dimanche 24 août 2008

L'édifice chinois

Les JO de Pékin ont vu la Chine passer devant les Etats-Unis en nombre de médailles d'or, ce qui les place en premier dans le rang des nations olympiques. Je suis pris d'une certaine stupeur devant ce score, sachant dans quel état était encore ce pays il y a à peine 20 ans. Tous les regards sont tournés vers ce spectacle incroyable que la Chine offre au monde. Moi aussi je reste sans voix devant ce développement effréné qui s'opère sous nos yeux. On parle beaucoup du domaine économique, mais c'est partout que la Chine tente de s'imposer. On l'a bien vu avec la médiatisation de certains plasticiens, dessinateurs et photographes chinois pour le moins intéressants (ici, ici et ici). Je dois dire que, pour ma part, je ne me sens pas tout à fait conquis par l'art en provenance de chine, mais je pense que dans les années à venir il est fort probable que des artistes majeurs émergent dans ce pays. Je lisais d'ailleurs un récent article d'Alex Ross, embarqué dans le rêve chinois durant la courte période des JO. La fascination, mêlée à une certaine circonspection, sont perceptibles dans ses propos. Dans plusieurs billets il évoque la figure désormais emblématique de la musique moderne chinoise : le compositeur Qigang Chen.


C'est François, je crois, qui m'a fait découvrir Qigang Chen, il y a peut-être 5 ou 6 ans. J'avoue n'y avoir pas prêté une attention particulière depuis, mais ce matin j'ai décidé de faire le pas, encouragé par tout ce tintamarre chinois, et par la diffusion d'un concert sur France Musique. Il s'agissait de la création mondiale en janvier dernier, Salle Pleyel, d'une pièce pour orchestre commandée par Radio France, Enchantements Oubliés (23 minutes), interprétée par le philharmonique de Radio France dirigé par Alan Gilbert.

Qigang Chen naît en 1951. A cette époque la musique chinoise est déjà fortement imprégnée de musique occidentale, puisqu'entre 1919 et 1927 se créent plusieurs établissements de recherche et d'enseignement musical comme l'Institut de recherches musicales de l'Université de Pékin ou le Conservatoire d'Etat de musique de Shanghai. La musique chinoise d'alors ne se pense plus seulement de manière monodique et hétérophonique, mais également polyphonique. Déjà plusieurs genérations de compositeurs se sont succédé, lorsque Qigang Chen naît. Leur musique se conçoit comme un brassage de musiques populaires et traditionnelles mélangées à des choses plus savantes, y compris d'influence russe. C'est surtout après 1976 que commence vraiment chez les compositeurs ce besoin d'étudier la musique du vingtième siècle. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux vont émigrer aux Etats-Unis, notamment Dun Tan, devenu depuis une sorte de "star". Certains ont choisi la France. C'est le cas de Qigang Chen, qui vit et travaille toujours dans notre beau pays.

En 1977, la Chine restaure un système de concours d'entrée dans les écoles supérieures. Qigang Chen s'y présente. Il est l'un des 26 élus sur 2000 candidats à la classe de composition du Conservatoire Central de Pékin. Il fait 5 ans d'études dans cet établissement et en sort classé premier au Concours National. Les autorités chinoises le laissent donc partir à l'étranger pour suivre un troisième cycle en composition. Il arrive en France, boursier du gouvernement français. Ainsi, de 1984 à 1988 il est l'élève d'Olivier Messiaen, mais aussi d'Ivo Malec, Betsy Jolas et Claude Ballif. En 1987 il suit la formation de l'IRCAM. Il part ensuite à l'Académie Chigiana de Sienne étudier avec le compositeur Franco Donatoni. A l'ENM il obtient le diplôme supérieur de composition avec félicitations du Jury. En 1989 il obtient le diplôme de musicologie de la Sorbonne avec mention Très Bien.


Joueuse de guqin, cithare à 7 cordes

Ses oeuvres s'intitulent par exemple Voyage d'un Solitaire, Extase, ou encore Wu Xing (Les Cinq Elements). Il fait appel aux instruments classiques, à l'informatique, mais aussi aux instruments traditionnels comme le guqin, une cithare à 7 cordes, instrument très ancien.

