lundi 21 septembre 2009

Respiration

Préparation de cours pour l'université, correction de livres pour les éditeurs, fin de mon contrat pour le musée Rabelais, en ce moment je suis en apnée.


Burne-Jones, le Roi Cophetua

Hier soir, entre 20h et 22h sur France Culture, une bouffée d'air : une splendide création radiophonique de la pièce de théâtre de Julien Gracq, Le Roi Pêcheur. Le texte de Gracq est éblouissant, même si je comprends qu'il n'ait pas connu le succès à l'époque de sa première création, en 1949. L'oeuvre est relativement difficile, et la trame narrative est limitée, au profit d'un réseau de symboles qui demande une grande attention si l'on veut percer à jour la dialectique hégelienne qui se devine sous une apparence de mythe arthurien teinté de wagnérisme. La pièce n'est en cela pas sans rappeler les drames symbolistes de Maeterlinck ou de Pessoa : elle est toute empreinte de mystère, et manie les images plutôt que les actions, les symboles plutôt que les postures psychologiques, les attentes plutôt que les intrigues.



La première mise en scène n'ayant eu aucun succès, malgré les décors de Léonor Fini et l'interprétation de Maria Casarès et de Jean-Pierre Mocky, je me demande ce qu'une mise en scène moderne pourrait faire de cette pièce. Laurence Arpi en a assez récemment proposé une interprétation, qui s'apparente visiblement davantage à une lecture, avec un texte adapté, qu'à une mise en scène théâtrale classique. Certaines pièces, d'Ibsen ou de Yeats, acceptent difficilement une mise en scène. La pièce de Gracq fait partie de ce théâtre-là, qui est celui des mots plus que celui de la représentation.

2 commentaires:

Continuum a dit…

Alors moi elle m'a enchanté cette création radiophonique ! Texte absolument superbe, acteurs de grands talent, avec un véritable travail d'ambiance sonore. J'arpentais les bois de Montsalvage, je conversais avec Kundry, j'avais les mains tâchées du sang d'Amfortas. Le voyage de Perceval en Terre Gaste, on connaît bien cela, mais quelle ampleur, quel lyrisme, quel souffle, lorsque c'est Julien Gracq qui nous le raconte ! Je partage tout à fait ton avis, point besoin d'aller voir cela au théâtre, et bien qu'on ne puisse émettre un jugement définitif, ce que j'ai entendu hier soir m'a totalement comblé. Une profonde et vigoureuse respiration.

charlotte a dit…

Vos deux enthousiasmes ne peuvent que me toucher... "Le roi Pécheur" est une splendide épure du "Château d'Argol" du même Louis Poirier. Le drame, pourtant postérieur au récit, est une porte d'entrée rêvée au monde plus touffu, plus rutilant, à certains égards, plus grandiloquent, mais ô combien fascinant, du premier roman de Gracq. J'ai eu la joie d'arpenter chaque recoin de cette "version démoniaque" de Parsifal - la formule est de Gracq -, de l'habiter comme ma propre maison, pour y conduire ensuite pas à pas quelques apprentis lecteurs, guidés aussi par la main de Poe, de Baudelaire et de quelques autres. A (re)lire aussi, et surtout, les trois récits de la Presqu'île dans lesquels Gracq croise la trame de la Quête à d'autres écheveaux symboliques : le motif se défait de sa grâce surannée si "symboliste", comme l'a justement écrit François, pour s'incarner dans un univers où la vitesse, l'érotisme, la "modernité" imposent - en apparence - leurs lois esthétiques.