dimanche 11 juillet 2010

Retour des Orientales 2 - La Perse

Après l'Inde, la Perse était à l'honneur de la dernière demi-journée du festival des Orientales, à Saint-Florent-le-Vieil.

Biographie de Rûmî par Leili Anvar

Deux spectacles avaient été prévus en écho l'un à l'autre, il s'agissait en début d'après-midi de la conférence de Leili Anvar et du concert, très attendu, de Shahram Nazeri, à 18h00. L'un comme l'autre ont été des moments inoubliables, même si la qualité du premier a été très surprenante: je m'attendais à une simple conférence très didactique sur le thème de la poésie d'amour iranienne, et j'ai eu l'une des interventions les plus émouvantes qu'il m'ait été donné d'entendre durant ma courte vie.
Je pèse mes mots: j'ai pourtant eu plus que souvent l'occasion d'entendre des conférences scientifiques, mais celle-ci, soit qu'elle était accompagnée d'une improvisation par l'un des musiciens de Nazeri, soit que Leili Anvar, maitre de conférences à l'Inalco, avait elle-même mis tout son cœur dans la lecture - en langues française et persane - d'extraits de poésie amoureuse de Rûmî, d'Attar, et d'autres poètes (et poétesses) iraniens du XIIe au XVe siècle, cette conférence, donc, m'a laissé complètement transi, coi, pantois. Je crois n'avoir pas été le seul à avoir ainsi compris le sens du mot “transporté”: la poésie d'amour, charnel ou mystique, a je crois cet après-midi bien rempli son rôle extatique.


Shahram Nazeri

Le concert de Shahram Nazeri, de son côté, a été absolument envoûtant, et qui ne connaît pas le Ravi Shankar du chant perse, la star de la musique traditionnelle iranienne, n'a plus qu'à aller la découvrir pour être convaincu. Ce que j'ai entre autres apprécié ce soir là, c'est l'humilité de ce grand artiste: la programmation ne le mettait pas en avant, et laissait toute sa place aux musiciens qui l'accompagnaient, et qui ont ainsi pu faire montre de leur virtuosité et de leur sensibilité propres. Le grand chanteur nous a chanté à l'occasion de son passage en France un extrait du Livre des rois du poète Firdousi, qui, comme nous l'a rappelé Leili Anvar en début de concert, a été composé il y a tout juste mille ans, en l'an 1010. L'extrait choisi m'a laissé pensif, il s'agissait de l'histoire, résumée par Leili Anvar en début de concert lors de sa présentation, d'un roi tyrannique et surtout usurpateur, qui s'est trouvé défait par le prétendant légitime du trône, lui-même aidé par un forgeron puissant, symbole du peuple. Allusion au régime iranien actuel? Probablement: c'est par le mythe que la musique répondrait de manière détournée à l'histoire. Toujours est-il que mythe et réalité se sont ce soir-là trouvés joints dans le chant d'un aède venu d'Orient.



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Une note funeste néanmoins pour cette édition du festival, sans doute: alors même que des artistes perses comme Shahram Nazeri étaient, dans le document de présentation du festival, présentés comme très libres dans leur rapport à la religion musulmane (“L'âme perse a toujours préféré s'immerger dans cet océan de la transe et de la connaissance symbolique plutôt que de se laisser porter par le fleuve calme de la légalité religieuse”), on s'interrogera sur la tribune laissée dans le même festival à Tariq Ramadan, pourtant connu pour son double discours et son accointance avec les franges les plus radicales de l'islam.
Et surtout, quoi que l'on pense du personnage, que vient faire une conférence sur “l'islam aujourd'hui" dans un festival de musique, fût-elle orientale? A part une lubie incompréhensible d'Alain Weber, le directeur artistique qui est pourtant d'habitude de jugement plus sûr, je ne vois pas d'autre explication à ce "point noir" qu'une intrusion du politique dans la programmation. Hervé de Charette, député Nouveau Centre et maire de Saint-Florent-le-Vieil, mais aussi président de l'Institut français de finance islamique, y aurait-il été de son grain de sel? Dans tous les cas, il y a des moments où devrait seul régner le symbolique, et où le politique devrait avoir la sagesse de s'éclipser.

mardi 6 juillet 2010

Retour des Orientales 1 - L'Inde

Le weekend dernier, Cha et moi étions sur un petit nuage. La dernière édition du festival des Orientales à Saint-Florent-le-Vieil, la patrie de Julien Gracq, nous a permis de découvrir bien des artistes talentueux, et de nous envoler un peu vers d'autres horizons.

