Je suis plongé en ce moment, entre autre choses, dans le visionnage du premier volume de la collection "Cinéastes Africains" éditée par Arte Video. Ce premier volume propose des œuvres emblématiques de la naissance, dans les années 1960, du plus jeune cinéma du monde. On y trouve des films de quatre réalisateurs : Ousmane Sembène, Oumarou Ganda, Moustapha Alassane et Jean-Pierre Dikongué-Pipa.
Ousmane Sembène
Le sénégalais Ousmane Sembène (ou Sembène Ousmane) a réalisé le premier long métrage africain, la Noire de..., en 1966. A l'origine écrivain, Sembène s'est tourné vers le cinéma pour pouvoir toucher véritablement le public africain, en grande partie illettré. Ses films ont une résonance essentiellement politique, et réfléchit beaucoup sur la situation africaine. Il a aujourd'hui plus de 80 ans et continue de tourner. C'est incontestablement le grand maître du cinéma africain. Un des attraits du coffret est de présenter son tout premier court-métrage réalisé en 1963 (qui n'est pas le premier court-métrage africain) : Borom Sarret, en français "Bonhomme charrette".
"Borom Sarret" et ses passagers
Ce court est un petit bijou qui nous montre la journée d'un jeune homme faisant le taxi avec une charrette tirée par un cheval, à Dakar. Un riche client lui demande de le mener jusqu'aux quartiers résidentiels, où les charrettes sont interdites. Interpellé par un policier, sa charrette lui est confisquée et il doit payer une contravention. Le "bonhomme charrette" rentre chez lui plus pauvre encore qu'il n'en est parti. Sa femme sort alors et dit "Nous mangerons ce soir...". Une manière très douce de faire comprendre qu'elle va devoir se prostituer pour nourrir ses enfants. Au delà du message qui nous est délivré, le film est surtout l'occasion d'embarquer le spectateur pour une visite guidée du Sénégal populaire. Le jeune taxi promène ses clients un peu partout, et l'on découvre à la fois la ville et ses habitants. Il n'est pas fortuit que Sembène soit d'abord un écrivain, car il règne sur ce film une poésie toute primitive qui vous enveloppe et vous saisit. Un beau voyage pour des yeux d'occidentaux comme les nôtres. Je dois dire aussi que l'utilisation de la voix off à la première personne est sans doute le secret de l'envoûtement que produit ce film. Projeté à l'intérieur des pensées du personnage, rustiques et spontanées, on est comme bercé par le son de sa voix, mêlé au rythme de la petite carriole et du bruit de ses roues usées. De la pure poésie, vous dis-je.
Ce procédé de la voix off à la première personne, qui n'est autre qu'une sorte de post-doublage où l'acteur redit son texte sur les images en style direct, et parfois en faisant parler d'autres personnages à la manière de certains griots et conteurs, ne m'était pas inconnu. Je l'avais déjà superlativement apprécié dans le long métrage absolument essentiel de Jean Rouch Moi, un noir. La bande son brute du film pouvait quasiment se suffire à elle-même, tellement elle recréait idéalement les images.
Oumarou Ganda dans "Moi, un Noir" de Jean Rouch (1959)
Jean Rouch, le "sorcier blanc de l'Afrique" (je vous en parlerai un jour si vous êtes sages), révélait, grâce à ce film, la personnalité éclatante du futur cinéaste Oumarou Ganda (1935-1981). Auprès de Rouch, Oumarou Ganda va comprendre la capacité du cinéma à refléter la vie. En 1969 ce cinéaste autodidacte signe un film culte du septième art, intitulé Cabascabo (le "dur à cuire").
Ce film de 45 minutes en langue djerma, résultat d'un an de stage au Club Culture et Cinéma constitué par Serge Moati à Niamey au Niger, retrace l'histoire d'un ancien combattant d'Indochine qui rentre dans son pays natal. Au bar des anciens combattants, Cabascabo raconte ses souvenirs. Oumarou Ganda construit son film à partir de flashbacks. D'abord, les combats forcenés dans les rizières, où Cabascabo se montre très valeureux. Mais une altercation (liée à l'idéologie colonialiste) avec un de ses chefs lui vaut 8 jours de mitard pour insubordination, une tache sur son livret militaire. A noter, dans cette séquence, une scène magnifique où deux soldats bien noirs se saoûlent à la bière chez une jeune indochinoise absolument craquante, qui les regarde faire d'un œil amusé. D'autres flashbacks suivent, dans lesquels on retrouve Cabascabo à son retour au pays, qui dilapide sa coquette fortune par générosité envers ses amis (qui l'exploitent) et pour obtenir les faveurs d'un ravissante jeune femme incarnée par une des actrices les plus mémorables du cinéma africain : Zelika Souley. Complètement démuni, il se retire dans la brousse cultiver le jardin aux côtés de son père.
Un film saisissant, projeté à Cannes à sa sortie, à la fois universel et profondément humain, où transparaît avant tout la sincérité et l'authenticité des émotions. Ce dur à cuire se battant pour la France mais investi tout entier pour l'Afrique, dépensant l'argent sans compter comme pour se débarrasser d'un fardeau, prompt à vouloir s'en sortir mais rattrapé par les vices du système colonial, finalement libéré quand il se tourne vers les femmes de sa famille sans être repoussé par elles ; un personnage hautement intéressant pour un film que je qualifierais d'exceptionnel, tant au regard de l'histoire du cinéma que de sa dynamique cinématographique propre.
Abreuvons-nous de ce cinéma africain qui décidément, a tant à nous apprendre - euh... moi je replonge !
2 commentaires:
Merci pour ce beau billet, qui éloigne un peu le blog de mes obsessions européano-centrées. Ca donne envie de voir les films, surtout Cabascano, dont l'affiche est par ailleurs très belle. J'aime beaucoup ce type de clairs-obscurs en aplats pur, qu'on retrouve chez Félix Vallotton... ou dans Sin City.
Alors... Tu nous parles de Jean Rouch ? Merci !
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