En ce moment, je lis pour mes loisirs (je sais, ça peut paraître un peu étrange comme lecture, à côté d'Harry Potter) l'Histoire Ecclésiastique du Peuple Anglais de Bède le Vénérable, qui est la toute première histoire de l'Angleterre à être écrite, au tout début du VIIIe siècle.
Bède y raconte comment l'île de Bretagne fut investie par les bretons, qui furent tour à tour envahis par les pictes, les scots, les romains, les angles et les saxons. Surtout, il veut raconter l'histoire de l'évangélisation de la Bretagne, et comment Saint Augustin (pas lui, l'autre) s'y prend pour extirper le péché de ces méchants idolâtres que sont les Angles.
Le Pape Grégoire écrit ainsi à Augustin, évèque de Canterbury, pour répondre à une question que celui-ci s'était posée à propos des péchés commis dans les rêves (I, XXVII):
Le Pape Grégoire écrit ainsi à Augustin, évèque de Canterbury, pour répondre à une question que celui-ci s'était posée à propos des péchés commis dans les rêves (I, XXVII):
Nous devons nous demander si cette pensée n'était rien d'autre qu'une suggestion, la recherche d'une jouissance, ou, ce qui est plus criminel encore, un consentement au péché. Car tout péché s'accomplit de trois manières: par voie de suggestion, par délectation et par consentement. C'est le diable qui instille la suggestion; la délectation naît de la chair; et le consentement, de l'esprit. Le serpent a suggéré la première faute; Eve, comme si elle était la chair, a été charmée; mais Adam, comme s'il était l'intelligence, a consenti. Cependant, l'esprit doit faire appel à un grand discernement pour juger s'il s'agit de suggestion ou de délectation, de délectation ou de consentement. En effet, si le démon suggère un péché à l'intelligence et qu'il ne s'ensuive aucune délectation, alors il n'y a pas eu de péché. Mais quand la chair commence à s'en délecter, alors le péché commence à sourdre; mais si elle y consent délibérément, alors on doit tenir le péché pour accompli.
La source du péché est donc dans la suggestion, la croissance du péché se fait par délectation, et le péché s'avère dans le consentement. Il arrive souvent que le mal semé par le démon dans la pensée, la chair l'attire vers la délectation, à laquelle l'âme cependant ne consent pas. Et quoique la chair ne puisse pas se délecter sans l'accord de l'esprit, cependant l'esprit qui lutte contre le plaisir de la chair est, d'une certaine mesure, assujetti contre son gré au plaisir de la chair, de telle sorte qu'il s'y oppose de toute sa raison, de peur d'y céder; et cependant, le fait d'y être soumis avec délice le fait gémir de douleur à cause de son lien.
La source du péché est donc dans la suggestion, la croissance du péché se fait par délectation, et le péché s'avère dans le consentement. Il arrive souvent que le mal semé par le démon dans la pensée, la chair l'attire vers la délectation, à laquelle l'âme cependant ne consent pas. Et quoique la chair ne puisse pas se délecter sans l'accord de l'esprit, cependant l'esprit qui lutte contre le plaisir de la chair est, d'une certaine mesure, assujetti contre son gré au plaisir de la chair, de telle sorte qu'il s'y oppose de toute sa raison, de peur d'y céder; et cependant, le fait d'y être soumis avec délice le fait gémir de douleur à cause de son lien.
Les flagellants illustrent bien (ils arrivent bien plus tard, au XIe siècle semble-t-il) cette lutte d'une partie de l'homme contre soi-même, cette liberté de l'esprit qui ne consent pas au péché, et qui essaye tant bien que mal de sortir des rets du plaisir de la chair, en la punissant par d'autres rets, ceux de la souffrance. Merci Saint Paul...
Je me demande si le stade de la chair ne peut pas être "sauté", et si on ne peut pas passer directement de la suggestion diabolique au consentement intellectuel. Qu'en penserait Grégoire? Il dirait bien sûr que ce n'est pas possible, que l'esprit ne peut consentir à des chaînes qui ne sont pas ressenties. Mais il ne semble pas tenir compte de la possibilité d'une délectation intellectuelle... Après tout, la suggestion diabolique ne se fait-elle pas au niveau des pensées? C'est ce que l'on appelle aujourd'hui un fantasme, mais ce concept est un peu en dehors du cadre intellectuel de Grégoire et de Bède.