Arrivés tard le samedi soir, nous avons pu assister à la “nuit indienne” intitulée Rising Stars, nuit consacrée à la découverte de jeunes artistes prometteurs de musique classique indienne.

Rama Vaidyanathan (origine site de la danseuse)

La soirée commençait, à 23h00, par un spectacle de danse de Rama Vaidyanathan, accompagnée de son ensemble. Jeune artiste talentueuse, Rama Vaidyanathan s'est donnée corps et âme à une ancienne danse rituelle, la danse bharata natyam, qui consiste à danser les vieilles légendes mythologiques hindoues. Il s'ensuit une danse extrêmement évocatrice, à la limite du mime parfois, qui raconte de manière virtuose et évocatrice les aventures de Krishna , Shiva et des autres divinités du panthéon indien. Il faut souligner que Rama Vaidyanathan a eu le souci de faire partager le maximum de son art avec le public, dans la mesure où elle racontait les mythes en les mimant avant d'entamer chacune de ses danses, accompagnées par un flûtiste, un joueur de tabla et une chanteuse. Le spectacle était splendide, et c'était probablement la partie de la nuit indienne que j'ai préféré, très probablement en partie du fait que mon attention fatiguée a baissé pendant les deux autres spectacles.
La seconde partie de la nuit était consacrée à un concert de trois musiciens virtuoses d'Inde du nord, Debapriya Adhykary (chant khyal), Samanwaya Sarkar (sitar) et Madhurjya Barthakur (tabla, jugalbandi), qui dans la plus pure tradition hindustani ont improvisé sur un raga. Néanmoins, contrairement à l'habitude qui consiste à mettre en valeur un seul musicien en l'accompagnant de manière relativement discrète, le chanteur et le cithariste se sont ici partagé la vedette en dialoguant mélodiquement tout au long du concert, accompagnés par le joueur de tabla qui a également montré de quel bois il était fait vers la fin de la représentation. Trois musiciens virtuoses, pour un concert nettement plus contemplatif, mais tout aussi fascinant que le premier.
Le troisième concert, qui a commencé vers 1h30 du matin environ, s'est déroulé devant une assemblée plus éparse. Pourtant, il est très rare d'avoir l'occasion d'entendre un concert de shehnaï, le hautbois indien. Les frères Sanjeev & Ashwani Shankar, accompagnés d'un musicien occidental étudiant l'art du shehnaï en Inde ont pu nous faire découvrir cet instrument avec l'accompagnement traditionnel des tablas et de la tampura. Vous pouvez voir et entendre un extrait ici. Que dire sinon que, à 2h00 du matin, sous le chapiteau du festival, on se serait cru dans un temple lointain? En entendant cet instrument, j'ai compris pourquoi il avait tant servi à orner les rituels religieux: le son est empreint d'une telle emphase, d'une telle profondeur qu'il est particulièrement apte à donner une image, mobile et éternelle, du sacré.


Krishna, dieu de l'amour, accessoirement de la flûte et des bergers (origine Wikipedia).

Le lendemain matin, nouveau spectacle de Rama Vaidyanathan. Le spectacle avait lieu cette fois-ci au palais Briau, un improbable ensemble d'édifices, pour moitié en ruines, donnant sur la Loire au milieu d'un immense parc. L'ensemble, tout de brique mais imitant l'architecture des villas italiennes, avait autrefois été construit pour un grand industriel du chemin de fer du Second Empire. Dans l'entrée du palais transformée pour l'occasion en salon de danse oriental, on se serait cru dans le Salon de musique de Satyajit Ray. Les danses de Rama, ce matin, tournaient autour du dieu Krishna, grand flutiste s'il en est.
La danseuse nous a ainsi raconté une splendide lamentation aux oiseaux, où une femme amoureuse de Krishna, harangue les volatiles autour d'elle, la perruche, l'aigle, etc., en leur demandant de porter sa plainte au dieu pour qu'il vienne à lui. Jamais la mythologie de l'oiseau transport de l'âme vers les dieux ne m'a semblé aussi proche. Cela m'a rappelé une autre soirée, où d'autres histoires d'oiseaux nous avaient été contées. Décidément, je crois que j'aime les oiseaux autant que j'aime les arbres, surtout quand ils sont chantés, dansés, joués, racontés de cette merveilleuse manière.