Les jeux video sont "une industrie culturelle", comme les livres, la musique, le cinéma, la télévision, et la radio (d'après le concept introduit par Adorno et Horkheimer dans "La dialectique de la raison", 1947).
Du point de vue économique, le jeu video prend un essor de plus en plus considérable depuis une dizaine d'années. Sur Wikipedia il est dit que "les logiques à l'œuvre dans ces secteurs [livres, musique, cinéma etc.] ne sont pas très différentes de celles prévalant dans l'édition de jeux vidéos ou de la haute couture, la différence essentielle étant le statut du créateur original: les techniciens (infographiste, couturier), par exemple, ne jouissent pas du statut social de l'artiste, (écrivain ou sculpteur)". Cet article est à repenser, puisque justement en France des voix s'élèvent pour reconnaître aux créateurs de jeux video ce statut tant convoité qui permet d'accéder à des aides financières, comme c'est le cas pour le cinéma, la musique et l'audiovisuel.
Sachant que le secteur des jeux video a détrôné le cinéma et la musique en terme de chiffre d'affaires (logiciels : 1,2M, consoles : 2M), je m'explique mieux pourquoi il y a tant de remue-ménage. Des grosses machines prennent tout le marché, et ne laissent plus de place aux petites boîtes qui rament pour sortir des jeux video "de qualité". Il est fort possible qu'à terme, de petits créateurs soient soutenus comme l'est le cinéma d'art & d'essai, par un système de redistribution. Une certaine mutation est donc en train de se produire, puisque le jeu video est en train d'accéder, à la fois statutairement et symboliquement, à la reconnaissance artistique. J'imagine déjà les Super Mario Awards, où l'on décernerait le prix du meilleur scénario, le prix du meilleur graphisme ou de la meilleure musique... et le Super Mario d'honneur!
Dans ce contexte, la sortie d'un jeu comme GTA vient rivaliser avec la sortie d'Iron Man au cinéma (c'était la polémique il y a quelques jours), surtout parce que les gamers ne sortent pas de chez eux avant d'avoir fini le jeu, alors qu'ils forment précisément le coeur de cible d'un film comme Iron Man (lire aussi la contre-polémique). En somme, les investisseurs qui mettent des millions pour produire les films qui inondent nos écrans (télé et cinéma) vont finir par penser que leur activité est moribonde (pensée qui s'infiltre déjà depuis quelque temps avec le téléchargement illégal). Et puis pourquoi payer des acteurs, des studios etc., alors que chacun maintenant peut être l'acteur de son propre film (chef de la pègre à NY dans GTA4) et shooter tous les gens mieux qu'au cinéma, avec de super armes customisées?
Quant à la notion d'industrie culturelle appliquée au jeu vidéo, si elle est moins choquante, elle témoigne cependant d'une confusion des genres, liée au terme de "culture", mais c'est un vaste débat.
4 commentaires:
Mettre le mot "art" dans la balance, ce n'est pas forcément un cadeau à faire à tous ceux qui prennent plaisir à concevoir des jeux vidéos, ou à y jouer. Cela va leur attirer sur le dos tout un tas de crétins qui exigeront que le media prenne en charge sa propre critique, qui auront besoin de mises en abyme pour s'extasier, qui soutiendront que seul un génie peut être infographiste et inciteront les jeunes qui veulent le devenir à s'inscrire plutôt à la fac en section "electroludologie"...
Bien vu.
Dans cette section, je m'inscrirai au séminaire d'analyse graphique des jeux de téléphone portable, puis j'écrirai une thèse sur "le minimalisme pictural et la conception du temps comme facteurs de diffraction agogique dans Mario Bros Wii". Sûr que les gamers seront passionnés...
Petit détail: si, la littérature a sa place dans les hiérarchies des arts classiques, c'est le nom qu'on donne aujourd'hui à ce qu'on appelait avant la poésie. Avant (du Moyen-Âge au XVIIIe siècle en gros, qu'on ne m'en veuille pas pour mon inexactitude) on faisait la distinction entre poésie lyrique, poésie épique et poésie dramatique. Les oeuvres littéraires en prose existent à cette époque bien sûr (romans de chevalerie, Rabelais), mais le canon est la poésie. Je pense que le virage sémantique s'est fait au XIXe siècle: maintenant on fait distinction, à l'intérieur de la grande famille de la littérature, entre poésie, théâtre, et littératures narratives. Juste une question de terme, donc, mais la littérature au sens moderne a sa place dans la hiérarchie des arts classique.
Ceci dit, d'accord avec toi sur la difficulté à considérer le jeu vidéo comme un art. Ce problème en pose d'autres, comme celui, extrêmement fréquent et souvent peu dépassionné: "Qu'est-ce que l'art?" Personnellement j'ai adopté une réponse, celle d'un de mes anciens professeurs de philosophie, Alain Séguy-Duclot (Definir l'art, Odile Jacob, 1998), mais le consensus est loin d'être fait. Certains conservateurs ont déjà admis le jeu vidéo dans les musées: au Musée des Arts Décoratifs il y a une salle qui leur est consacrée. Mais c'est le musée des arts décoratifs, qui expose des oeuvres à la limite entre l'art et l'artisanat... Vaste problème donc, mais je pense comme toi que les jeux ne sont pas des oeuvres d'art, même si les deux domaines sont extrêmement proches, et cohabitent souvent ensemble. Et comme Gilles, qu'ils ne gagneraient pas nécessairement à rentrer dans le rang des beaux-arts.
Dans le registre des travaux critiques, j'ai rencontré à l'automne dernier quelqu'un qui venait de commencer une thèse de Philosophie sur les jeux vidéos... ce qui se conçoit tout à fait, puisqu'à peu près tout peut être l'objet d'une investigation philosophique. Contrairement aux études lmittéraires ou d'histoire de l'art qui restent, à tort ou à raison, fermés sur des domaines très spécifiques.
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