mercredi 28 mai 2008

A quoi servent les sciences humaines?

Le dernier numéro de la Revue internationale des livres et des idées fournit des éléments de réponse à cette épineuse question. Je viens de découvrir cette revue, qui me faisait de l'oeil dans le kiosque de mon marchand de journaux, et c'est une très bonne découverte. La formule est celle d'articles très poussés, à la limite de l'essai, commentant des ouvrages de sciences humaines (littérature, histoire, philosophie, anthropologie, politique...) récemment sortis. Avec une dimension internationale, qui reprend des recensions de livres faites par exemple dans la London Review of Books ou la New York Review of Books ; et avec un engagement politique nettement marqué à gauche, tendance Monde Diplomatique, c'est-à-dire gauche critique et intellectuelle, pas gauche populaire, caviar ou nécessairement revendicatrice. Une espèce de mélange audacieux, donc, entre la ligne internationale du Courrier International et la ligne politique (et esthétique, dans la maquette et l'iconographie) du Monde Diplomatique.
Au sommaire du n°5, je conseille entre autres (je n'ai pas tout lu!) l'article d'Alain de Libera qui concerne la récente polémique Gouguenheim sur la question de la réception d'Aristote dans l'Occident médiéval, et de la place de la civilisation arabe dans ce transfert culturel. Alain de Libera répond très intelligemment et très vigoureusement à Gouguenheim, qui l'avait directement attaqué dans un article du Monde ; Alain de Libera avait proposé un texte au quotidien en manière de droit de réponse, celui-ci l'a refusé, la RILI l'a publié.

Et puis tout un ensemble d'articles sur la question de l'utilité des études littéraires et la pertinence de leur orientation actuelle (par Yves Citton, sur Todorov, Bouveresse & alii., excellent article que je conseille à tous les étudiants et professeurs de lettres), sur la question des implications idéologiques des études post-coloniales (par François Cusset, sur Jean-Loup Amselle), sur la pléthore des récentes parutions sur mai 68 (par Xavier Vigna), etc. Des articles longs, très bien documentés, qui donnent envie de plonger plus avant dans le débat, de lire, de s'informer. L'abord n'est cependant pas aisé: les articles sont touffus, parfois techniques. On lit cette revue comme on lit le Monde Diplomatique, c'est-à-dire comme une revue, pas comme un magazine ou un journal qu'on jette après usage. Et même si on n'est pas d'accord avec la ligne politique adoptée, cette revue reste d'une excellente tenue intellectuelle. Même le Figaro y a vu un adversaire honorable, c'est dire!
***
(A ceux qui se demandent pourquoi j'ai mis un tableau de Rothko en illustration de cet éloge en règle de la RILI (qui en passant dispose également d'un blog), c'est pour faire comme eux : la RILI a pris le parti, emprunté visiblement au Monde Diplomatique, d'illustrer les articles par des images, souvent abstraites, qui n'ont rien à voir avec le contenu de l'article qui se trouve en vis-à-vis. Ca doit être un truc de la gauche critique qui veut déconstruire le rapport texte-image pour subvertir notre rapport politique et langagier au monde. C'est rigolo en tout cas. Et puis j'aime beaucoup Rothko.)

mercredi 21 mai 2008

Muriel Barbery

D'habitude, je lis très peu de littérature blanche. Que des classiques ou de la littérature de genre. Mais là, je suis conquis par un livre qui relève d'autant plus de la littérature blanche qu'il est publié dans la collection dite "blanche" de Gallimard... qui a entre autres donné son nom à la famille littéraire.
Faisons bref : L'élégance du hérisson est vraiment très bien. J'en conseille vivement la lecture.


Le personnage de Paloma me fait beaucoup penser à Daria Morgendorffer.