La création que j'ai entendu ce matin est pour orchestre à cordes, percussions, piano et harpes.

C'est un morceau qui commence de manière très douce. Un thème cantabile est présenté au violon.. Ce début me fait penser à du Vaughan Williams, pour le côté élégiaque. Le violon déploie une mélodie où traversent des gammes chinoises, insérées dans des arabesques de harpe et de percussions. Cela sonne parfois comme du Debussy - mais il est vrai que Debussy lui-même avait déjà tissé des liens forts avec la musique chinoise, dans Et la Lune descend sur le temple qui fut (Images I), ou Dans la Terrasse des audiences au clair de lune (préludes II) - et certains passages peuvent rappeler La Mer, mais avec un violon très romantique. Les percussions harmoniques (marimba, xylophone) sont utilisées de manière très gaie et vigoureuse. Peu à peu s'installe une résonance, un climat assez ethéré. Soudain les timbales interviennent, en rythme asymétrique, et c'est l'ombre de Stravinski et de son Sacre qui passe par là. Ravel n'est pas loin non plus avec quelques quartes parallèles furtivement distillées dans un environnement plus complexe. Chen impose une atmosphère légère et bucolique, enchanteresse. Nous sommes dans un beau jardin chinois finement aménagé. On peut entendre parfois des accents de mélodies populaires chinoises aux percussions, et l'harmonie pentatonique du thème irrigue toutes les couches instrumentales. Le traitement de l'orchestre, très coloré et raffiné, est de toute évidence un héritage de l'apprentissage auprès d'Olivier Messiaen. A un moment plus chargé, le langage penche vers l'esthétique dodécaphonique proche de Maderna ou Donatoni, mais ce moment débouche sur une note lumineuse. Cela occasionne le retour du thème principal aux violoncelles. Le thème est le même, mais c'est l'accompagnement qui change. De subtiles harmonies de percussions donnent une atmosphère post-impressionniste.
Les cordes seules font ressentir des relents de musique russe comme on en trouve dans La Pathétique de Tchaïkovski par exemple. S'ensuit un déferlement de timbales, où les cordes jouent en pizzicati, sur des rythmes en ostinati et des motifs courts répétés. Cette tension trouve son échappatoire dans une esquisse de rythme de valse détourné, qui nous transporte à Vienne. Avec la différence étrange, cependant, que cette valse est planante, contemplative, même dans les passages plus dansants. J'entends là une musique de l'éveil, une musique de la nature. Musique de méditation, peut-être à relier aux moines bouddhistes. Puis c'est le retour des timbales pesantes, sur un rythme haletant, presque scandé, proche là encore de Messiaen et de ses rythmes hindous. Une fois de plus, la tension se résout en de longs accords tenus, où l'harmonie devient une sorte de kaléidoscope spectral. C'est certainement le plus beau passage de la partition. Lentement, le thème au violon réapparaît dans les aigus, très sobrement. Deux violons chantent à tour de rôle ce thème en s'entrecroisant. La pièce se termine très calmement sur l'exctinction d'une note tenue au violon.

Voilà ce que j'ai pu noter au cours de cette écoute radiophonique d'Enchantements Oubliés de Qigang Chen ce matin. Je n'ai voulu faire ni un commentaire de l'oeuvre, ni une chronique musicale de type journalistique. J'ai juste voulu faire partager mon écoute et ma découverte en toute simplicité. Je peux constater que cette musique est fort plaisante à écouter, et je conseille vivement à tous ceux à qui la musique contemporaine fait peur, de se procurer du Qigang Chen. Bien loin des courants actuels les plus radicaux, difficiles d'accès, la musique de ce compositeur chinois suit le chemin d'une paix intérieure. C'est une longue méditation, un rêve, un effleurement.

