Thierry Lancino, sur un livret de Pascal Quignard. L'oeuvre est basée sur la confrontation de deux forces : David, qui "aspire à l'éternité" ; et la Sibylle de Cumes, qui "réclame le néant". Pourquoi pas. Le concert sera retransmis en direct sur France Musique, voilà qui mérite d'être signalé !