Et puis Muriel Barbery écrit si bien... sa prose est aussi agréable à lire, après une journée à corriger des fautes, qu'une tasse de oolong est la bienvenue après s'être desséché la gorge à l'air parisien.
***
MàJ du 25-05:
Après avoir terminé l'ouvrage et laissé passer quelques jours, je mets un bémol à ma première impression: le best-seller de Muriel Barbery n'est pas si terrible que ça, pour de multiples raisons sur lesquelles je ne m'étendrais pas outre mesure, les points suivants exceptés.
Par certains aspects, ce récit m'a un peu fait penser au cinéma d'Eugène Green, prompt à faire la satire des songe-creux et à prôner une approche "pleine", immédiate des oeuvres d'art. A la différence que, chez Eugène Green (dans le Monde vivant surtout), on retrouve une naïveté et une poésie absentes de la prose de Muriel Barbery, qui à force d'artifices littéraires décrédibilise ses personnages principaux. En outre, la pure contemplation que propose L'élégance du hérisson me laisse un peu froid, je suis davantage à la recherche d'un émerveillement.
L'ouvrage reste néanmoins très agréable à lire, très drôle, et d'une qualité de langue remarquable. La comparaison avec la tasse de thé tient donc toujours. Mais l'exercice se perd un peu trop dans l'anecdote à mon goût, et je préfère retourner à Peter Pan.

mardi 20 mai 2008

Les Orientales

La nouvelle édition du festival de musique du monde de Saint-Florent-le-Vieil est programmée. Je ne pourrai malheureusement pas y aller cette année, étant rivé à Paris pour ma formation professionnelle en correction-relecture. Mais je ne doute pas de l'excellence de cette édition: l'année dernière, en tout cas, le festival était très bien. Il y en avait pour tous les goûts, et Saint-Florent-le-Vieil est une ville on ne peut plus agréable.

Evidemment, la ville est encore plus belle dans l'imaginaire de Julien Gracq qu'elle ne l'est en réalité, mais elle garde tout de même un charme certain, surtout quand, comme moi, on est amoureux de la Loire. Et puis c'est tellement paisible, d'écouter des chants indiens ou de la flûte soufie dans une petite ville ligérienne, au début de l'été!

lundi 19 mai 2008

Méliès le magicien

On ira voir avec grand profit l'exposition Méliès qui a pris place à la cinémathèque de Paris depuis le 16 avril. Je n'ai pas vu l'exposition qui avait eu lieu il y a quelques années à l'espace EDF-Electra, mais celle-ci est très bien. Elle met notamment en valeur un aspect relativement méconnu de l'oeuvre d'un des premiers cinéastes à avoir travaillé la fiction: ses rapports avec le monde de la magie. Méliès est d'abord un magicien, qui veut se situer dans la lignée de Robert Houdin, le plus célèbre des prestidigitateurs français du XIXe siècle, et dont il rachète le théâtre pour y faire ses spectacles et ses projections. Plus que l'idée de faire de la fiction là où la plupart des films de son époque exploraient la veine documentaire, l'idée principale de Méliès semble ainsi avoir été de créer un art de l'illusion, de la magie au sens spectaculaire du terme.


Ce qui explique son goût pour les machines et la technologie: le merveilleux n'est pas pour lui incompatible avec la modernité et la technique. Le merveilleux chez Méliès est de l'ordre de la féerie, au sens théâtral du terme: non pas le rêve surnaturel d'un monde où s'exercerait le pouvoir suprahumain des fées, mais un spectacle de théâtre où les effets spéciaux excèdent largement le sens des histoires, pour impressionner et faire illusion sur le spectateur. Grande machinerie baroque plutôt que poésie intimiste, la féerie de Méliès a le mérite de brasser tout un univers visuel, littéraire et musical, qui mêle les références au livre illustré romantique et au théâtre de marionnettes, les contes de fées et les romans de Jules Verne, le ballet et le piano-bar. Pour vraiment comprendre ce que le cinéma doit à la lanterne magique, l'exemple seul de Méliès suffit.


Personne n'a d'excuse pour rater cette exposition: l'entrée est gratuite le dimanche matin. Période pendant laquelle la cinémathèque, visiblement, est en plus peu fréquentée: raison de plus d'y aller. Un seul défaut: l'exposition est beaucoup trop courte. Trois salles, cela fait peu. Mais c'est beau, et c'est l'occasion de voir des dessins, des maquettes et quelques films de l'inventeur des effets spéciaux au cinéma, du premier à avoir raconté des merveilles par le biais de l'invention des frères Lumière.

