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mercredi 20 novembre 2013

Crane et Greenaway chez MeMo

Je viens de recevoir mes exemplaires de deux rééditions absolument splendides chez MeMo, auxquelles j'ai modestement contribué. Il s'agit de trois contes tirés de toy books de Walter Crane, qui ont été assemblés en un seul ouvrage pour l'occasion, et du Petit Livre des souvenirs de Kate Greenaway, paru à l'origine sous le titre The Little Birthday Book en 1880.



Pour le premier, j'ai adapté les textes d'après Perrault (pour “Cendrillon” et “Le chat botté”) et d'après la version anglaise d'origine (pour “Les trois ours”). La difficulté a été d'arriver à adapter le texte pour qu'il rentre dans les espaces blancs laissés libres par l'illustrateur : c'est un album, et pas un livre illustré, la mise en pages du texte doit donc s'adapter à celle de l'image, et non l'inverse.
Pour le second, MeMo souhaitant reprendre la traduction d'époque (1882), j'ai simplement été amené à en réviser la transcription, ainsi qu'à rédiger une courte postface pour remettre en contexte l'ouvrage.
Je tiens à souligner que rarement j'ai eu affaire à une réédition aussi splendide: la qualité de papier est impeccable, idem pour la qualité d'impression, qui fait honneur aux éditions originales imprimées par Edmund Evans au XIXe siècle. Je me réjouis d'avoir travaillé avec Christine Morault et Yves Mestrallet, qui sont de vrais amateurs de beaux livres et font un excellent travail, qui évite les deux écueils du tape-à-l'œil et de l'expéditif. Que l'on aime ou pas les illustrations, force est de reconnaître que ce sont de beaux livres. Si vous vous posez encore la question de savoir ce que vous pouvez offrir à votre neveu ou votre tante en décembre, allez voir ces livres en librairie.

jeudi 14 novembre 2013

Conte, illustration et humanités numériques

Je viens d'être recruté à la MSH Val de Loire pour un an en qualité d'ingénieur de recherches en humanités numériques, et aussi je m'intéresse beaucoup en ce moment à tout ce que les outils numériques peuvent apporter à la recherche sur le conte ou l'illustration. Je travaille actuellement à une édition numérique de livres illustrés qui exploite au mieux le caractère multimédia et la souplesse de structuration formelle du support numérique, pour faire ce que le papier n'arrive que difficilement à faire, en l'espèce une édition critique d'album pour enfants qui comporte également un appareil critique pour l'image, à la manière d'une exposition virtuelle. J'espère avoir l'occasion d'en reparler ici.

Walter Crane, illustration pour Little Red Riding Hood, xylographie.

Mais je vois également d'autres utilisations possibles du support numérique, par exemple, tel que cela a été développé par l'anthropologue Jamshid Tehrani (je remercie Catherine Velay-Vallantin pour m'avoir fait connaître cet article), une base de données permettant de cartographier la diffusion géographico-historique d'un conte-type donné (ou plus exactement ici de deux contes-types jugés proches), à travers le renseignement de toutes ses variantes. Cela pose des problèmes méthodologiques intéressants, notamment le fait d'accepter que le conte-type soit une catégorie pertinente, ce qui suppose d'accorder une réalité à “la tradition orale” et une certaine utilité aux travaux d'Aarne-Thompson, ce qui ne fait pas consensus, au moins en France, parmi les chercheurs sur le conte. (Et si l'on veut connaître mon avis sur la question, oui la catégorie de conte-type est utile, de même que la typologie d'Aarne-Thompson, du moment qu'elle ne soit pas mal utilisée, et donc que les contes-types ne soient pas réifiés et érigés en modèles esthétiques à l'aune desquels on viendrait juger de la perfection de ses variantes.)

