mardi 15 avril 2008

Storytelling Inc.

La sortie du livre n'est pas récente, mais la récente discussion sur les chaman d'entreprises m'a rappelé l'existence de l'ouvrage Storytelling de Christian Salmon, publié l'année dernière aux éditions La Découverte. Ou comment récupérer l'art du conte dans le management d'entreprise. Comment, transformer des employés en des auditeurs d'une jolie histoire qui permette de justifier toutes les injustices en terme de droit du travail ou de liberté de penser. L'ouvrage est très critique, vous vous en douterez. Christian Salmon n'hésite pas à comparer la vogue américaine pour ces pratiques de coaching et de management, à l'instauration d'un "nouvel ordre narratif".

Le monde de l'entreprise (et de la grande entreprise en particulier) est un monde du silence. C'est un monde absurde, kafkaïen, où la communication fait complètement défaut si elle n'a pas pour but l'entreprise elle-même. La communication en entreprise est trop peu souvent étayée sur quelque chose que trop souvent on tend à oublier: les rapports humains. Et pour apprendre à se comporter en humain avec son voisin, c'est peut-être un peu simple, mais ça aide d'avoir une culture commune. Et c'est justement à ça que servent les humanités (la littérature, les arts, l'histoire): à construire et enrichir les rapports humains.
Le constat est dur pour le monde de l'entreprise: n'arrivant pas à faire émerger naturellement les rapports humains, il se voit contraint, s'il ne veut pas s'écrouler ou s'étioler dans ses propres dissensions internes, de les recréer artificiellement. L'émergence des métiers de chaman d'entreprise, de storyteller ou même de coach pour les cadres montre bien, en ce sens, à quel point le monde de l'entreprise va mal. Les employés se voient tellement aliénés par celui-ci qu'ils ne peuvent plus construire par eux-mêmes une identité culturelle ou même une motivation personnelle. C'est à l'entreprise elle-même de s'en charger. S'ensuit une complète déréalisation du monde, qui passe par une déresponsabilisation des individus: ce ne sont plus les employés qui font l'entreprise, mais l'entreprise qui fait les employés.

Dans ces conditions, je ne vois qu'une seule solution: lutter pour la survie des humanités. Ces humanités que certains veulent faire disparaître, et qui font que oui, je peux parler de la Princesse de Clèves avec la boulangère du coin. Et pas seulement parce qu'un storyteller nous aura réunis tous les deux pour nous raconter l'histoire de la Princesse de Clèves, ceci afin que l'on apprenne à mieux se connaître à travers une histoire, et qu'on puisse ensuite avoir un meilleur rapport vendeur-client.
Non, si je veux pouvoir parler de la Princesse de Clèves avec ma boulangère, ce n'est pas pour avoir un meilleur rapport vendeur-client, mais c'est parce qu'on aura étudié ce roman tous les deux à l'école, qu'on en aura connu deux approches différentes du fait de deux enseignants différents, et parce que l'un l'aura aimé et l'autre non, parce que l'on aura quand même été tous les deux sensibles à tel ou tel aspect de l'oeuvre, ou bien au contraire parce que l'on en aura apprécié des moments différents. Parce que l'on a chacun une histoire différente, mais que l'on possède tous une culture commune: aux quatre coins de la France, où que l'on habite, on a lu Chrétien de Troyes en classe de 5e. Et que cette culture commune n'a pas pour but une quelconque croissance économique, mais a pour fonction de donner les bases indispensables à une vie en paix et en bonne intelligence avec son prochain. Comme dans les contes, mais en vrai.

MàJ:
Du grain à moudre dans la même veine, mais plus politique. A nous de nous réapproprier les histoires, et de ne pas croire dur comme fer à celles qui nous sont laissées en pâture. Ainsi qu'une critique assez forte du livre de Salmon, qui m'a semblé très intéressante. Et en tout cas absolument nécessaire pour se faire une idée sur la question.

2 commentaires:

Nicolas Legrand a dit…

Ça te dit de parler de Paulin de Pella avec moi ?

François a dit…

Je ne saurais parler de ce que je ne connais pas... Mais si tu as besoin d'une tribune, et que je peux contribuer d'une quelconque manière que ce soit à ton intervention, ce sera avec plaisir.