Dans la même veine, je tiens à signaler que, en juin et en juillet, la cinémathèque organise un cycle sur "Les héritiers de Méliès", avec projection des Aventures du baron de Münchhausen de Terry Gilliam, Le Baron de Crac de Karel Zeman (à voir absolument! le mercredi 28 mai), L'histoire sans fin, La cité des enfants perdus, le Batman de Tim Burton, etc. Petit souci: tous les films de ce cycle sont projetés en semaine à 12h30... merci pour les grands enfants qui travaillent. On pourra toujours se consoler avec le site internet de la cinémathèque, qui propose un commentaire interactif d'un dessin de Méliès, et quelques autres animations.

mercredi 14 mai 2008

Ethnopoésie

Calligrammes masora, deux exemples tirés de marges de manuscrits hébreux médiévaux.
Dans la suite de ce que nous disions en mars dernier sur les rapports entre chamanisme et poésie, Charlotte m'a signalé l'existence d'un excellent site internet, ubu, qui comprend une section sur l'ethnopoésie, tenue justement par Jerome Rothenberg, l'auteur/compilateur des Techniciens du sacré. En plus de textes explicatifs sur cette nouvelle discipline qui veut se situer au carrefour entre littérature, musicologie et anthropologie, le site construit par Jerome Rothenberg offre énormément de documentation.
Un "palimpseste néolithique", retranscription d'un décor pariétal, Les trois frères, France.
Des retranscriptions de poèmes, bien sûr, mais également des documents sonores, ainsi que quelques "poèmes visuels", qui vont, avec l'habituel et fécond syncrétisme de Rothenberg, des fresques paléolithiques, témoins d'un mode d'expression dans lequel l'image et l'écrit n'étaient pas encore distincts, jusqu'aux calligrammes de Guillaume Apollinaire, en passant par une représentation kabbalistique de la voûte étoilée sous la forme d'un firmament de lettres éparses.
Un firmament alphabétique sacré, oeuvre de Jacques Gaffarel, kabbaliste chrétien du XVIIe siècle.

Calligrammes d'Apollinaire, début XXe siècle.

Sur la poésie visuelle, Anne-Marie Christin a déjà bien mis en rapport, dans son livre L'image écrite, ou la déraison graphique, les expérimentations des avant-gardes avec les fresques primitives - et avec la calligraphie chinoise, ce que ne fait pas Rothenberg (on ne peut pas tout faire!). L'originalité de Rothenberg se situe donc dans quelques-unes de ses sources - il est allé chercher loin dans le chamanisme contemporain ainsi que dans la religion juive -, et surtout dans sa mise en exergue du matériau sonore des poèmes. Les documents audiophoniques qu'il met à disposition sont de toute beauté, rassemblant poèmes sonores, musiques vocales et litanies religieuses de tous les continents. A déguster.

lundi 12 mai 2008

Et si on parcourait le monde à vélo?

Je voulais juste vous faire partager le carnet de voyage de deux amis à moi partis de Strasbourg pour se rendre jusqu'à Bangkok à vélo. Ils arrivent bientôt à la fin de leur périple (10.000 km pédalés) ; j'ai suivi l'aventure depuis le départ et c'est assez fascinant ce qu'ils ont accompli et toutes les choses qu'ils ont vécu. Ils sont actuellement en Chine. Allez les soutenir sur leur blog, ça leur fera plaisir!

samedi 10 mai 2008

Un marchand de sable dans une brocante

Cet après-midi, après avoir lu au soleil sur la pelouse du parc des Buttes-Chaumont, j'ai parcouru une brocante/vide-grenier qui s'étalait sur tout un côté du parc. Et après avoir acquis une biographie de Dürer et un livre sur la théorie de l'image au Moyen-Âge, je suis tombé... sur l'intégrale de Sandman en version originale! Enfin presque, il manque visiblement le onzième volume paru bien après les dix premiers (en 2003, alors que la série a été publiée entre 1988 et 1996).
Dans le tas, il y avait également 2 volumes de Death, Black Orchid (toujours de Gaiman et McKean), un artbook sur les couvertures de Dave McKean, et deux ou trois comics sur Alice Cooper et Kiss. Le vendeur voulait visiblement se débarrasser de ce tas de comics anglais, parce qu'il m'a fait le tout à 15 euros! Si ce n'est pas de la chance, je ne sais pas comment ça s'appelle.

