mercredi 16 avril 2008

L'art émerge en marge, et Dada?

A mes heures perdues, il m'arrive de me délasser en me plongeant dans la découverte de mouvements culturels divers et souvent très marginaux. C'est souvent là qu'on trouve une capacité d'émerveillement encore intacte, même si souvent le résultat peut paraître déconcertant ou inabouti. En musique, comme en danse ou en cinéma, il est des ravissements insoupçonnés dans ce domaine que l'on appelle honteusement la "contre-culture", culture alternative" ou que sais-je encore. Quand on pense au nombre d'artistes qui ont taillé leur style dans ce roc de l'underground pour ensuite éclater au grand jour, il y a là une certaine hypocrisie. Peter Jackson, pour ne citer que lui, en est bien évidemment l'archétype. En tout cas pour ma part j'aime à voyager dans ces contrées encore inexplorées et ignorées, et donc peu balisées, espérant que la qualité soit au rendez-vous.
Justement, je suis tombé récemment sur une émission de France Culture consacrée à la figure d'un personnage d'actualité : Henri Chopin. Cet archange de la poésie sonore nous a quitté en janvier. J'ai été saisi d'émotion en entendant son art sonore entièrement produit par la bouche et le corps. N'ayant pas vraiment étudié la question, il y avait dans mon esprit un vide chronologique entre Kurt Schwitters et Mike Patton (lien qui reste encore à définir d'ailleurs). Voilà peut-être le chaînon manquant. Scwhitters, dadaïste ultime, me paraissait insurpassable avec sa Ursonate, et il le reste bien entendu. Mais là où Schwitters signe un manifeste, Chopin nous emmène ailleurs. Il érige un art pur et complet, qui n'est ni musique, ni parole, ni texte, mais une forme d'art post-dadaïste dont la poésie vient uniquement des trouvailles inimaginables et sans cesse renouvelées de bruits de bouches, de narines, de langue, de voix etc. Un savant dosage qui lui permet de ne jamais sombrer dans le comique, le vulgaire ou l'anecdotique.
Cela m'a beaucoup impressionné et j'y ai repensé, je ne sais pourquoi, quand j'ai entendu sur France Inter les enregistrements d'Antonin Artaud au dernier stade de la folie, qui datent de 1947. Antonin Artaud se parle à lui-même dans un délire schizophrénique, avec une voix très aiguë de prophète déchu entre deux mondes. De son propos inintelligible mon oreille s'est détachée pour finir par ne plus entendre que les consonnes, les halètements et les râles. Finalement la grande tirade prophétique a tourné à la poésie sonore.

Monument to Antonin Artaud, pencil on paper
http://www.yuri-z.com/Drawings.html

Il est probable que sans l'écoute préalable d'Henri Chopin, peut-être n'aurais-je entendu là que les injonctions effroyables d'un fou à lier. Il est des artistes qui modifient votre perception du monde.
Certes, Henri Chopin ne me fera pas oublier "Le théâtre et son double", mais enfin, la marge a-t-elle vocation à remplacer le milieu? La Mélancolie de Dürer me fascine, et sa puissance est sans limite, mais dois-je pour cela me priver de la jubilation que provoquent les illustrations d'un Félicien Rops ou les dessins d'un Alfred Kubin? Non, pour rien au monde, et sans doute mon adoration pour Wagner et Strauss ne serait pas si intacte si un Bernard Lubat ou un Rabi Abou Khalil ne venaient de temps en temps y passer un coup de balai!

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