J'ai vu tout à l'heure à la librairie Le Livre (à Tours) qu'existait un livre sur les "lieux de mémoire" russes... dans la droite ligne de la célèbre trilogie dirigée par Pierre Nora sur les lieux de mémoire qui constituent l'identité nationale française. Le même exercice est donc tenté par Georges Nivat, qui dirige ce premier tome sur l'identité nationale russe. Trois volumes sont prévus, de la même manière que pour l'ouvrage dirigé par Pierre Nora. Le découpage a néanmoins l'air complètement différent, puisque Les lieux de mémoire étaient séparés de manière thématique (I, La République, II, La nation, III, Les France), alors que la trilogie dirigée par Georges Nivat commence par aborder la question de la géographie russe. Je ne sais pas de quoi seront constitués les deux tomes suivants, mais nul doute qu'on parlera à un moment ou un autre, sans doute, des contes d'Alexandre Afanassiev. De même que Maria Tatar avait rédigé un article sur les contes de Grimm dans l'ouvrage équivalent pour l'identité nationale allemande, dirigé par Etienne François et Hagen Schulze.
J'attends avec impatience qu'un ouvrage semblable soit publié sur l'identité nationale anglaise, mais je crois que je peux attendre longtemps. L'identité anglaise est nettement plus compliquée à mettre en place et en valeur, comme le montre Krishan Kumar dans son livre The Making of English National Identity: une perpétuelle confusion existe entre l'identité anglaise et l'identité britannique, ce qui ne facilite pas les travaux historiques.
L'ouvrage de Krishan Kumar a le mérite de mettre les choses au clair, mais il est récent, et je ne crois pas trop me tromper en affirmant que l'identité anglaise a eu bien du mal à se construire en face de l'identité britannique. Pour prendre un exemple que je connais plutôt bien, celui des contes populaires, il n'existe pas de recueil en Angleterre qui soit équivalent à celui des Grimm en Allemagne, ou à celui d'Afanassiev en Russie. En France, les contes de Perrault, qui à l'origine ne sont pourtant pas rassemblés dans la perspective d'une collecte folkloriste d'antiquités nationales, remplissent un peu le rôle de "classique national" du conte populaire (une véritable anthologie de contes populaires a depuis pris le pas pour les spécialistes sur le recueil de Perrault: c'est l'ouvrage de Paul Delarue et de Marie-Louise Tenèze). Mais en Angleterre, aucun recueil de contes ou de légendes populaires ne remplit ce rôle. A part, bien évidemment, dans les "marges" celtes du Pays de Galles, de l'Irlande et de l'Ecosse, mais on aborde alors l'identité britannique, ce qui est une toute autre histoire, où l'identité celte se mêle, justement, aux apports culturels des peuples germaniques qui s'installent au Ve siècle en Grande-Bretagne, installation qui ouvre la période "anglo-saxonne" de l'histoire anglo-britannique.
L'identité anglaise coïnciderait-elle avec cette culture anglo-saxonne? Le problème est que, occupée à étendre son empire, la couronne anglaise s'est peu attachée, avant la toute fin du XIXe siècle, à construire une identité nationale spécifiquement anglaise. Britannique, oui, mais anglaise? Du coup, la grande période de collecte de contes populaires qu'était le XIXe siècle n'a pas vu de collecte de contes véritablement anglais. Quelques légendes et de nombreux mémorats, mais très peu de contes à proprement parler ont été collectés et figés par écrit. Pas de quoi, en tout cas, monter une collection semblable à celle des Grimm ou d'Afanassiev. En conséquence de quoi, très certainement, l'identité nationale anglaise se construit autre part que dans ses contes et légendes. Affaire à suivre...
