lundi 5 novembre 2007

Kiefer

Je ne suis pas d'habitude amateur d'art contemporain, mais je dois avouer que les thématiques et les réalisations d'Anselm Kiefer sont loin de me laisser indifférent. Il vient de passer en entretien avec Emmanuel Laurentin, hier matin à France Culture, dans l'émission "La Fabrique de l'Histoire". Vraiment passionnant, ce monsieur, je conseille vivement aux amateurs de podcaster l'émission, si c'est encore possible. J'ai manqué l'exposition de son oeuvre "Sternenfall" au Grand Palais cet été, mais il semble qu'il expose très prochainement au Louvre.

Seraphim, 1983-1984, technique mixte sur toile, Guggenheim Museum. Une oeuvre qui fait allusion au motif biblique de l'échelle de Jacob, et donc à la kabbale et la mystique chrétienne.

Ci-dessous une oeuvre sans titre, qui date de 1996, et est exposée au Metropolitan Museum of Art. Le sujet reste assez hermétique, mais il fait appel à un imaginaire de la terre, de la végétation, de la mort, qui n'est pas sans rappeler, en tout cas pour moi, celui du poète irlandais Seamus Heaney. Un même rapport à la fois organique et mystique à la terre. On a souvent fait le rapprochement du travail de Kiefer avec Paul Celan (un livre est récemment paru sur ce sujet), mais je crois que Heaney est aussi un rapprochement intéressant. Avis aux comparatistes!


Let a Thousand Flowers bloom, une oeuvre de 2000, toujours au Metropolitan. Où l'imaginaire végétal est travaillé avec celui de l'histoire, et des constructions humaines. Toutes ces briques qui tombent en autant de fleurs, et qui forment ensemble une grande tour de Babel, sur laquelle une ombre totalitaire est projetée. Une sorte de "Maison-Dieu", en quelque sorte, une vanité architecturale qui n'est pas sans signification dans la culture allemande d'après-guerre.

Ce qui me fascine avec cet artiste, c'est qu'il n'hésite pas à reprendre à l'imagerie nazie ce que celle-ci a pris à la culture allemande. Kiefer essaye de retravailler les mythes de l'ancienne Germanie, les architectures national-socialistes, une ceraine imagerie de la forêt allemande, tout en se démarquant des valeurs politiques que l'histoire de ces motifs implique. Pour reprendre ses mots dans l'entrevue avec Emmanuel Laurentin, l'imaginaire national a été "pollué" par son appropriation nazie, et c'est comme s'il essayait d'en reprendre les vestiges, pour en donner une interprétation à la fois expurgée et très personnelle. Kiefer s'interroge sur la mémoire de la culture allemande - en somme sur son identité nationale - tout en maintenant cette interrogation dans une perspective personnelle, humaine, en dehors, il me semble en tout cas, de tout propos politique.

Dem Unbekannten Maler (Au peintre inconnu), 1982, Museum of Modern Art, NY.
Resurrexit, 1973. Encore une fois un imaginaire mystique, dans lequel l'imaginaire allemand (la forêt) et l'imaginaire biblique (le serpent) se mêlent, dans une oeuvre au symbolisme apparemment simple, mais aux implications assez lourdes. On a également rapproché l'oeuvre de Kiefer de celle du peintre Friedrich.
Il se dégage une religiosité dans les oeuvres de Kiefer... qui va de pair avec un imaginaire je trouve très cohérent, fait de terre, de végétation, d'histoire, de mystique juive (ci-dessous Zim Zum, 1990, National Gallery of Art, Washington), de mythologie nationale, de culture chrétienne.
Une vraie oeuvre, en quelque sorte, qui engage beaucoup plus que de simples problèmes formels, ou une quelconque "transformation du rapport du spectateur à l'espace" ou au langage, ou à l'art, etc., qui caractérise trop souvent l'art contemporain depuis les années 1960. Un vrai travail de la matière, mais mis au profit d'un imaginaire qui dépasse l'autotélisme de l'art contemporain habituel. Kiefer a beau être à la mode en ce moment, je pense que son oeuvre mérite d'être qualifiée de grande, et de profonde: il y a une vraie culture qui se dégage d'elle. Non pas une culture superficielle, faite de pseudo-inventions conceptuelles, mais une culture faite de symboles, d'images, et de tensions personnelles.

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