Bien évidemment, je ne saurais trop conseiller à ceux qui ne connaissent pas de tenter l'aventure de Sandman. C'est une série de bandes dessinées majeure du début des années 1990, qui a passablement révolutionné l'art du comics américain. Publiée chez Vertigo Comics, Sandman est une bande dessinée "adulte", dans le sens où elle est relativement difficile à suivre du point de vue narratif, très dense en informations, et s'autorise des passages particulièrement glauques et violents. Le scénario est de Neil Gaiman, un scénariste de bande dessinée qui fait également dans le roman, et les couvertures sont toutes de Dave McKean, un artiste exceptionnel. Les dessinateurs changent selon les épisodes et les volumes, ce qui donne un côté un peu "éclaté" à la série, mais qui est une démarche habituelle dans l'édition de comics.


L'histoire est celle d'un "éternel", le marchand de sable (autrement appelé Morpheus), qui est le rêve. Et comme il est le rêve, il détient un pouvoir considérable sur les hommes, que bien des entités, dans le monde, seraient désireuses de s'approprier.

Morpheus, un personnage imaginé par un amateur de The Cure
***
Mélangeant allègrement les références historiques, religieuses, littéraires, artistiques, occultistes, et la simple description triviale de la réalité des hommes, faite de bonheurs simples mais également de viols, de drogue, de manipulation mentale et de folie, Neil Gaiman a construit un monde à la fois merveilleux et fantastique à partir du nôtre. Merveilleux, parce que tous les mondes s'y mêlent de manière cohérente, à la fois éclatée et continue - comme dans les rêves -; et fantastique parce que, très souvent, les rêves y tournent au cauchemar.

Mêlant onirisme et horreur, Sandman est un ovni dans le monde de la bande dessinée. Un ovni qui vole bien plus haut que la plupart des comics à la sauce super-héros - que par ailleurs je lis aussi, mais avec moins de respect et d'entrain. Un ovni qui a néanmoins daigné venir s'échouer dans un vide-grenier du 19e arrondissement, me réservant ainsi de nombreuses heures de délicieuse lecture.
On trouve de tout dans un vide-grenier, comme dans les rêves, comme dans Sandman. Ne dit-on pas que les rêves se trouvent dans le grenier de notre esprit?

Tarte à la crème et papillon

Il y avait la crème de la crème de nos politiques, mercredi dernier à Lille Grand Palais, pour "le rendez-vous des européens". Une journée complète dédiée à l'Europe, avec divers ateliers (l'éducation, les médias, la culture, la mémoire, la mobilité des jeunes, internet), diverses interventions et débats.
Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'état chargé des Affaires Européennes, a répondu aux questions de Pierre Sled (oui, celui-là même qui présente l'émission "l'été de tous les records"!). C'était assez bien calibré, avec une langue de bois de la plus noble espèce qui a mis tous le monde dans un demi-sommeil. Sans doute l'assistance attendait-elle un soubresaut avec l'arrivée de Cohn-Bendit, prévue pour le débat suivant. Mais le bougre n'est pas venu. Dommage, j'aurais bien voulu voir à quoi ressemble cet ex-militant surexcité à la verve légendaire.


Au lieu de ça nous avons eu droit à une petite valse entre Xavier Darcos, Rama Yade, Anna-Marie Lizin (sénatrice belge) et Philippe Starck ; Cohn-Bendit a été remplacé par Gottfried Langenstein, président d'Arte. Sujet : "le défi de la refondation".