J'apprends dans l'article mis en lien ci-dessus que les algorithmes utilisés pour sa démonstration sont issus de technologies développées par des biologistes pour des analyses phylogénétiques, et qui ont déjà par ailleurs été utilisées par des philologues pour analyser l'évolution des textes bibliques, ou celle de l'intertextualité des contes de Canterbury. Ce qui appelle deux remarques. La apremière est qu'il est frappant de voir que ce sont les mêmes modèles méthodologiques qui ont été utilisés en biologie et en folkloristique pour arriver à retracer l'évolution, d'un côté du vivant, de l'autre de la tradition orale. Ce qui amène à considérer que l'intuition des Grimm selon laquelle les contes sont des organismes vivants n'est peut-être pas si idéologique que ça, ou du moins qu'il y a dans cette intuition un fond de vérité qu'il est difficile de refouler comme la simple marque d'une esthétique romantique complètement dépassée. Certes, les contes de tradition orale ne sont sans doute pas vivants au même titre que peuvent l'être des algues, des fourmis, des oiseaux ou des fougères. Mais du moins il faut considérer sérieusement l'analogie entre art et vie, comme a pu le faire notamment le philosophe Alain Séguy-Duclot à travers plusieurs de ses ouvrages, notamment Définir l'art et Penser la vie. Les deux relèveraient d'une dissémination et d'une évolution par types, ce qui est abordé plus avant dans Culture et Civilisation, et qui rendrait d'autant plue pertinente la notion de “conte-type”. Mais cette question demanderait évidemment des développements plus importants.
Deuxième chose, les mêmes modèles méthodologiques ont été utilisés pour retracer l'histoire de textes, ce qui tend à montrer 1/ que les approches folkloristiques et philologiques ne sont a priori pas incompatibles, 2/ qu'il y aurait une voie, peut-être, à suivre, qui combine histoire philologique des contes et histoire anthropologique. Cette voie est à construire, je ne le ferai pas tout seul, d'autant plus que tout ça n'est pas ma spécialité (je reste un historien de l'art et du livre illustré), mais peut-être pourrait-on y voir une voie de réconciliation entre approches littéraire et anthropologique du conte. Tout en gardant toutefois bien en tête que la poétique du conte de tradition orale diffère en profondeur des logiques mises en œuvre par la culture lettrée pour en rendre compte, et que pister des contes ne se fait donc pas de la même manière que pister des textes, ou du moins que cela ne veut pas forcément dire la même chose : l'un est un genre littéraire, l'autre une manifestation écrite de ce genre.

(Plus de renseignements sur Jamshid Tehrani.)

mardi 12 novembre 2013

Grimm et l'Angleterre : nouveau livre

Un bref billet simplement pour signaler la parution de mon nouveau livre, Le Conte et l'Image, publié aux Presses universitaires François Rabelais, dans la collection Iconotextes. Cet ouvrage est issu de mon travail de doctorat sur l'illustration anglaise des contes de Grimm au XIXe siècle.

Plus de renseignements (sommaire, prix, etc.) sur le site des PUFR. Et surtout ne l'achetez pas sur Amazon (même s'il s'y trouve): privilégiez votre librairie de quartier. Ou la Fnac si vraiment vous n'avez aucune librairie de proximité à proximité, mais pas Amazon.

lundi 25 février 2013

Surplace dans un jardin : mea culpa sur un détail d'érudition historique

En janvier 2012, j'ai publié un article au sujet de l'interprétation par Arthur Rackham de Peter Pan in Kensington Gardens de J. M. Barrie, dans la revue en ligne Belphégor. J'y disais dans la note de bas de page n° 5 que « rien ne semble montrer que celui-ci [Barrie] ait vu les aquarelles de Rackham pour Rip Van Winkle, contrairement à ce que moi ou Céline-Albin Faivre (« Le péan de Pan », in James Matthew Barrie, Peter Pan dans les Jardins de Kensington, trad. Céline-Albin Faivre, Rennes, Terre de Brume, 2010, p. 10) avons pu noter sur le sujet, ni a fortiori que ce soit lui qui ait eu l’initiative de cette collaboration. »



The Fairies have their tiffs with the birds,
illustration de Rackham pour Peter Pan in Kensington Gardens de Barrie, 1906.

