Je ne ferais pas de longue description ou d'analyse de ce film, qui est tiré d'un roman d'Abé Kôbô. D'autres s'en sont chargés, qui donneront une meilleure idée de son contenu.
Pour néanmoins résumer brièvement l'histoire: il s'agit d'un entomologiste qui part dans le désert, à la recherche d'espèces d'insectes rares. Il s'attarde un peu trop, et manque son car, ce qui l'oblige à passer la nuit sur place, chez une femme qui habite au fond d'un trou dans le sable. Bientôt, il comprend qu'il est retenu prisonnier de ce trou, dont il est impossible de s'échapper tant les parois en sont friables. Pour survivre, il faut tous les soirs faire remonter, à l'aide des villageois voisins, le sable qui dans la journée est tombé dans le trou.
Un vrai supplice digne du tonneau des Danaïdes, qui est rendu d'autant plus oppressant grâce à la musique de Toru Takemitsu, grand compositeur japonais s'il en est. Mais en même temps une histoire d'amour comme seuls les japonais sont capables d'en produire, où la femme est véritablement identifiée au paysage qu'elle habite. Tant narratologiquement (elle refuse de partir de son trou) que plastiquement. Ce dernier point grâce à des superpositions d'images:
Ou bien en faisant du corps de la femme elle-même un paysage de dunes ensablées.
En somme, cette femme ressemble beaucoup à une fée: c'est un génie attaché à un lieu, et elle emprisonne le héros de la même manière que Viviane retient Merlin en son lac. Elle prend le héros dans ses rets, qui sont ses longs cheveux défaits, sur lesquels la caméra insiste à plusieurs reprises (souvenons-nous de Mélisande, de Raiponce). Par ailleurs, on retrouve bien l'imaginaire de la coupe, de la fosse, de la grotte, qui est l'un des signes de reconnaissance de la figure de la fée, et qui caractérise le régime nocturne de l'imagination que décrit Gilbert Durand dans ses Structures anthropologiques de l'imaginaire. On retrouve même l'imaginaire thériomorphe (avec les insectes, et le sable grouillant) attaché à l'évocation du monde nocturne.
Il serait trop long de faire l'analyse symbolique de ce film en fonction de l'archétypologie de Durand (surtout dans la mesure où il faudrait rappeler brièvement les principes de cette cartographie structuraliste de l'imaginaire). Mais on peut tout de même dire que La femme des sables raconte l'histoire d'une longue et splendide conversion du héros, d'un univers diurne, effrayé par ce trou où le sable ne cesse de tout ensevelir, à un monde nocturne, où il accepte, par et pour l'amour d'une femme, le caractère éphémère de l'existence. Au début, le seul but dans l'existence de notre entomologiste est de trouver l'éternité en donnant son nom à une nouvelle espèce. A la fin, il n'a plus de but aussi déterminé, et accepte de remettre à plus tard le jour de son départ, comme s'il envisageait, dans une sorte de carpe diem radical, de ne pas donner de sens définitif à son existence. Il perd ses certitudes.
Inutile de dire qu'il s'agit donc d'un récit initiatique... labyrinthique, et de toute beauté.
2 commentaires:
Hihihi espèce de dix-neuvièmiste pervers tu voudrais vraiment nous faire croire que ton réalisateur soit visionnaire au point de faire des films trente-et-un an avant 1895 (date retenue pour la création du cinéma) ?
Le cinéma aurait-il été découvert durant l'ère Tokugawa et perdu durant la guerre du Boshin ?
:-p
(Tiens au fait, j'ai lu le bouquin que tu m'avais filé et j'ai arrêté de fumer. Merci à toi.).
Mes excuses, réflexe de dix-neuviémiste, comme tu dis... J'ai modifié ça tout de suite.
Ca m'arrive régulièrement durant les visites à La Devinière: "Pantagruel est publié pour la première fois en 1832..."
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