Comme à leur habitude, les politiques purs ont tenu des propos totalement abscons, ce qui ne mérite aucunement que je revienne là-dessus. En revanche, ce débat a permis de donner la parole à deux personnalités du paysage culturel, dont je connaissais davantage le nom que les opinions : Starck et Langenstein. Deux personnalités, deux façons opposées d'aborder le thème de la culture en Europe.
Couverture de Pierre Doze, Starck by Starck, Taschen, 2003


Philippe Starck, connu pour ses réalisations dans le domaine du design, est venu en tant que "directeur artistique de la présidence française de l'Union européenne" (appelé par Bernard Kouchner). En France, on aime les tartes à la crème. Celle-là dépasse toutes nos espérances. J'ai rarement entendu un homme placé à ce niveau de responsabilité débiter de telles niaiseries en tout franchise. Par exemple, quand on lui demande s'il y a une identité artistique aujourd'hui en Europe, le designer explique qu'il ne pense pas cela, parce qu'en Europe nous avons des tribus, lesquelles tribus se retrouvent tout autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Europe... Mince, où ai-je mis mon tomahawk? Au cours du débat (résumé ici), l'homme s'est dépensé sans compter, ne faisant que trahir toujours plus auprès de l'assistance le vide sidéral non seulement de ses propos, mais surtout de sa pensée.
Devant ce triste spectacle qui n'a bluffé personne (applaudimètre à zéro, c'est dire), un homme s'est fortement démarqué par une humanité et une sincérité à fleur de peau, qui ont profondément touché et enthousiasmé le public. Je voudrais à ce propos remercier Cohn-Bendit de n'être pas venu, il m'a ainsi permis de découvrir une personnalité absolument extraordinaire, qui donne enfin un souffle au mot "culture". Cet homme, c'est Gottfried Langenstein, président d'Arte.

Gottfried Langenstein

Cet Allemand au CV particulièrement impressionnant a certainement tenu les propos les plus intelligents du débat (avec Anne-Marie Lizin). Les mains tremblantes d'émotion, il a parlé bien sûr de sa chaîne, de son parcours personnel, mais surtout des valeurs de l'Europe. Si l'Europe veut reposer sur des fondements communs, c'est vraisemblablement par les valeurs que cela passe, et par la défense de ces valeurs face aux autres grandes puissances. Mais loin de sombrer dans la béatitude, il a rappelé aussi avec force exemples (le Tibet notamment) qu'il ne s'agit pas juste de proclamer ces valeurs, mais aussi de dénoncer les exactions commises par l'Europe elle-même. Parallèlement, il a insisté sur l'inutilité complète d'une Europe purement administrative qui fait l'impasse sur l'importance de chaque citoyen dans la contruction européenne. Afin de me dégager de toute suspicion de faiblesse subjective, je vous renvoie au très sérieux compte-rendu du site Nonfiction dans lequel il apparaît clairement que Langenstein a été l'un des seuls intérêts de cette rencontre. Bref, une pensée palpitante, en marge de ce que l'on entend habituellement avec nos politiques imbus d'eux-mêmes.
Je pense que Langenstein a une vision extraordinairement juste et constructive de l'Europe. Il représente pour moi une perle rare, une voix enfouie en chacun de nous qui ne demande qu'à papillonner, pour accéder à un monde plus humain et plus responsable (Nonfiction.fr parle d'un "universaliste", mais je n'aime guère ce mot) . Il incarne, en quelque sorte, une sorte d'espoir, on se dit "ah, mais finalement des gens de qualité peuvent peut-être accéder à la scène publique...?"


N'attendons en tout cas rien de la présidence française de l'Union Européenne, en ce qui concerne la culture et les arts ; en revanche, vivement la présidence allemande, si Langenstein pouvait remplacer Philippe Sta... Philippe comment, déjà?

vendredi 9 mai 2008

Encore de la lecture...