L'ouvrage de Krishan Kumar a le mérite de mettre les choses au clair, mais il est récent, et je ne crois pas trop me tromper en affirmant que l'identité anglaise a eu bien du mal à se construire en face de l'identité britannique. Pour prendre un exemple que je connais plutôt bien, celui des contes populaires, il n'existe pas de recueil en Angleterre qui soit équivalent à celui des Grimm en Allemagne, ou à celui d'Afanassiev en Russie. En France, les contes de Perrault, qui à l'origine ne sont pourtant pas rassemblés dans la perspective d'une collecte folkloriste d'antiquités nationales, remplissent un peu le rôle de "classique national" du conte populaire (une véritable anthologie de contes populaires a depuis pris le pas pour les spécialistes sur le recueil de Perrault: c'est l'ouvrage de Paul Delarue et de Marie-Louise Tenèze). Mais en Angleterre, aucun recueil de contes ou de légendes populaires ne remplit ce rôle. A part, bien évidemment, dans les "marges" celtes du Pays de Galles, de l'Irlande et de l'Ecosse, mais on aborde alors l'identité britannique, ce qui est une toute autre histoire, où l'identité celte se mêle, justement, aux apports culturels des peuples germaniques qui s'installent au Ve siècle en Grande-Bretagne, installation qui ouvre la période "anglo-saxonne" de l'histoire anglo-britannique.
L'identité anglaise coïnciderait-elle avec cette culture anglo-saxonne? Le problème est que, occupée à étendre son empire, la couronne anglaise s'est peu attachée, avant la toute fin du XIXe siècle, à construire une identité nationale spécifiquement anglaise. Britannique, oui, mais anglaise? Du coup, la grande période de collecte de contes populaires qu'était le XIXe siècle n'a pas vu de collecte de contes véritablement anglais. Quelques légendes et de nombreux mémorats, mais très peu de contes à proprement parler ont été collectés et figés par écrit. Pas de quoi, en tout cas, monter une collection semblable à celle des Grimm ou d'Afanassiev. En conséquence de quoi, très certainement, l'identité nationale anglaise se construit autre part que dans ses contes et légendes. Affaire à suivre...
7 commentaires:
Et pourtant il existe des contes typiquement "anglais" comme les trois petits cochons, si je ne me trompe pas. Mais peut être pas de travail de collecte, comme l'ont fait Calvino en Italie, les Frères Grimme en Allemagne,Pourrat en Auvergne, etc..
Très intéressant débat.
Grimm, oups !
Pas de pb :-)
Et en effet, il existe des contes typiquement anglais (Jack et le haricot magique, etc.) qu'on retrouve peu de l'autre côté de la Manche, mais comme je disais il n'existe pas en Angleterre de recueil comparable à celui des Grimm ou d'Afanassiev. Pas d'ouvrage "de référence".
Corti a édité une anthologie de contes de colportage anglais, sous le titre "Le Mendiant aveugle", et bien des anthologies de contes anglais ont été publiées depuis le XIXe siècle, mais pas de recueil "historique", qui fasse véritablement monument littéraire.
Du moins pas à ma connaissance, je cherche encore.
Pas d'ouvrage de référence, j'ai cherché de mon côté, je n'ai pas trouvé. Il faut remarquer que l'Angleterre a des auteurs majeurs de fictions et de merveilleux comme Lewis Caroll, James Barrie, JK Rowlings plus récemment, et Tolkien, ainsi que dans un autre registre le grand Dickens.
Et j'en j'oublie...
Euh... certes, mais là on entre dans d'autres catégories de littérature, qui n'ont plus qu'un rapport lointain avec folklore ou identité nationale.
Toute l'entreprise de Tolkien, notamment, est fondée sur l'idée de redonner un monument épique, légendaire à la culture anglo-saxonne. Ce qui suppose que celle-ci n'a pas (ou plus) de contes ou de légendes propres, à l'époque où écrit Tolkien. Mais du coup ça donne lieu à tout autre chose.
il y a un dictionnaire de Catherine Briggs qui est très complet: folk narratives, folk legends. avec des variantes de contes que l'on trouve dans le folklore anglais.
=> anonyme: en effet c'est le recueil le plus complet qui existe (à ma connaissance toujours), mais 1/ il contient proportionnellement beaucoup de mémorats et légendes par rapport aux contes proprement dits ; 2/ il ne s'agit pas d'un recueil "historique", mais d'un travail d'ethnologue du XXe siècle: le travail de Briggs est davantage comparable à celui de Delarue et Ténèze qu'à ceux de Perrault, de Grimm ou d'Afanassiev. C'est un travail d'ethnologue qui n'a eu aucune répercussion dans la construction de l'identité nationale anglaise.
Mais merci de la référence!
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