En tout cas, ce que dit Grégoire devrait vous rassurer: tant qu'on n'a pas vécu le péché dans la chair, on est tranquille, on peut continuer à rêver de ce que l'on veut sans que péché soit véritablement avéré. Méfiez-vous de vos songes, cependant, ils peuvent contenir des suggestions malencontreuses. Vous êtes prévenus!
5 commentaires:
Une petite note historique un peu hors sujet.
Outre le méga jeu de mot de la papeauté « non des angles mais des anges » qui a motivé Rome à évangéliser l'Angleterre, ce sont beaucoup les moines irlandais qui on contribués à cette évangélisation.
Cela a pu être récupéré par la suite, comme durant le synode de Whitby, où Rome réussit à convaincre le Roi de Northumbrie d'utiliser le comput pascal de Denis le Petit comme Rome plutôt que l'ancien comput du temps de Constantin.
Ça s'est joué à qui est le plus gros protecteur entre Saint Pierre et Saint Colomban. Ce qui a permis à un de mes professeur d'histoire médiéval de dire joyeusement « c'est Saint Pierre le plus fort ».
http://en.wikipedia.org/wiki/Synod_of_Whitby
+t -s +s
Oui, en effet, le synode de Witby se passe un peu plus tard, je n'en suis pas encore là :-)
Pour ce qui est du jeu de mots, je recopie un autre passage du livre (2, I):
"On raconte qu'un jour des marchands qui venaient d'arriver à Rome exposaient sur la place du marché divers articles à vendre, et qu'une multitude d'acheteurs s'était rassemblée, parmi lesquels se trouvait Grégoire [le pape qui répond à Augustin, donc]. On proposait à la vente quelques garçons blancs de corps, avec de belles expressions sur le visage et des cheveux d'une grande beauté. Les ayant remarqués, il demanda [...] de quel pays ou de quel peuple ils venaient. On lui répondit que c'était de l'île de Bretagne dont les habitants avaient cette apparence. [...] Il posa une nouvelle question: "Quel est le nom de ce peuple?" On lui répliqua qu'il s'appelaient les Angles. "C'est parfait dit-il, car ils ont un visage angélique, et il leur convient de devenir cohéritiers avec les Anges du ciel. Quel est le nom de la province d'où viennent ces hommes?" Les marchands lui expliquèrent qu'on appelait Deiri les habitants de cette province. "Vraiment sont-ils de ira, dit-il, tirés de la colère et appelés à la miséricorde du Christ? Comment s'appelle le roi de cette province?" Ils dirent que son nom était Aella. Et lui, jouant aussitôt avec le nom, leur répondit: "Alleluia, la louange de Dieu Créateur doit être chantée dans ces régions lointaines!"
Du coup, parce que leur visage d'anges appelle à la parole du Seigneur, Grégoire se fait un devoir d'évangéliser les angles...
Concernant l'assimilation d'ange et angle, ira et deiri, c'est, me semble-t-il, un témoignage intéressant de la culture monastique qui participe de l'écriture de Bède. Ces jeux de mots sont une activité largement appréciées des moines de l'antiquité tardive et du haut moyen âge, un peu comme M. Patouche et le "Loup garou".
Quant au péché, c'est une question qui traumatise l'évangélisateur. Le problème se repose à chaque rencontre avec des barbares. Peut-on se passer de la chair dans le péché ? Dans la logique chrétienne (et même judéo-chrétienne), c'est difficile.
Tout tient à cette nature de l'homme qui est à la fois animale et divine/angélique. On pourrait considérer que le péché est dans la chair qui corrompt l'âme humaine (c'est à dire sa nature divine). Mais on trouve dans la tradition chrétienne des considérations sur l'innocence de l'animal (plus tardivement, François d'Assise en est le meilleur défenseur), tandis que la chute de Lucifer est la marque de la perversion directe de la nature divine, puisque ce n'est pas la chair qui est corrompue dans son cas. En revanche, c'est souvent la chair de l'homme qu'il soumet à la tentation.
Quoique, dans quelques traditions judéo-chrétiennes, d'inspiration grecque, l'ubris peut toucher directement l'intellect. Et s'il y a ubris, il y a péché...
Grégoire, finalement, apporte un point de vue sur le péché, mais qui ne s'imposera pas systématiquement.
Gonzague: "un peu comme M. Patouche et le Loup Garou"? J'ai peur de n'avoir pas saisi l'allusion.
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