Et une pierre de plus dans l'édifice chinois.

lundi 18 août 2008

En attendant Godeau


Dans la pièce de théâtre Le Faiseur de Balzac (1851), M. Mercadet est un homme d'affaires ruiné qui vit sur le dos de ses créanciers. Pour rassurer ceux-ci quant à sa solvabilité et pour les faire patienter, il invente le personnage de Godeau, parti aux Indes depuis plus de 10 ans et supposé titulaire des actions et dividendes qui lui permettront de rembourser ses dettes. Sachant ce personnage fictif et devant répondre à des créanciers de plus en plus pressants, M. Mercadet se met en tête de marier sa fille à un riche héritier. Sa femme, sur les conseils malavisés de son amant, convainc son mari du choix de marier sa fille Julie à un certain M. de la Brive (en fait un homme affreusement endetté connu sous le nom de M. Ménichon). Julie, quant à elle, n'a d'yeux que pour M. Minard, un jeune homme tout à fait honnête mais hélas sans le sou.
Sur fond de satire sociale du mariage et de ses petits arrangements, cette farce moque les bassesses de la bulle spéculative, les déboires d'usuriers, créanciers et capitalistes face à l'éternelle inconnue de l'équation économique. Tous avancent des fonds à M. Mercadet qui sait amadouer ses interlocuteurs, mais ne propose pour seule garantie que des promesses. La spéculation ne repose que sur la confiance des investisseurs, c'est-à-dire sur du vide. C'est exactement la même chose avec l'histoire des subprimes : les banques américaines ont accordé des milliers de crédits immobiliers à des acteurs non solvables. Ces fonds ont fait l'objet d'une spéculation incontrôlée, passant de main en main, jusqu'au jour où on s'est rendu compte que la masse monétaire engagée initialement reposait sur du vent. D'où une crise monétaire internationale.
Dans Le faiseur (nouveau mot inventé par Balzac : un « faiseur » est un homme qui tente cent affaires sans en réussir une seule, et rend la confiance publique victime de ses entraînements), c'est un peu le même principe, mais à moindre échelle et sous forme de farce. Néanmoins tous sont tributaires d'un homme imaginaire, Godeau, et d'un mariage arrangé sous lequel se cache un fiasco grotesque. Mercadet sait bien, lui, que Monsieur Godeau n'existe pas. Alors, va pour le mariage. Cependant quand le faussaire monsieur Ménichon se trouve dévoilé par le faussaire M. Mercadet, alors tout vole en éclat. Chacun espérait l'un de l'autre renflouer ses dettes grâce à un mariage juteux, mais nos deux poulets se trouvent bien plumés. Certains observateurs prédisent déjà une faillite spectaculaire, un effondrement boursier etc., non sans se frotter les mains, car le malheur des uns... En attendant, il y a encore une carte à jouer... Godeau. Et si Godeau revenait vraiment ? Godeau, envoyé par la Providence ; Godeau, le Sauveur ; Godeau et ses richesses pharaoniques ; Godeau ! C'est la figure de proue du capitalisme. Il suffit d'y croire.
Quand Godeau arrivera-t-il ? Quand on s'y attendra le moins.
Comme le Père Noël, il distribuera des cadeaux à tous, il rendra les coeurs heureux, il réconciliera les personnes.
Ainsi s'installera la situation favorable, propice au montage de grandes affaires encore plus folles !
Quand Godot arrivera-t-il ? Quand on ne l'attendra plus.
Et Samuel ? Je crois qu'il a sa petite idée sur la question. Mince il est déjà parti...

Note : j'ai cherché un peu sur Internet, et même si cela revient souvent comme une éventualité, la filiation Godeau-Godot ne me semble pas avérée. A bon entendeur !

lundi 11 août 2008

Grimault, Takahata, Miyasaki


Hier, nous sommes allés avec Charlotte nous promener du côté de l'abbaye de Fontevraud (dans le 49), pour aller visiter l'exposition "Mondes et Merveilles du dessin animé: Grimault, Takahata, Miyasaki". Nous connaissions déjà l'abbaye, que nous visitons à peu près à chaque fois que nous accueillons des amis, venus de Paris ou d'ailleurs pour visiter la Touraine. C'est un monument d'autant plus incontournable de la région Anjou-Touraine qu'il est le lieu d'une programmation culturelle très ambitieuse pour une institution située à l'écart des grands centres urbains, à la limite entre deux départements et deux régions.