Deux sujets assez intéressants piochés sur le blogue de Pierre Assouline.
Aristote (détail de L'école d'Athènes), Raphaël, 1511, fresque, Vatican.
1. Une polémique passionnante porte ces derniers temps sur un livre de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'ENS-Lyon, qui tend visiblement à minimiser de manière radicale l'apport de la civilisation arabe dans la transmission des textes d'Aristote en Occident au Moyen-Âge. Le sujet pourrait sembler anecdotique, tel celui sur les chevaliers du lac de Paladru, s'il ne touchait au problème, éminemment politique et contemporain, des "racines chrétiennes" de la culture occidentale: pour résumer, l'auteur du livre Aristote au Mont Saint-Michel est accusé, par une très grande partie des chercheurs français en histoire et en philosophie médiévale, de faire le jeu d'une idéologie conservatrice christiano-centriste, d'insister sur l'existence d'un foyer authentiquement chrétien de traduction des textes d'Aristote en minimisant les apports de la civilisation arabo-musulmane en la matière.
Les pièces du dossier sont difficiles à résumer, mais vous trouverez ici et une bonne partie des arguments et contre-arguments, avec des liens vers les articles des différents acteurs de la polémique. Tout ça peut paraître très éloigné de nos soucis de la vie quotidienne, mais ce qui se passe dans le monde des idées, et notamment dans la construction idéologique de l'histoire, a une influence certaine sur l'ordre politique de notre société. Non, ce n'est pas seulement une querelle de spécialistes. Les implications idéologiques semblent profondes.

2. Dans un autre genre, un billet intéressant sur l'histoire de la publication de Mein Kampf, qui tord le cou à une idée reçue assez répandue selon laquelle le livre serait interdit de vente en France. C'est le cas en Allemagne en revanche, et les historiens se posent la question de savoir s'il ne serait pas temps de publier une édition scientifique du livre d'Adolf Hitler, avec notes, commentaires et préface, avant 2015, date où le livre tombera dans le domaine public, et où risque donc de fleurir tout un nombre d'éditions néonazies. En somme, l'idée est de publier un ouvrage de référence avant qu'il ne soit noyé dans la masse des éditions courantes ou, pire, apologétiques.

Des goûts et des couleurs... on ne cesse de discuter

Pour faire suite à l'un de mes commentaires dans le billet précédent, je voudrais signaler un excellent article d'Alain Séguy-Duclot, qui s'intitule: "Les jugements esthétiques sont-ils irréductiblement subjectifs?"
A ne pas conseiller aux gens pressés: l'article est assez long. En revanche, il est extrêmement clair, et d'une rigueur de raisonnement implacable. Enfin, il n'est pas jargonnant, même si la partie sur l'esthétique de Kant reste assez technique. Le propos de M. Séguy-Duclot est de défendre la thèse d'une objectivité du goût, contre Gérard Genette qui prône un relativisme subjectif radical: des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Alors que si, on en discute, et que en se creusant la tête on peut arriver à trouver des critères objectifs d'évaluation des oeuvres. La difficulté étant ensuite d'arriver à les appliquer sans parti pris idéologique...

mardi 6 mai 2008

GTA4 is in da house

Les premiers arts étaient l'architecture, la sculpture, la peinture, la danse, la musique, la poésie (d'après Hegel), puis on y a ajouté le cinéma ("le 7è art") ; suite à quoi la télévision, l'art dramatique et la photographie se sont retrouvés tous trois rangés à la huitième place, juste avant ce neuvième art qu'est la bande dessinée - Notez que pour l'instant la littérature n'est pas encore considérée comme un art. Il est vrai que l'ajouter maintenant ferait un peu tache. Imaginez : "nous avons trouvé le dixième art, c'est la littérature!". Non, ce serait grotesque; c'est pourquoi on a préféré mettre en dixième place les jeux video. Ne riez pas.

Lara Croft ne rit pas

Les jeux video sont "une industrie culturelle", comme les livres, la musique, le cinéma, la télévision, et la radio (d'après le concept introduit par Adorno et Horkheimer dans "La dialectique de la raison", 1947).

