lundi 1 décembre 2008

Le livre des livres pour enfants

Sympathique entretien avec François Rivière sur le site de l'Express, où ce prolifique auteur jeunesse rappelle quelques grandes dates de l'histoire de la littérature jeunesse. En même temps que la BNF fait une exposition sur le sujet (sans grosse prise de risque, visiblement, dans la perspective adoptée, je me demande même si j'y irais), François Rivière publie un livre intitulé Le livre des livres pour enfants, édité aux éditions du Chêne.


Je ne sais pas ce que le livre vaut, il semble qu'il soit essentiellement constitué d'images, comme souvent aux éditions du Chêne (qui sont par ailleurs dotés d'un site internet mal foutu, dans lequel il est quasi impossible de naviguer). Mais après tout, même le Matricule des anges de ce mois-ci en parle, il ne doit donc pas être dénué d'intérêt.
Ce que j'apprécie en tout cas chez François Rivière, c'est que, à lire son entretien, il a l'air de savoir de quoi il parle. Il n'est pas historien de la littérature, mais il arrive quand même à parler de Mame à propos de la littérature pour enfants du XIXe siècle, ce qui montre bien qu'il ne se contente pas de prendre en compte les grands chefs-d'œuvre du genre, mais connait aussi le tout-venant de l'époque, ce gros de la production pour jeunesse du XIXe siècle qui n'est pas resté dans les annales, et n'est plus guère réimprimé de nos jours. Esprit curieux, on lui doit notamment une biographie de James Matthew Barrie, l'auteur de Peter Pan.
J'apprécie également son point de vue sur l'édition jeunesse actuelle, et sur ses «nouveautés hypersophistiquées» et en cela-mêmes «atterrantes». Certains albums dits «jeunesse» sont en réalité des joujous pour graphistes, et me semblent bien éloignés de ce qu'un enfant est susceptible d'attendre de la littérature pour enfants. Autrement dit, à force de jouer avec les formes et les couleurs pour soi-disant développer la sensibilité des enfants, j'ai bien peur que parfois l'on produise des objets pour le moins hermétiques. Fascinants, certes, mais assez incompréhensibles, et souvent très fragiles, comme ce livre pop-up de David Pelham, certainement poétique, mais qui ravit davantage, je pense, les parents que les enfants.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Jolies choses tout de même du côté d'Enzo Mari (http://www.lanottebianca.it/?pagina=dettaglioevento_fr&idlingua=4&Nascosto=IdEventoNB&IdEventoNB=384) et de quelques autres...

François a dit…

Bien sûr que l'on trouve de jolies choses dans le cadre des albums dits "pour enfants"! Très innovatrices également! Je voulais juste dire qu'à force de subvertir l'espace graphique du livre et de travailler sur le livre-objet, le livre comme simple contenant de texte et d'image tendait à se faire rare... et le "livre" que vous prenez est l'exemple parfait d'une très belle réalisation, mais qui est aussi proche de la forme traditionnelle du livre qu'un sapin de noël est proche d'un balai-brosse.
Ce sur quoi insiste bien François Rivière, c'est sur le fait que les enfants sont très souvent avant tout à la recherche d'un contenu, et que la mise en forme pour le moins banale du livre d'Harry Potter n'a en rien empêché son succès. Vaste débat sur la perméabilité et l'interaction arts du livre/littérature/beaux-arts, auquel je n'ai pas prétention d'apporter une résolution définitive. Je voulais juste insister sur le fait que certains albums dits "jeunesse" se trompent de public. Ou plutôt trompent leur public: ils sont faits pour être sur la table du salon plutôt que dans la chambre d'enfants. C'est classique, ceci dit: c'était déjà en partie le cas des livres illustrés par Rackham, Dulac, Robinson, Nielsen...

Anonyme a dit…

Je vois ce que vous voulez dire ; cependant (et c'est pour cela que je pensais à Mari), certains de ces livres peuvent laisser en certains enfants une empreinte visuellement très forte (ce qui a été le cas, pour ce qui me concerne, avec le Mari et avec deux ou trois autres livres du même genre dont une de mes tantes se faisait une spécialité de Noël). Je ne crois pas trop à la prééminence du contenu sur l'illustration et la forme ; je pense aussi que "les enfants" sont très loin de constituer un groupe homogène et qu'ils peuvent tomber très tôt amoureux des formes — des plus abstraites aux réalistes, de celles que nous jugeons les plus laides à celles que nous jugeons les plus laides. Et que parmi ces formes et ces ouvrages, il en est qui ne relèvent nullement du livre pour enfants, bien sûr... Je vais regarder de près le livre de Rivière ; sa thèse m'intrigue.

François a dit…

D'abord, je tiens à préciser que je ne sais pas si ce que j'ai dit était la thèse de François Rivière dans ce livre: je réagissais juste à l'une de ses remarques dans l'entretien de l'Express.