L'exposition "Grimault, Takahata, Miyazaki" est ambitieuse, donc. J'ai malheureusement eu l'impression que Fontevraud n'avait pas eu les moyens de son ambition, surtout du côté de la scénographie, qui est un peu chaotique, où deux films sont projetés, avec leurs bandes-son respectives, à deux mètres de distance, ce qui rend difficile la concentration dans une pièce où tout est juxtaposé dans une scénographie "moderne" visiblement peu maitrisée. Le fait de tout rassembler dans une seule pièce, le grand dortoir, participe à l'impression de confusion générale.

Il reste que, malgré ce défaut principal, le parcours, quand on arrive à le suivre et à se concentrer sur les œuvres (dessins, cellulos, aquarelles, films, reportages vidéos, adaptations en bande dessinée...), est très intéressant, et développe un pan de l'histoire de l'animation qui est peut-être assez connu, mais que personnellement j'ignorais: l'énorme influence qu'a exercé La Bergère et le Ramoneur (1948-52, qui deviendra plus tard, en 1980, Le Roi et l'Oiseau) de Paul Grimault sur les animateurs de la Toei, au Japon. Dont Takahata et Miyazaki, les "stars" de l'animation japonaise en France comme au Japon (à noter qu'un musée Ghibli a ouvert récemment en 2001, consacré aux réalisations du studio du même nom, créé en 1985 par Takahata et Miyazaki).

Miyazaki, Le Château ambulant (2004)

Grimault a influencé les animateurs japonais sous trois aspects. D'abord, l'aspect technique: animation très fluide, très souple, innovations sans précédent comme des changements de point de vue brusques qui donnent l'impression de mouvements de caméra, etc. Ensuite, l'aspect "créatif", disons: ils ont été fascinés par l'imagination débordante de Paul Grimault, qui avec Jacques Prévert a développé un univers à la fois baroque et intemporel, dans lequel les inventivités visuelles sont innombrables. Enfin, l'aspect thématique: même imaginaire pacifiste, même engagement humaniste contre les horreurs de la guerre (comparaison possible avec Le Tombeau des lucioles de Takahata, notamment), alors que les dessins animés de la même période (années 1940-1970), aux États-Unis surtout, relevaient souvent du pur divertissement.

Robot de Laputa (Le Château dans le ciel), Musée Ghibli, Japon (source lejapon.fr)

On retrouve chez Miyazaki des machines volantes qui semblent directement tirées de l'imaginaire vertical du Roi et l'Oiseau. C'est le mérite de l'exposition que de le montrer assez clairement. On regrette néanmoins que certains points n'aient pas été davantage approfondis: faire remonter par exemple le robot de Miyazaki dans Le Château dans le ciel à celui du Roi et l'Oiseau, et ce dernier à celui du Metropolis de Fritz Lang... avec le même imaginaire de la cité verticale, qui caractérise une bonne partie de l'imaginaire de la ville au XXe siècle. Ou bien la réutilisation des contes et légendes, que ce soit chez Grimault avec les contes d'Andersen, ou chez Miyazaki avec Nausicaa, figure tirée de la mythologie homérique, ou encore avec l'archétype au fonctionnement légendaire de la femme sauvage élevée avec les loups, dans Princesse Mononoké.

Le robot aux allures grecques de Paul Grimault dans Le Roi et l'Oiseau (1980)

Il est vrai que ce dernier sujet est vaste, dans la mesure où une immense partie de la production des dessins animés est consacrée à l'adaptation de vieux contes ou à la création de nouvelles légendes. Et puis, on ne peut pas tout dire en une seule exposition, celle-ci était suffisamment surchargée. Beaucoup reste à faire dans le domaine de l'histoire de l'animation: il faut remercier l'abbaye de Fontevraud pour avoir accueilli une exposition qui en dévoile un petit mais essentiel fragment.

dimanche 10 août 2008

Can't find your Zappa ?


