Deux sujets assez intéressants piochés sur le blogue de Pierre Assouline.
Aristote (détail de L'école d'Athènes), Raphaël, 1511, fresque, Vatican.
1. Une polémique passionnante porte ces derniers temps sur un livre de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'ENS-Lyon, qui tend visiblement à minimiser de manière radicale l'apport de la civilisation arabe dans la transmission des textes d'Aristote en Occident au Moyen-Âge. Le sujet pourrait sembler anecdotique, tel celui sur les chevaliers du lac de Paladru, s'il ne touchait au problème, éminemment politique et contemporain, des "racines chrétiennes" de la culture occidentale: pour résumer, l'auteur du livre Aristote au Mont Saint-Michel est accusé, par une très grande partie des chercheurs français en histoire et en philosophie médiévale, de faire le jeu d'une idéologie conservatrice christiano-centriste, d'insister sur l'existence d'un foyer authentiquement chrétien de traduction des textes d'Aristote en minimisant les apports de la civilisation arabo-musulmane en la matière.
Les pièces du dossier sont difficiles à résumer, mais vous trouverez ici et là une bonne partie des arguments et contre-arguments, avec des liens vers les articles des différents acteurs de la polémique. Tout ça peut paraître très éloigné de nos soucis de la vie quotidienne, mais ce qui se passe dans le monde des idées, et notamment dans la construction idéologique de l'histoire, a une influence certaine sur l'ordre politique de notre société. Non, ce n'est pas seulement une querelle de spécialistes. Les implications idéologiques semblent profondes.
2. Dans un autre genre, un billet intéressant sur l'histoire de la publication de Mein Kampf, qui tord le cou à une idée reçue assez répandue selon laquelle le livre serait interdit de vente en France. C'est le cas en Allemagne en revanche, et les historiens se posent la question de savoir s'il ne serait pas temps de publier une édition scientifique du livre d'Adolf Hitler, avec notes, commentaires et préface, avant 2015, date où le livre tombera dans le domaine public, et où risque donc de fleurir tout un nombre d'éditions néonazies. En somme, l'idée est de publier un ouvrage de référence avant qu'il ne soit noyé dans la masse des éditions courantes ou, pire, apologétiques.
2. Dans un autre genre, un billet intéressant sur l'histoire de la publication de Mein Kampf, qui tord le cou à une idée reçue assez répandue selon laquelle le livre serait interdit de vente en France. C'est le cas en Allemagne en revanche, et les historiens se posent la question de savoir s'il ne serait pas temps de publier une édition scientifique du livre d'Adolf Hitler, avec notes, commentaires et préface, avant 2015, date où le livre tombera dans le domaine public, et où risque donc de fleurir tout un nombre d'éditions néonazies. En somme, l'idée est de publier un ouvrage de référence avant qu'il ne soit noyé dans la masse des éditions courantes ou, pire, apologétiques.
4 commentaires:
Sur "Mein Kampf" (ainsi que sur les protocoles des sages de Sion) il y a eu une très intéressante soirée Thema sur Arte la semaine dernière. (où l'on se demandait la raison de la "vitalité" de ces textes, parfois tout à fait hors de leur cadre d'origine)
Oui, je crois que c'était justement sur cette émission que réagissait Pierre Assouline. Comme je n'ai pas la tv, je n'ai pas pu la voir...
Sur Aristote, l'un des principaux problèmes, semble-t-il, de la thèse de Sylvain Gouguenheim, est qu'elle dépasse des enjeux strictement scientifiques et qu'elle propose un parti-pris idéologique hautement contestable. Voici un extrait de l'appel des enseignants, chercheurs, élèves et anciens élèves de l'ENS-LSH (c'est en fait une pétition):
"Malheureusement, l'affaire semble bien dépasser la simple expression de thèses scientifiques. L'ouvrage de Sylvain Gouguenheim contient un certain nombre de jugements de valeur et de prises de position idéologiques à propos de l'islam ; il sert actuellement d'argumentaire à des groupes xénophobes et islamophobes qui s'expriment ouvertement sur internet. Par ailleurs, des passages entiers de son livre ont été publiés sur ces blogs, au mot près, plusieurs mois avant sa parution".
Après lecture de la conclusion de l'ouvrage (mais j'admets de ne pas l'avoir lu dans son intégralité), je confirme qu'un certain nombre de conclusions sont proprement troublantes. Ma crainte est que le grand public risque de ne retenir que la thèse qui suscite tant de débats et de réactions et qu'il n'aura pas accès (ou ne retiendra pas) les réfutations argumentées des spécialistes en la matière. J'ai pu le constaster récemment en littérature au sujet d'une fameuse poétesse du XVIe siècle...
J'avais vu ça en effet, cela fait partie des reproches que fait Alain de Libera au livre de Gouguenheim. Mais on ne peut déterminer que son parti pris est idéologique qu'avec les arguments spécialisés des historiens et philosophes. Si sa thèse était défendable, elle ne pourrait être taxée d'idéologique. En revanche, s'il s'avère (et tout semble le montrer!) qu'il surinterprète certains faits, en minimise d'autres bien établis, etc., alors en effet sa démonstration a été faite sous l'influence d'une idéologie islamophobe qui l'a amené à déformer la réalité historique. Pour le dire plus simplement: je ne pense pas qu'il faille distinguer entre deux niveaux de lecture, celui de l'idéologie et celui des arguments historiques. Le risque étant, comme tu l'as dit, de voir l'opinion s'emparer du niveau idéologique et de ne pas s'intéresser aux tenants de l'affaire, aux arguments. Ceci dit, "l'opinion publique" ne semble pas non plus s'être beaucoup intéressé à un débat qui ressemble beaucoup, en apparence uniquement, à une querelle de spécialistes perdus dans leur nuage de science...
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