vendredi 21 septembre 2007

L'Astrée

J'ai récemment vu avec Charlotte le dernier film de Rohmer, qui est très joli et se regarde vraiment très bien. Il s'appelle Les amours d'Astrée et de Céladon, et est adapté de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, un long roman de plus de 5000 pages datant du début du XVIIe siècle, que l'auteur de ces lignes, vous vous en douterez, n'a pas lu avant de voir le film. Si ça vous intéresse, le texte intégral est numérisé ici, voilà à quoi ça sert les étudiants de lettres. Eric Rohmer s'était déjà commis dans un Perceval Le Gallois un peu... ridicule disons. Ou bien "vieilli" si on veut rester gentil. Je ne doute pas qu'il soit très drôle à regarder au second degré, mais personnellement je n'en ai jamais dépassé les dix premières minutes.Aussi avais-je un peu peur en allant voir l'adaptation de l'Astrée, et ai-je été très surpris de voir un film frais, très joyeux et léger, avec de plus, ce qui est toujours bon à prendre, plein de belles dames dans de grandes robes blanches diaphanes, aux épaules délicatement dénudées,
voire aux poitrines dévoilées, comble de l'érotisme pastoral (ici Astrée).
Un film qui est donc beaucoup mieux réalisé que Le genou de Claire ou Perceval le Gallois, et où les costumes ressemblent plus à ceux que rêvaient les écrivains du XVIIe siècle quand ils pensaient aux anciens gaulois, qu'aux habits de hippies de Perceval le Gallois. Par ailleurs, un cadre pastoral superbe, avec tout ce qu'il faut de bergers efféminés et de bergères avec des coiffures apprêtées et des bandeaux dans les cheveux.
Ce qui m'a beaucoup amusé, ce sont les druides avec leurs grandes robes blanches, qui expliquent qu'ils sont monothéistes et que ce sont les romains qui ont imposé le culte des idoles, que Belenus et Esus ne sont que différents visages donnés à une seule et unique divinité, Teutatès... Honoré d'Urfé essayait ainsi de donner à la France, au début du XVIIe siècle, des "ancêtres gaulois" qui ne soient pas incompatibles avec le christianisme, et ainsi de construire une continuité historique du royaume français.
Il est intéressant de constater que l'on a cherché à donner des ancêtres gaulois bien avant la période romantique. Et que Rohmer a donné aux druides les habits que les romantiques leur ont donné (ci-dessous une jolie image datant de 1790, toujours avec une grande robe et un capuchon),
et qui sont toujours utilisés aujourd'hui, dans certaines cérémonies néo-druidiques.Si cette image du druide est synonyme du XVIIe au XIXe siècle d'identité nationale, elle est aujourd'hui également synonyme de terroir, comme en témoigne cette magnifique boîte de camembert d'Ille-et-Vilaine, qui exploite la "matière de Bretagne" dans le registre du marketing alimentaire.
Comme quoi, d'Honoré d'Urfé au camembert, en passant par Rohmer, les beaux seins d'Astrée et les romantiques, tout est dans tout, et réciproquement.

5 commentaires:

Gilles F. a dit…

Houla! Honoré d'Urfé, j'en ai lu quelques pages et c'est parmi ce que j'ai approché de plus redoutable. Quand j'ai fait lettres, j'ai eu peur chaque année que ce soit au programme.

L'Astrée + Rohmer: alors là tu me terrorise purement et simplement... Mais bon, il faut voir pour juger.

David Teller a dit…

Nous aussi nous l'avons vu, et voici quelques autres remarques pour compléter ton analyse!
J'ai beaucoup apprécié, comme toi, les demoiselles à longues robes blanches. Mais ce qui m'a marquée dans le costume des trois nymphes, c'est la référence picturale: la seiziémiste que je suis (qui travaille qui plus est sur le milieu lyonnais) a été charmée de retrouver l'esthétique qui guide les gravures de Bernard Salomon. C'est en particulier visible sur un plan où le vent gonfle l'écharpe-robe de couleur de l'une des nymphes. Je ne sais pas si ce type de représentations est spécifique à Salomon, mais pour moi, la référence picturale est bien là.
Quant aux origines gauloises, le fil traîne depuis longtemps. Je relisais dernièrement une préface d'un de mes érudits lyonnais (mâconnais en fait) préférés, qui rappelle des propos de Maurice Scève citant Jean Lemaire de Belges. Il explique que les Grecs, fondement de notre civilisation, n'étaient pas les inventeurs de leur langue et de leur science. Il faudrait les appeler en fait les "Gallogrecs" - et tu vois où je veux en venir...: leur langue et leur science leur a été enseignée... par les Français ou Gaulois! Si si! Tout cela, entre autres, pour légitimer les prétentions politiques et culturelles de la France face à ces orgueilleux mais par trop bouseux d'Italiens, héritiers directs des Romains... Il faut bien avouer que les Français n'avaient pas bonne réputation dans l'Europe humanistes, à peine capables d'articuler trois mots de latins (et autant de barbarismes). Un pays où les nobles ne sont que des brutes incapables de déchiffrer leur propre prénom... L'origine gauloise des Français devient donc fondamentale.
En revanche, un long débat a suivi la projection du film, entre ceux qui soutenait que tout cela était bien sérieux et ceux qui se demandait si Rohmer ne se moquait pas un peu d'Urfé (à cause du délire final). Le problème étant qu'entre la chartiste, les deux profs de lettres (futur) et l'informaticien, aucun n'avait lu L'Astrée...
Elise.
PS: bravo pour le rendu de thèse. J'essaierai d'assister à ta soutenance, si ce n'est pas trop tôt (je fais cours le vendredi matin).

David Teller a dit…

Et je confirme la réputation d'illetrisme qui accable les Français depuis tant de siècles:
"l'Europe humaniste"
Si même les profs de lettres ne maîtrisent pas les règles d'accord (ou les claviers d'ordinateurs - au choix), où allons-nous, mon brav' môsieur?
Elise.

François a dit…

=> David Teller alias Elise (ou l'inverse): Concernant les sources iconographiques, je ne crois pas que Bernard Salomon soit la seule et unique référence iconographique de Rohmer, bien qu'évidemment il s'inspire de l'imagerie du seizième siècle. Comme je connais mal l'art de la période, je serais bien en peine de te donner d'autres exemples de drapés gonflés, mais même si Rohmer est très lettré, Bernard Salomon n'est paut-être pas l'artiste le plus connu de la période! Mais après tout, pourquoi pas, et en tout cas merci de tes références érudites, toujours très utiles. Je ne savais paas que le gallicianisme (?) allait jusque-là: les gaulois donner leur langue aux grecs! En effet, les délires sur les gaulois ne datent pas du romantisme.
Quant au ton du film, je ne crois pas que Rohmer ait voulu se moquer de d'Urfé. Charlotte (qui n'a pas, elle non pluis, lu l'Astrée) m'a dit que les travestissements étaient monnaie courante dans la littérature de l'époque, notamment quand il s'agit d'éprouver la fidélité ou l'amour de l'être aimé. Il est vrai que le passage de la littérature au cinéma donne une autre dimension à la scène où Astrée reconnaît Céladon. Personnellement, j'ai trouvé le film très drôle, et même si le fimm n'est pas comique, il n'est pas non plus sérieux dans le sens grave du terme: je pense que Rohmer a voulu faire un film léger, à prendre "au sérieux" (c'est-à-dire pas comme une parodie)... mais avec beaucoup de recul (peut-être comme un pastiche?)!

Lamousmé a dit…

j'hesitais....je suis curieuse finalement!!!;o)