Vous vous demandez ce qu'est cette chose ? C'est un e-tuner, un nouveau type de diapason inventé pour les choristes (professionnels) qui doivent s'attaquer à des répertoires contemporains particulièrement ardus à base de micro-intervalles, très difficiles à entendre en valeur absolue. Vous mettez la petite oreillette et vous savez la note que vous devez faire ! C'est Laurence Equilbey, une des chefs de choeur les plus en vue actuellement (elle dirige Accentus), qui a initié son invention.
J'ai récemment assisté à une conférence du jeune compositeur français Bruno Mantovani, qui manifestement est en train de décoller véritablement, puisqu'il est joué partout dans le monde, et a tant de commandes qu'il ne sait même pas s'il pourra tout faire dans les temps. Dans cette conférence, Mantovani nous a expliqué qu'il avait utilisé cet outil pour faire jouer ses oeuvres chorales très complexes. Résultat : décevant. Selon lui, l'idée est bonne, mais les choristes ne s'écoutent plus, occupés qu'ils sont à entendre leur note dans un agrégat sonore très dense. Pire, il a expliqué les dangers d'une dépendance à un tel outil, qui met en danger la musique elle-même. En effet, la base de la musique est de jouer ensemble, de s'écouter, d'ouvrir ses oreilles au maximum pour produire un son riche, conscient et construit. Si les choristes ne peuvent plus jouer sans e-tuner, alors la musique est seulement exécutée, sans saveur, sans humanité, en bref sans âme.
Bruno Mantovani
Le fait qu'un compositeur particulièrement innovant émette lui-même des doutes sur l'utilité d'un tel instrument pose évidemment question : celui qui a la meilleure oreille pour juger si son oeuvre est correctement exécutée est au final le compositeur. Pour ma part, je souscris à ces interrogations, même si je n'ai pas moi-même expérimenté l'e-tuner, et ne peux donc vraiment en parler en connaissance de cause. Mais l'idée paraît bonne, quand même. Je pense que l'humain est suffisamment performant pour résoudre ces problèmes sans l'aide de l'électronique. L'oreille s'éduque, comme l'oeil, comme tout le reste. Il n'y a pas de raison qu'un choeur ne puisse développer une parfaite maîtrise de son oreille.
Dans le même registre de l'électronique au service de la musique, mais beaucoup plus impressionnant, récemment, à Détroit, un robot a dirigé un orchestre symphonique!
Il est mignon, ce petit robot, isn't it? Les musiciens ont été bluffés par ses capacités. Le problème de ce robot est qu'il ne prend pas en compte les réactions des musiciens. On revient au problème évoqué précédemment. La musique recèle certainement un des secrets les plus profonds de l'humanité, et comme les robots doivent ressembler aux hommes, on pense qu'il faut qu'ils jouent de la musique. La technologie, ainsi, fait des progrès de géant, et c'est tant mieux. Mais je le dis tout net, la musique classique n'a rien à gagner à de telles expériences. C'est ça qui est décevant, quelque part. Tous ceux qui ont eu affaire à un chef d'orchestre savent que tout passe par l'échange des regards, les sourires, les gestes, etc. Avant que le robot puisse regarder les musiciens dans les yeux, analyser leurs réactions, faire passer de l'énergie et de l'émotion, au final transmettre le plaisir de la musique, de l'eau aura coulé sous les ponts. Et quand il saura le faire, qu'est-ce que la musique y aura gagné?
2 commentaires:
J'avais déjà vu Bruno Mantovani en master class, à l'époque où, bien que non-normalien, je squattais les cours et conférences à l'ENS Ulm. J'avais énormément apprécié cette soirée, sa musique également, mais par la suite j'ai rapidement été désemparé quand il s'est agi d'acquérir des cds: le monsieur a une discographie très conséquente malgré son jeune âge, et je ne savais pas ce qui était bien ou pas. Résultat, je n'ai rien acheté, préférant rester sur mon excellente première impression.
Concernant ton outillage électronique, c'est comme tous les outils: ça doit rester un moyen, et non une fin. Ce qui rend amusante, mais en effet limitée l'expérience du chef d'orchestre-robot. Ou robot-chef d'orchestre, je ne sais plus.
Tu as raison, bien sûr.
Attention quand même à ne pas trop simplifier le rapport technologie / musique. En art, il ne faut pas omettre la place de l'homme. On a tous entendu des discours d'intermittents pendant les manifestations il y a quelques années. Il prenaient en exemple le fait que l'on peut techniquement donner le rendu d'un orchestre avec très peu de musiciens, par des systèmes d'amplifications et de haut-parleurs. Mais si je vais au concert c'est pour voir "le travail" de l'orchestre (et du chef), sinon je reste chez moi écouter un disque. En bref, la technologie, même comme moyen, est pauvre face à l'homme. Au concert je veux voir ce que les hommes sont capables de faire de noble et d'élevé, et non des machines préprogrammées.
Cela n'empêche pas bien sûr d'expérimenter, et puis on a même de la musique composée spécifiquement sur support électronique. Dans ce cas il s'agit bien d'un moyen. En revanche remplacer un musicien par une machine est un coup porté à ce que l'humanité a de plus beau.
Je suis donc tout à fait d'accord avec toi quand tu qualifie juste "d'amusante" l'expérience du robot-chef d'orchestre, qui doit bien faire sourire les Claudio Abbado, Susanna Mälkki et autres Esa-Pekka Salonen... ceux-là au moins ont la musique dans leur chair, et sont sensibles aux applaudissements!
PS : ça devait cartonner, les master class de Mantovani à l'ENS ?
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