Je viens de redécouvrir avec délectation un disque de Zappa absolument superbe que j'avais déjà écouté voilà plus d'un an avec l'idée que j'y retournerai plus tard. J'ai mis le temps, mais c'est vrai qu'il y a tellement de disques à écouter... cependant Zappa me rattrape toujours. En effet c'est un musicien qui m'accompagne depuis depuis plus d'une décennie et plus le temps passe plus je découvre les merveilleuses richesses de sa musique.
Sa production rock est un peu l'arbre qui cache une immense forêt d'oeuvres ébauchées ou inédites. Le compositeur et musicologue Ali N. Askin s'attache à les réarranger et à les retranscrire pour notre bonheur. Askin était en 1991-93 l'assistant de FZ pour le projet The Yellow Shark avec l'Ensemble Modern. Il a également reconstitué en 2000, à partir des archives du maître, la suite des pièces originales pour orchestre qui constituent 200 Motels. De plus c'est un membre éminent du Zappa Family Trust à Los Angeles. Autant dire que Zappa n'a pas de secrets pour Askin.
L'autre fanatique qui s'intéresse de près au répertoire de Frank Zappa, c'est Todd Yvega. Il a travaillé avec FZ à partir de 1989, en tant que spécialiste de musique sur ordinateur, développant tout spécialement pour lui bon nombre de programmes informatiques.


Askin et Yvega se sont associés dès 1991 pour effectuer un travail de titan : extraire les fichiers composés par Zappa sur son Synclavier au format son. Todd le magnifique s'est enfermé des nuits entières durant une bonne décennie. Il a fini par développer un programme spécifique pour convertir ces données, les lancements, la durée, le minutage etc. afin que l'on puisse les lires sur des logiciels standards. Puis il a reconstruit les structures en termes musicaux conventionnels pour que son camarade Askin puisse réaliser des arrangements, devinez pour quoi faire ? Faire jouer cette musique par des vrais instruments, pardi !
Ce n'est pas tout, d'autres problèmes se posent : des morceaux comme Xmas Values et Buffalo Voice ne sont pas des morceaux définitifs, ils sont pour ainsi dire "en chantier". Même à grand renfort de technologie pour redéfinir l'hypothétique développement de ces pièces, impossible de reconstruire l'oeuvre véritable, originale, naturelle, de Frank Zappa.
Heureusement, pendant ce temps, Askin avait attaqué la montagne par l'autre versant. En se basant sur les diverses musiques enregistreés, il préparait des partitions originales et des arrangements.
Ainsi, à force de travail et de volonté, il était possible de composer un programme de concert complet. D'autant plus qu'à l'époque de The Yellow Shark (1993), il était également prévu une représentation des deux compositions Adventures of Greggery Peccary et Revised Music for Slow Budget Symphony Orchestra, qui dormaient encore dans les placards.
Par l'entremise de Gail Zappa (Gail Sloatman, femme de Frank) et d'autres, une petite équipe parvint à se mettre d'accord sur le choix des morceaux du programme, qui fut donné pour la première fois par l'Ensemble Modern, à Cologne, le 6 juin 2000, sous la direction de Peter Eötvös. En 2002 cette entreprise monumentale était gravée au disque, en concert et sans aucun rajout, sous la direction de Jonathan Stockhammer. Belle séance de rattrapage pour ceux qui n'ont pu assister à ces concerts.

Le résultat est grandiose. On retrouve, transmutés pour orchestre, des extraits des albums Man from Utopia (1983), You can't do that on stage anymore vol. 5 (1992), EIHN (Everything is healing nicely, 1999), Jazz from Hell (1986), Studio Tan (1978), Läther (1996), Civilization phaze 3 (1994), Hot Rats (1969) et 200 Motels (1971), notamment les loufoques aventures de Greggery Peccary (notez que ce CD n'apparaît pas dans la discographie officielle). Autant dire que la réussite est totale. Excellent travail accompli par les deux maestros Todd Yvega et Ali N. Askin, et interprétation fabuleuse. Oubliez Boulez dans un Naval Aviation in Art ? ampoulé, oubliez le son synthétique du premier Night School, pénétrez dans l'orchestre magique de l'Ensemble Modern.
Afin de ne pas allonger conséquemment ce billet, je réserve les considérations musicales pour des billets ultérieurs. Pour l'heure, il revient aux futurs auditeurs de ce disque de constater par eux-mêmes le puissant génie qu'était Frank Zappa, servi ici dans son écrin le plus majestueux, l'orchestre.

