samedi 3 mai 2008

Le Mont de l'Archange

Cela est bien connu de tous les spécialistes du patrimoine : un monument historique, quelque soit sa destination initiale, ne peut se passer d'une activité à caractère commercial qui lui permette de vivre - surtout quand on imagine le prix que vont coûter les travaux de désensablement qui viennent de commencer. Le Mont Saint-Michel, inscrit au patrimoine de l'UNESCO, appartient désormais "à tous"; il est le symbole glorieux d'une culture aujourd'hui disparue mais toujours rayonnante, dont l'appropriation par chacun semble être la seule garantie de pérennité.

D'où un certain sentiment amer : ce Mont, nous l'aimons, mais il est devenu insupportable d'y mettre les pieds tant on se fait marcher dessus. Le Mont Saint-Michel a-t-il vraiment mérité de devenir cet Euro-Disney normand?

« Un jour, pendant son sommeil, Aubert, l'évêque d'Avranches, très aimé de Dieu pour sa ferveur, reçut, par une révélation angélique, la demande de construire, au sommet du (Mont Tombe), un sanctuaire en l'honneur de l'Archange en sorte que celui dont on fait mémoire au mont Gargan soit aussi honoré en pleine mer. La construction fut rapide. Et bien qu'il eût offert son oeuvre à Dieu, l'évêque Aubert restait tourmenté parce qu'il manquait des témoignages de l'archange Michel. Celui-ci le chargea d'envoyer des frères au mont Gargan... Le 16 octobre, Aubert, l'homme de Dieu, acheva la dédicace du vénérable sanctuaire. » Révélatio, manuscrit 210 du Mont, conservé à Avranches, X° siècle.


En 708, quand l'évêque d'Avranches reçoit cette révélation, il entrevoit la construction d'un gigantesque sanctuaire qui puisse faire honneur à l'Archange Saint-Michel. 1300 ans plus tard, le Mont Saint-Michel n'a pas pris une ride. Il est même devenu le premier site touristique français (hors Ile-de-France) avec ses 3 millions de visiteurs chaque année. Pour ouvrir les festivités prévues pour les 1300 ans du Mont Saint-Michel, il ne fallait pas moins que la présence d'un des plus éminents responsables de l’Église catholique en France et l’un des principaux interlocuteurs religieux des pouvoirs publics : j'ai nommé Monseigneur André 23, Cardinal catholique, archevêque de Paris et président de la Conférence des Evêques de France (CEF). André 23 est à mon avis un des personnages les plus intéressants en ce moment dans le paysage catholique français, et surtout un des plus loquaces. En témoigne la série d'émissions "à voix nue" réalisée par France Culture et diffusée le mois dernier, où l'homme aborde à peu près tous les sujets du monde actuel avec une liberté et une lucidité confondantes. Sans doute nous tenons là l'une des voix essentielles de l'Eglise catholique pour l'avenir.

Cette intervention de Monseigneur André 23 pour l'ouverture des festivités du Mont Saint-Michel le 1er mai, au cours de laquelle il a célébré une messe solennelle, est une date importante je pense pour ce haut lieu de prière monastique, qui s'est vu dépossédé de sa destination première en raison de l'affluence de touristes souvent moins soucieux de spiritualité que de spectaculaire. Un évènement symbolique, donc, qui a le mérite de replacer le Mont Saint-Michel dans son histoire. Comme le dit lui-même l'archevêque, Le 13è centenaire du Mont, c'est le signe de la continuité de la présence chrétienne en ce lieu de prière monastique qui a repris il y a quelques dizaines d'années et qui continue aujourd'hui. C'est le signe de la fécondité de la foi à travers la beauté du monument". Voilà de saines paroles. En espérant que l'année de festivités qui s'ouvre s'inscrive sous ce signe.
Rendons au Mont Saint-Michel ce qui lui appartient - sa raison d'être : plus qu'une merveilleuse bâtisse qui nous parle depuis les âges les plus reculés, un lieu entièrement dédié à l'Archange. Et retenons ces mots de l'évêque d'Avranches :

"[...]Si les pierres pouvaient parler, elles nous diraient que le Mont-Saint-Michel, avant d’être cette étonnante construction, est d’abord un grand élan vers le ciel, vers Dieu : un lieu de louange et de prière à nul autre pareil[...]"
extrait du discours de Stanislas Lalanne, évêque de Coutances et d'Avranches.

1 commentaire:

François a dit…

Je ne te savais pas si proche de la foi catholique, Continuum, voire si croyant... Pour ma part, ce qui m'intéresse dans le mont St Michel, c'est sa parenté avec un autre mont, le mont Gargan auquel Aubert fait allusion dans sa révélation. Le nom Gargan est une trace du passage du géant Gargantua, dont les aventures ont été réinventées par Rabelais. Mais à l’origine (au Moyen-Âge), le géant Gargantua était un héros très répandu dans la tradition orale française. Certains ont même émis l'hypothèse que Gargan était un ancien dieu gaulois, mais je reste peu convaincu. La force mythique d'un tel lieu excède en tout cas largement, il me semble, sa consécration chrétienne à un archange... ce qui n'enlève rien au fait que sa dimension religieuse ou mythique soit passablement occultée par son aspect pittoresque, qui attire au premier chef les touristes, comme tu l'as bien souligné.