Du point de vue économique, le jeu video prend un essor de plus en plus considérable depuis une dizaine d'années. Sur Wikipedia il est dit que "les logiques à l'œuvre dans ces secteurs [livres, musique, cinéma etc.] ne sont pas très différentes de celles prévalant dans l'édition de jeux vidéos ou de la haute couture, la différence essentielle étant le statut du créateur original: les techniciens (infographiste, couturier), par exemple, ne jouissent pas du statut social de l'artiste, (écrivain ou sculpteur)". Cet article est à repenser, puisque justement en France des voix s'élèvent pour reconnaître aux créateurs de jeux video ce statut tant convoité qui permet d'accéder à des aides financières, comme c'est le cas pour le cinéma, la musique et l'audiovisuel.


Sachant que le secteur des jeux video a détrôné le cinéma et la musique en terme de chiffre d'affaires (logiciels : 1,2M, consoles : 2M), je m'explique mieux pourquoi il y a tant de remue-ménage. Des grosses machines prennent tout le marché, et ne laissent plus de place aux petites boîtes qui rament pour sortir des jeux video "de qualité". Il est fort possible qu'à terme, de petits créateurs soient soutenus comme l'est le cinéma d'art & d'essai, par un système de redistribution. Une certaine mutation est donc en train de se produire, puisque le jeu video est en train d'accéder, à la fois statutairement et symboliquement, à la reconnaissance artistique. J'imagine déjà les Super Mario Awards, où l'on décernerait le prix du meilleur scénario, le prix du meilleur graphisme ou de la meilleure musique... et le Super Mario d'honneur!


Mario et Luigi en pole position

Dans ce contexte, la sortie d'un jeu comme GTA vient rivaliser avec la sortie d'Iron Man au cinéma (c'était la polémique il y a quelques jours), surtout parce que les gamers ne sortent pas de chez eux avant d'avoir fini le jeu, alors qu'ils forment précisément le coeur de cible d'un film comme Iron Man (lire aussi la contre-polémique). En somme, les investisseurs qui mettent des millions pour produire les films qui inondent nos écrans (télé et cinéma) vont finir par penser que leur activité est moribonde (pensée qui s'infiltre déjà depuis quelque temps avec le téléchargement illégal). Et puis pourquoi payer des acteurs, des studios etc., alors que chacun maintenant peut être l'acteur de son propre film (chef de la pègre à NY dans GTA4) et shooter tous les gens mieux qu'au cinéma, avec de super armes customisées?


En somme : il y aurait cannibalisation d'une industrie culturelle par une autre, voilà tout. Rien ne concerne l'art là-dedans. Oui, mais on nous dit que les jeux video sont maintenant considérés comme le dixième art? Moi, je veux bien, mais si dans "jeu video", il y a le mot "video", ce qui pourrait éventuellement renvoyer à une activité artistique, il y a surtout le mot "jeu". Or, si les jeux sont de l'art, qu'attend-on pour placer les designers de jeux de cartes, les scénaristes de jeux de rôles, les concepteurs de jeux de société, etc., au rang des professions artistiques? Et en quoi un jeu, même s'il est le fruit du travail d'artistes (comme peuvent l'être la publicité, la magie, le cirque, la mode, le design et j'en passe) en devient-il une oeuvre artistique pour autant? Je veux bien que l'on considère la dimension artistique (parfois indéniable) du travail accompli, mais le produit final n'en demeure pas moins un jeu : sa fonction n'est donc pas la même qu'une bande dessinée, qu'un film ou qu'un tableau.

Quant à la notion d'industrie culturelle appliquée au jeu vidéo, si elle est moins choquante, elle témoigne cependant d'une confusion des genres, liée au terme de "culture", mais c'est un vaste débat.



Ah, en attendant, je cours m'acheter le dernier opus des GTA, j'espère m'enrichir plus qu'en lisant Maupassant, et puis après le temps que je viens de perdre à vous raconter toutes ces salades, peut-être vais-je enfin pouvoir développer mon potentiel créatif! :-)

samedi 3 mai 2008

Le Mont de l'Archange

Cela est bien connu de tous les spécialistes du patrimoine : un monument historique, quelque soit sa destination initiale, ne peut se passer d'une activité à caractère commercial qui lui permette de vivre - surtout quand on imagine le prix que vont coûter les travaux de désensablement qui viennent de commencer. Le Mont Saint-Michel, inscrit au patrimoine de l'UNESCO, appartient désormais "à tous"; il est le symbole glorieux d'une culture aujourd'hui disparue mais toujours rayonnante, dont l'appropriation par chacun semble être la seule garantie de pérennité.