vendredi 8 août 2008

Peter Pan dans les jardins de Kensington


Le numéro d'été de la Grande Oreille est paru, avec un dossier consacré aux jardins. On pourra y retrouver un court article de ma composition portant sur le premier épisode des aventures de Peter Pan, qui se déroulent dans les jardins de Kensington, à Londres, et qui ont été illustrées par Arthur Rackham. Je ne suis pas, personnellement satisfait à 100% du résultat, l'ayant composé et corrigé un peu dans la hâte (et étant celui qui l'a écrit, je suis particulièrement sévère), mais je suis sûr qu'il pourra intéresser certains.
On trouvera par ailleurs dans ce numéro un article de Claude Lecouteux sur les nains de jardin, un autre de Nicole Belmont sur le jardin dans L'Oiseau de vérité (un conte traditionnel), un article sur Vertumne et Pomone par Frédérique Villemur, un autre sur les jardins dans les contes de Grimm par Sandra Seymour-Hanse, et bien d'autres choses, toutes plus intéressantes les unes que les autres.


lundi 4 août 2008

Le monde de Dante

John Flaxman, Charon convoie les damnés au-dessus de l'Achéron, gravure sur cuivre, 1793.

Juste un petit mot pour signaler la récente mise en ligne d'un excellent site internet consacré à Dante et son œuvre, avec une galerie d'images très conséquente (les illustrations de Botticelli, Flaxman, Doré, entre autres...); une frise chronologique; quelques articles; des cartes de l'enfer (allez voir celle de Botticelli, elle est splendide quand on plonge dans les détails), du purgatoire et du paradis, mais aussi de la Toscane et de la Florence de l'époque; et enfin l'intégralité de la Divine Comédie, en italien et en anglais (le site est réalisé par une université américaine).
Ce site est beau, clair, et est une leçon à donner aux concepteurs de sites scientifiques: victorianweb, à côté, malgré toute la richesse de son contenu, est bien laid et bien compliqué d'utilisation.

Gustave Doré, Béatrice rendant visite à Virgile dans les limbes, 1890 (1861 pour la première édition).

samedi 2 août 2008

Petit détour par le Hellfest

Par un contributeur extérieur, que certains d'entre vous connaissent, un petit compte-rendu d'un festival ayant eu lieu il y a déjà un mois, mais qui ravira ceux qui y étaient présents, et qui donnera envie à ceux qui, comme moi, n'avaient pas pu s'y rendre.

La troisième édition du festival de «musiques extrêmes» (entendez «métal» avec tous les préfixes et suffixes que vous voulez, de black à mélodique en passant par trash, death, expérimental ou... math!) a été un grand moment, qui en fait plus que le simple héritier du défunt Furyfest du Mans.

Le Hellfest, né des cendres fumantes du Furyfest donc, avait déjà le mérite d'être le seul festival du fenre en France, mais a souffert de deux premières éditions difficiles qui ont failli lui être fatales, avec des galères financières et une météo 2007 cataclysmique.
D'énormes efforts ont été accomplis pour l'édition 2008, pour un lieu accueillant, confortable, convivial et très ouvert, jusqu'au site internet qui est particulièrement réussi. Les organisateurs ont aussi su faire des choix forts pour les invitations: «On préfère payer 80 groupes plutôt que de filer 1 ou 2 cachets à des groupes qui ne réinventent rien depuis des années et qui représentent un aspect limité des musiques extrêmes. Le Hellfest doit devenir le tremplin pour les groupes en devenir, les courants en développement, la vitrine des groupes rares et de qualité.»

Source: Flickr, galerie de Keipoth.

