samedi 10 mai 2008

Tarte à la crème et papillon

Il y avait la crème de la crème de nos politiques, mercredi dernier à Lille Grand Palais, pour "le rendez-vous des européens". Une journée complète dédiée à l'Europe, avec divers ateliers (l'éducation, les médias, la culture, la mémoire, la mobilité des jeunes, internet), diverses interventions et débats.
Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'état chargé des Affaires Européennes, a répondu aux questions de Pierre Sled (oui, celui-là même qui présente l'émission "l'été de tous les records"!). C'était assez bien calibré, avec une langue de bois de la plus noble espèce qui a mis tous le monde dans un demi-sommeil. Sans doute l'assistance attendait-elle un soubresaut avec l'arrivée de Cohn-Bendit, prévue pour le débat suivant. Mais le bougre n'est pas venu. Dommage, j'aurais bien voulu voir à quoi ressemble cet ex-militant surexcité à la verve légendaire.


Au lieu de ça nous avons eu droit à une petite valse entre Xavier Darcos, Rama Yade, Anna-Marie Lizin (sénatrice belge) et Philippe Starck ; Cohn-Bendit a été remplacé par Gottfried Langenstein, président d'Arte. Sujet : "le défi de la refondation".


Comme à leur habitude, les politiques purs ont tenu des propos totalement abscons, ce qui ne mérite aucunement que je revienne là-dessus. En revanche, ce débat a permis de donner la parole à deux personnalités du paysage culturel, dont je connaissais davantage le nom que les opinions : Starck et Langenstein. Deux personnalités, deux façons opposées d'aborder le thème de la culture en Europe.
Couverture de Pierre Doze, Starck by Starck, Taschen, 2003


Philippe Starck, connu pour ses réalisations dans le domaine du design, est venu en tant que "directeur artistique de la présidence française de l'Union européenne" (appelé par Bernard Kouchner). En France, on aime les tartes à la crème. Celle-là dépasse toutes nos espérances. J'ai rarement entendu un homme placé à ce niveau de responsabilité débiter de telles niaiseries en tout franchise. Par exemple, quand on lui demande s'il y a une identité artistique aujourd'hui en Europe, le designer explique qu'il ne pense pas cela, parce qu'en Europe nous avons des tribus, lesquelles tribus se retrouvent tout autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'Europe... Mince, où ai-je mis mon tomahawk? Au cours du débat (résumé ici), l'homme s'est dépensé sans compter, ne faisant que trahir toujours plus auprès de l'assistance le vide sidéral non seulement de ses propos, mais surtout de sa pensée.
Devant ce triste spectacle qui n'a bluffé personne (applaudimètre à zéro, c'est dire), un homme s'est fortement démarqué par une humanité et une sincérité à fleur de peau, qui ont profondément touché et enthousiasmé le public. Je voudrais à ce propos remercier Cohn-Bendit de n'être pas venu, il m'a ainsi permis de découvrir une personnalité absolument extraordinaire, qui donne enfin un souffle au mot "culture". Cet homme, c'est Gottfried Langenstein, président d'Arte.

Gottfried Langenstein

Cet Allemand au CV particulièrement impressionnant a certainement tenu les propos les plus intelligents du débat (avec Anne-Marie Lizin). Les mains tremblantes d'émotion, il a parlé bien sûr de sa chaîne, de son parcours personnel, mais surtout des valeurs de l'Europe. Si l'Europe veut reposer sur des fondements communs, c'est vraisemblablement par les valeurs que cela passe, et par la défense de ces valeurs face aux autres grandes puissances. Mais loin de sombrer dans la béatitude, il a rappelé aussi avec force exemples (le Tibet notamment) qu'il ne s'agit pas juste de proclamer ces valeurs, mais aussi de dénoncer les exactions commises par l'Europe elle-même. Parallèlement, il a insisté sur l'inutilité complète d'une Europe purement administrative qui fait l'impasse sur l'importance de chaque citoyen dans la contruction européenne. Afin de me dégager de toute suspicion de faiblesse subjective, je vous renvoie au très sérieux compte-rendu du site Nonfiction dans lequel il apparaît clairement que Langenstein a été l'un des seuls intérêts de cette rencontre. Bref, une pensée palpitante, en marge de ce que l'on entend habituellement avec nos politiques imbus d'eux-mêmes.
Je pense que Langenstein a une vision extraordinairement juste et constructive de l'Europe. Il représente pour moi une perle rare, une voix enfouie en chacun de nous qui ne demande qu'à papillonner, pour accéder à un monde plus humain et plus responsable (Nonfiction.fr parle d'un "universaliste", mais je n'aime guère ce mot) . Il incarne, en quelque sorte, une sorte d'espoir, on se dit "ah, mais finalement des gens de qualité peuvent peut-être accéder à la scène publique...?"


N'attendons en tout cas rien de la présidence française de l'Union Européenne, en ce qui concerne la culture et les arts ; en revanche, vivement la présidence allemande, si Langenstein pouvait remplacer Philippe Sta... Philippe comment, déjà?

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