D'où un certain sentiment amer : ce Mont, nous l'aimons, mais il est devenu insupportable d'y mettre les pieds tant on se fait marcher dessus. Le Mont Saint-Michel a-t-il vraiment mérité de devenir cet Euro-Disney normand?

« Un jour, pendant son sommeil, Aubert, l'évêque d'Avranches, très aimé de Dieu pour sa ferveur, reçut, par une révélation angélique, la demande de construire, au sommet du (Mont Tombe), un sanctuaire en l'honneur de l'Archange en sorte que celui dont on fait mémoire au mont Gargan soit aussi honoré en pleine mer. La construction fut rapide. Et bien qu'il eût offert son oeuvre à Dieu, l'évêque Aubert restait tourmenté parce qu'il manquait des témoignages de l'archange Michel. Celui-ci le chargea d'envoyer des frères au mont Gargan... Le 16 octobre, Aubert, l'homme de Dieu, acheva la dédicace du vénérable sanctuaire. » Révélatio, manuscrit 210 du Mont, conservé à Avranches, X° siècle.


En 708, quand l'évêque d'Avranches reçoit cette révélation, il entrevoit la construction d'un gigantesque sanctuaire qui puisse faire honneur à l'Archange Saint-Michel. 1300 ans plus tard, le Mont Saint-Michel n'a pas pris une ride. Il est même devenu le premier site touristique français (hors Ile-de-France) avec ses 3 millions de visiteurs chaque année. Pour ouvrir les festivités prévues pour les 1300 ans du Mont Saint-Michel, il ne fallait pas moins que la présence d'un des plus éminents responsables de l’Église catholique en France et l’un des principaux interlocuteurs religieux des pouvoirs publics : j'ai nommé Monseigneur André 23, Cardinal catholique, archevêque de Paris et président de la Conférence des Evêques de France (CEF). André 23 est à mon avis un des personnages les plus intéressants en ce moment dans le paysage catholique français, et surtout un des plus loquaces. En témoigne la série d'émissions "à voix nue" réalisée par France Culture et diffusée le mois dernier, où l'homme aborde à peu près tous les sujets du monde actuel avec une liberté et une lucidité confondantes. Sans doute nous tenons là l'une des voix essentielles de l'Eglise catholique pour l'avenir.

Cette intervention de Monseigneur André 23 pour l'ouverture des festivités du Mont Saint-Michel le 1er mai, au cours de laquelle il a célébré une messe solennelle, est une date importante je pense pour ce haut lieu de prière monastique, qui s'est vu dépossédé de sa destination première en raison de l'affluence de touristes souvent moins soucieux de spiritualité que de spectaculaire. Un évènement symbolique, donc, qui a le mérite de replacer le Mont Saint-Michel dans son histoire. Comme le dit lui-même l'archevêque, Le 13è centenaire du Mont, c'est le signe de la continuité de la présence chrétienne en ce lieu de prière monastique qui a repris il y a quelques dizaines d'années et qui continue aujourd'hui. C'est le signe de la fécondité de la foi à travers la beauté du monument". Voilà de saines paroles. En espérant que l'année de festivités qui s'ouvre s'inscrive sous ce signe.
Rendons au Mont Saint-Michel ce qui lui appartient - sa raison d'être : plus qu'une merveilleuse bâtisse qui nous parle depuis les âges les plus reculés, un lieu entièrement dédié à l'Archange. Et retenons ces mots de l'évêque d'Avranches :

"[...]Si les pierres pouvaient parler, elles nous diraient que le Mont-Saint-Michel, avant d’être cette étonnante construction, est d’abord un grand élan vers le ciel, vers Dieu : un lieu de louange et de prière à nul autre pareil[...]"
extrait du discours de Stanislas Lalanne, évêque de Coutances et d'Avranches.