Qu'on se rassure, les têtes d'affiche restent de très grands noms comme lors des éditions précédentes, mais on a pu constater cette volonté de multiplier les styles, d'ouvrir les scènes à des groupes moins connus et néanmoins talentueux, avec une constante recherche de qualité.
Mais ce qui différencie vraiment le Hellfest d'autres manifestations équivalentes, même à l'étranger, et le démarque de son ancêtre mansois, c'est l'effort redoublé d'aller vers le grand public pour faire tomber les préjugés. Et là, on assiste à des choses étranges, comme un camping de métalleux installé entre les vignes, des viticulteurs locaux vendant leur nectar en plein milieu du festival, des stands de fruits au milieu des merguez, une fanfare sillonnant le village en jouant du metallica©, une mamie promenant ses petits enfants curieux devant la scène black métal, quelques familles se mêlant à la foule pour admirer les prouesses des skaters... quelque chose est peut-être en train de changer du côté de Clisson, où la séduction semble vraiment faire son effet grâce à des groupes comme Anathema, Apocalytpica, My Dying Bride ou Opeth, grâce à des festivaliers au comportement très remarqué pour les institutionnels, et grâce à une population locale ouverte, chaleureuse, accueillante. Les festivaliers semblent venir de plus en plus loin, ce qui augure bien pour l'avenir.

Source: Flickr, galerie de Keipoth.

Mais parlons donc musique.
Le son était d'une rare qualité (due au plein air?), ce qui est peu dire lorsqu'on sature et qu'on pousse le volume sans limites dans de trop nombreux concerts.
Deux scènes principales alternaient sans temps mort, avec des groupes très variés, que ce soit par le style, l'expérience ou le public visé, ce qui permettait un brassage très vivant. Une troisième scène, à l'écart, permettait à des groupes moins connus de se produire devant un public bien chauffé. Avec des expériences sympathiques, des découvertes originales et surprenantes, bref: de bonnes surprises.

Source: Flickr, galerie de Keipoth.

On a vu des Grands Anciens, voire des revenants (Carcass, Venom, Helloween, Iced Earth, Paradise Lost, Nofx, Motorhead, Slayer, Ministry, Anathema...) partager la scène avec des groupes plus récents et néanmoins impressionnants (mention spéciale à Opeth, Meshuggah et Dillinger Escape Plan pour les avoir vus, mais citons aussi In Flames, Airbourne... je pourrais recopier beaucoup de noms de cette liste impressionnante). Parmi les découvertes qui valaient le détour, je cite très subjectivement Year of No Light, Ghost Brigade, Blazing War Machine par exemple.
Enfin, cerise sur le gâteau pourtant déjà très réussi, la compilation du Hellfest 2008 est téléchargeable (entrer le code «hellfest»). Un grand merci aux organisateurs et à la météo, et rendez-vous à Clisson en 2009. Pourront-ils faire mieux?

Source: Flickr, galerie de Keipoth.

NB: je m'interroge parfois sur le manque de diversité culturelle des publics mélomanes (quelle que soit la musique concernée). Mais le métal remporte une palme qui me dérange un peu: je n'ai vu que des Blancs au festival de Clisson... Bien sûr, le contenu des paroles certains groupes y est pour quelque chose, de même que l'imagerie souvent très «nordique» de beaucoup de formations. La transmission des goûts musicaux se fait souvent sur le mode du repli identitaire et d'une certaine exclusivité. Les initiatives telles que celles du Hellfest sont donc à encourager, qui encouragent les liens avec la population locale, et le brassage des genres au sein d'une même famille musicale; et si l'on attend du grand public qu'il regarde le métalleux avec plus de respect et moins de préjugés, peut-être le métalleux doit-il aussi s'interroger sur son sens de l'ouverture et de l'identité. Sa survie est à ce prix, surtout au sein d'une contre-culture de la révolte et du non-conformisme très agressée par la société de consommation: peu importe que vous soyez métalleux, rappeur ou amateur de jazz, pourvu qu'on puisse stéréotyper vos goûts et savoir quelles marques vous vendre!

Merci également à François de m'avoir demandé ce texte et de l'avoir retranscrit avec fidélité. Bien sûr, ce que j'écris n'engage que moi!

Martinogan, 31 juillet 2008.