Ensuite, je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que le public enfantin est loin d'être homogène, et que ce que j'ai pu dire pêche par généralisation.
Il reste que si les formes "abstraites" peuvent en effet tout à fait plaire aux enfants, certains albums particulièrement "conceptuels" (vous noterez la différence entre les deux termes) me semblent particulièrement hermétiques, et de surcroît très fragiles matériellement. Ma remarque concernant le Mari n'était pas vraiment le fait qu'il est inapproprié pour les enfants (cela je n'en sais rien, et qui suis-je pour le dire après tout?), mais simplement de dire que ce n'était pas un livre. Ça ressemble plutôt à un jouet, certainement très épanouissant et très bien, mais pas pour les mêmes raisons qu'un livre.

Je finirais juste par faire une remarque sur le problème contenant/contenu. Il y a deux raisons pour lesquelles je tends à penser qu'un livre est avant tout un contenant (ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit que ça, bien sûr, je suis trop bibliophile pour aboutir à un tel jugement): d'une part sa forme symbolique (un livre, ça s'ouvre, ça se ferme, ça a un début, une fin, etc.), et d'autre part son utilisation depuis l'invention du codex, c'est-à-dire en gros depuis plus d'un bon millénaire.
Mais dire qu'un livre est avant tout un contenant, ça n'est pas dénigrer sa forme de contenant, seulement exiger qu'il comporte un minimum de contenu. Ce qui n'est pas le cas de tous les albums pour enfants contemporains, loin s'en faut, qui tendent malheureusement parfois à privilégier la forme plastique et l'originalité de la présentation au contenu graphique ou littéraire. Faire un beau livre, c'est bien; avec de belles images et un beau texte, c'est mieux.

la Mère Castor a dit…

Petit grain de sel d'une lectrice et conteuse pour les petits particulièrement (le terrain...) certains livres contemporains sont quasiment inutilisables en lecture collective, justement à cause de leur manque de contenu. J'en parlai à une bibliothécaire en choisissant des albums pour la bibliothèque du village, elle m'a répondu qu'ainsi on privilégie l'imagination des enfants. Je n'en suis pas sure du tout. C'est souvent le contraire, et comme vous le dites, on ne peut s'empêcher de penser que ce sont les œuvres d'adultes qui se font plaisir. Suis-je une vilaine réactionnaire ? Curieuse de ce qui sort, attirée par les nouveautés et les graphismes en tous genres, franchement il y a des albums dont on ne voit pas trop l'utilité.

François a dit…

Assez d'accord avec vous, même si je n'ai pas d'expérience de terrain. Même s'il est difficile de généraliser et qu'il faut toujours juger au cas par cas, force est d'admettre que la qualité des albums, cette dernière décennie, s'est considérablement améliorée, diversifiée... et parfois intellectualisée au point de paradoxalement s'appauvrir. En réalité, comme dans tout gros marché d'industrie culturelle (on pourrait comparer avec celui de la BD, je pense), la profusion devient telle qu'on trouve de tout: du produit marketing un peu vide et de fantastiques créations.

Ribambins a dit…

Et si l'un n'empêchait pas l'autre.. le plaisir d'observer/admirer le livre objet et d'écouter/transposer le livre histoire. Ainsi que toutes les versions médianes.
Je suis toujours très surprise d'observer que mes enfants peuvent aller de l'un à l'autre en fonction de leurs humeurs/envies. Leur imagination fait rarement défaut et peut être alimentée tant par le contenant que par le contenu.
Vous avez raison certains livres sont essentiellement destinés aux adultes et ces derniers ne s'en cachent pas. Il faudrait peut être alors revoir le positionnement littérature jeunesse et rendre la passerelle avec le monde adulte plus perméable à l'instar des anglo-saxons.
Les livres animés que vous mentionnez par ailleurs et qui sont effectivement très fragiles et inadaptés aux mains des plus jeunes peuvent être un excellent support de lecture pour un peu que l'on ménage les effets de surprise et que l'on se serve des mécanismes dans la narration.
Si l'on considère par exemple little tree de Katsumi Komagata, on peut autour du défilement des saisons, raconter, suggérer, évoquer et échanger avec les enfants. Un autre type de lecture et de narration. Que dire alors du petit chaperon rouge de Warja Lavater?
Parallèlement il sont friands de contes traditionnels qui les gardent éveillés juste avant d'aller dormir.

François a dit…

Je vois que ce billet attire les commentaires bien après l'époque de sa rédaction, et qu'il touche donc à des problématiques relativement importantes. Merci de votre témoignage !

"Il faudrait peut être alors revoir le positionnement littérature jeunesse et rendre la passerelle avec le monde adulte plus perméable à l'instar des anglo-saxons." => Je ne vous le fais pas dire ! Même si la littérature jeunesse est tout aussi distincte en GB ou aux USA qu'en France en tant que champ éditorial, la rupture idéologique qui l'accompagne (et qui est génératrice des préventions à son égard) y est nettement moins contrastée.