Frank Wedekind (1864-1918) un des principaux auteurs de théâtre allemand au tournant du vingtième siècle, est peu représenté sur nos scènes, et c'est bien dommage. Personnellement, je connais son oeuvre surtout par l'opéra qu'Alban Berg a composé à partir des deux pièces que sont La Boîte de Pandore et L'esprit de la Terre. Cet opéra inachevé, Lulu, fait partie avec Wozzeck (du même auteur à partir du Woyzeck de Büchner, qui inspirera Wedekind), des opéras majeurs du début vingtième et du dodécaphonisme allemand.
Si Berg trouva dans Wedekind une forte source d'inpiration, faisant ainsi connaître au dramaturge une postérité au-delà du champ théâtral, il n'est pas le seul artiste à avoir senti les possibilités d'adaptation qu'offre l'oeuvre du maître. Récemment, une jeune cinéaste française s'est penché sur une nouvelle de 1903, Mine-Haha. Nul doute que si l'auteur eût été encore vivant, il n'aurait pas renié cette transposition de l'écrit à l'écran, car elle s'impose à nous comme une évidence. C'est Lucile Hadzihalilovic qui signe à partir de cette nouvelle son premier long métrage (à 45 ans il était temps), Innocence, avec une Marion Cotillard pas encore oscarisée, et Hélène de Fougerolles.
Le film nous plonge dans l'univers de l'enfance féminine, filant une métaphore poétique en trois volets, de la petite enfance jusqu'à la puberté, à travers trois personnalités, trois corps. Des petites filles sont enfermées dans un vaste domaine boisé avec l'interdiction d'en sortir, où elles sont logées, nourries, pratiquent la danse, et sont en partie livrées à elles-mêmes. Mais qu'y a-t-il à l'extérieur? Et pourquoi ne peut-on pas sortir? Et pourquoi sommes-nous là? Voilà le genre de questions autour desquelles vont se nouer trois destins, dans un parfum de mystère assez troublant, la cinéaste ayant décidé à l'évidence d'en révéler le moins possible.
Ce qui est beau dans ce film, c'est de voir à quel point le génie de Wedekind y transparaît. Wedekind est, à l'évidence, un des artistes dont l'oeuvre suscite moins des interprétations directes que des transpositions et des adaptations. Son oeuvre est en quelque sorte magnifiée par l'élan créateur qu'elle va susciter chez d'autres artistes. Berg, Hadzihalilovic en sont des illustrations parfaites : en s'inspirant de Wedekind, non seulement ils prouvent tout l'intérêt que contient sa dramaturgie propre, mais en plus la stimulation artistique ainsi provoquée donne naissance à de nouvelles oeuvres, dont Wedekind est pour ainsi dire le géniteur. Il faudrait faire un tour d'horizon des adaptations faites à partir d'oeuvres de Wedekind, mais gageons qu'à travers les deux exemples cité ci-dessus, il ne puisse guère y avoir de résultat médiocre.
3 commentaires:
Je t'assure que si, il peut TOUJOURS y avoir des interprétations médiocres de grandes oeuvres :-) Tout ce que l'on peut faire, c'esdt espérer qu'il n'y en ait pas trop, afin de ne pas dénaturer l'image qu'on a de l'oeuvre littéraire. Un exemple simple: l'histoire de Peter Pan est une oeuvre sublime, mais complètement galvaudée par l'imaginaire de Disney qui est venu s'interposer dans l'image que nous nous faisons de l'oeuvre littéraire de Barrie.
Quand tu dis que l'intérêt du film est que le génie de l'écrivain y transparaît, ça me rappelle un de mes professeurs de philosophie qui nous expliquait que l'oeuvre de Saint Thomas d'Aquin était magistrale parce qu'on y retrouvait tout Aristote... Quel intérêt dans ce cas, pourquoi ne pas lire directement Aristote? Pourquoi regarder le film, puisque lire la nouvelle devrait suffire à apprécier l'imaginaire de l'écrivain? Le problème d'une transposition, quelle que soit la fidélité supposée à l'esprit ou au "génie", comme tu dis, de l'oeuvre première, est que de toute façon elle opérera des choix techniques, esthétiques, ou interprétatifs qui de toute façon l'éloigneront de sa lettre.
Je ne pense pas qu'il y ait jamais de coïncidence complète avec l'esprit de l'auteur, mais que certaines interprétations sont plus intéressantes que d'autres. Car souvent, elles ont mieux saisi une part de l'imaginaire qui anime l'oeuvre première. Et il est vrai que certaines oeuvres littéraires se prêtent particulièrement bien à des transpositions musicales, artistiques, cinématographiques, etc. Ce n'est pas le cas de l'oeuvre de Proust, par exemple, mais c'est le cas des contes de fées :-)
En tout cas, ça m'a donné envie de voir le film, les thématiques abordées sont très proches de l'imaginaire qui m'est proche...
J'ai vu ce film au cinéma il y a quelques années. C'était en effet très étrange, onirique et, en même temps, inexplicablement malsain. Je ne me rappelle pas le dénouement, mais y en avait-il seulement un? Les nouvelles de Wedekind sont-elles traduites en français? Cela m'intéresserait d'y jeter un coup d'oeil... J'imagine - mais peut-être à tort - que cela ressemble à du Schnitzler.
Pour lire du Wedekind en français, je pense que le plus simple est d'aller soit sur le site d'Editions Théâtrales : http://www.editionstheatrales.fr/index2.php,
pour accéder aux résumés, soit directement sur Amazon où il y a un très grand choix (sélectionner "livre en français" dans la recherche). Pour les allergiques aux achats sur Amazon, je conseille au moins de noter la référence intéressante et de l'inclure dans une nouvelle recherche pour l'acheter ailleurs.
Quant à Schnitzler, à part l'adaptation qu'en a fait Kubrick dans Eyes Wide Shut, je ne pas connais pas assez son oeuvre pour en parler, mais c'est probable qu'il y ait des traits communs avec Wedekind (notamment en terme de réflexion sur la sexualité, en lien avec la naissance de la psychanalyse freudienne).
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