mercredi 23 décembre 2009

L'autre

La couverture du dvd alive de Meshuggah, dont la sortie est prévue en février prochain, est très réussie... elle reprend et détourne de manière à la fois habile et amusante le design de l'affiche du premier Alien réalisé par Ridley Scott et sorti l'année de ma naissance, en 1979.

Trente ans après, et alors que les films de science-fiction continuent à interroger de manière plus ou moins réussie l'altérité humaine, la réutilisation de l'affiche cinématographique par le groupe de death métal suédois est intéressante de deux points de vue. D'une part elle fait allusion à une icône de la contre-culture, à travers ce qu'on peut véritablement appeler un "clin-d'oeil", un signe de connivence culturelle avec son public d'adolescents et de jeunes adultes bercés par la musique alternative et les films de série B d'origine américaine. Le détournement facétieux de l'image originelle est de plus caractéristique de l'esprit de la formation qui, malgré la teneur réputée difficile de son message musical, est connue pour son sens de l'auto-dérision: en témoigne même la reprise de la phrase d'appel originale, “In space no one can hear you”, avec l'ajout précisant “unless you scream”, et qui fait allusion au faciès hurlant de Jens Kidman au centre de l'image, en lieu et place de l'œuf en éclosion de la créature extra-terrestre. Ces deux aspects alimentent l'aspect proprement amusant de la citation iconographique.

Mais d'autre part, et de manière plus profonde, la reprise d'une icône de la contre-culture est aussi l'occasion d'établir un lien symbolique important avec l'œuvre première, celui de l'altérité. Si une constante de la recherche musicale de Meshuggah est la recherche de la dissymétrie rythmique, une constante de son univers symbolique, perceptible dans son imagerie mais surtout dans les paroles des morceaux rédigées par Tomas Haake, le batteur du groupe, est la schizophrénie. Le nom du groupe même, “meshuggah” qui signifie “fou” en yiddish, témoigne de l'intérêt du groupe pour la déréliction des mécanismes de la psyché humaine. Cliniquement, la schizophrénie est généralement définie comme une désagrégation de la personnalité, de la psyché humaine qui, en état normal, fonctionne de manière relativement unitaire, ce qui permet à l'individu de se construire et de maintenir son identité psychique. La schizophrénie, donc, sans être un équivalent à proprement parler d'un “dédoublement de personnalité”, introduit en tout cas la multiplicité là où il y avait unité, elle désagrège et fragmente ce qui était un. Ce qui fait que l'un devient étranger à lui-même, il se confronte à sa propre altérité. Un des symptômes généralement invoqués pour caractériser l'état schizophrène est la sensation d'être étranger à son propre corps.

I'm in the stranger: me (lost in corporeal inanity), the user of my face
(Meshuggah, “Concatenation”, in Chaosphere, 1998)

On assiste donc, à travers ce qui pourrait sembler une simple citation culturelle destinée à mieux “cibler” la clientèle d'un point de vue marketing, à une réappropriation d'un symbole, qui s'effectue selon la modalité d'une intériorisation de ce que représentait la race de l'Alien: l'autre de l'homme. L'autre extérieur à l'homme, l'autre race, devient l'étranger intérieur à l'homme même. La peur se mue en folie. Meshuggah psychologise ce qui était en 1979 vécu sur le mode du récit semi-fantastique, semi-épique, avec toutes les résonances post-coloniales que l'on peut y trouver. Avec Meshuggah, l'alien devient aliéné, l'œuf extra-humain de Ridley Scott devient le fou hurlant d'une humanité qui se cherche en elle-même mais ne se trouve pas.

mardi 1 décembre 2009

La maison Max Ernst

Max Ernst a vécu à Huismes, près de Chinon, de 1955 à 1964, avec son épouse Dorothea Tanning. C'est Dominique Marchès, un des co-commissaires de la "Force de l'Art" 2006, qui habite aujourd'hui dans la maison du peintre et sculpteur allemand. En marge de l'exposition Max Ernst au Musée des Beaux-Arts de Tours, la maison accueille en ce moment des frottages monumentaux de Richard Fauguet. Comme quoi, même au fin fond de la campagne perdue, il y a toujours une bout de vie culturelle et artistique.