Mme Faivre, qui avait par ailleurs contribué à ce numéro de revue entièrement consacré à Peter Pan, m'avait alors écrit pour me reprendre en me disant qu'il y avait bien des traces historiques de la présence de J. M. Barrie à l'exposition de Rackham consacrée à ses illustrations pour Rip van Winkle au printemps 1905. Il s'en est suivi une petite polémique aussi vive que stérile, comme souvent entre gens qui ne se connaissent que par contact épistolaire – qui plus est numérique, moyen de communication dont la rapidité ne permet pas aux esprits échauffés de se refroidir par la lenteur qu'impose le papier.
Toujours est-il qu'après avoir récemment fait l'acquisition de la monographie de Derek Hudson sur Rackham, qui me faisait défaut et que j'hésitais encore à acheter à cause de son caractère onéreux (et qui est par ailleurs introuvable en bibliothèque excepté à la BNF ou à Sainte-Geneviève), j'ai enfin retrouvé l'élément dont j'avais moi-même pris connaissance il y a des années de cela, et qui m'avait dans un premier temps fait dire que Barrie avait été à l'origine du projet (dans un précédent article paru dans la revue de la BNF, « Arthur Rackham dans les jardins de Kensington », la Revue des livres pour enfants, n° 247, juin 2009, p. 105-114), et qui en effet, comme l'avait également relevé Mme Faivre, pouvait accréditer cette idée d'une origine barrienne du projet. Il s'agit comme Mme Faivre l'indique d'une lettre de l'écrivain Edward Verrall Lucas à Rackham, citée p. 58 de l'ouvrage de Derek Hudson, que je reproduis ici:

2 Gordon Place, Campden Hill, W.
March 29, 1905

Dear M. Rackham,

I have at last been able to get to your exhibition; which I enjoyed immensely. Hiteherto one has had to go to the Continent for so much mingled grace & grotesque as you have given us. The drawings seem to me extraordinary successful & charming. The only thing I quarrel with is the prevalence of "sold" tickets – one on every picture that I liked best. Barrie tells me he has the same grievance. I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein. Believe me yours sincerely.

E. V. Lucas 

Mea culpa, donc. Je retire ce que j'ai dit, et reviens à ce que j'avais moi-même écrit auparavant en 2009. Et pourtant pas complètement… Après un aller (l'article de 2009), un retour (l'article de 2012), et un nouvel aller (le présent billet), j'ai un peu l'impression de faire du surplace, mais cela a au moins eu le mérite de me faire lire avec un peu plus d'attention cette missive de Lucas à Rackham. La lettre de Lucas corrobore tout à fait le fait que Barrie se soit rendu à l'expo de Rackham, cela est un point acquis, et mon mea culpa ici est entier: j'y reconnais mes torts entièrement. Mais l'origine barrienne du projet reste en revanche encore à démontrer: le fait que Barrie ait apprécié au printemps 1905 l'exposition des aquarelles pour Rip van Winkle, et que Lucas parle dans la même lettre d'une prochaine illustration de Peter Pan par Rackham ne font pas nécessairement de l'auteur de Peter Pan l'instigateur du projet. Derek Hudson dit même exactement l'inverse trois pages plus loin (p. 61-62) : « The initiative in commissionning these [Peter Pan] drawings came from Messrs Ernest Brown and Phillips of the Leicester Galleries, who arranged a meeting between Rackham and barrie for a preliminary discussion in June 1905. » Cette entrevue de juin 1905 prend pourtant place trois mois après la lettre de Lucas à Rackham mentionnant l'idée d'illustrer Peter Pan.
D'où vient donc alors cette idée? « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein » renvoie à une parole entendue par Lucas, peut-être prononcée par Barrie dont il vient de parler, mais peut-être aussi par ses éditeurs, Hodder & Stoughton, qui en voyant l'exposition de Rackham en auraient parlé à Barrie, le même Barrie visitant l'exposition à un moment où beaucoup d’œuvres sont déjà vendues, soit donc relativement tard après le début de la manifestation artistique. Ce dernier enchaînement des faits n'est toutefois bien sûr qu'une hypothèse, et il est difficile d'arriver à reconstituer exactement le cours des événements de ce printemps 1905 sans autres éléments à ajouter au dossier. On insistera néanmoins sur une chose, à savoir le fait que Lucas parle en mars 1905 du projet comme s'il émanait de l'artiste, non de l'écrivain : « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan… » S'agirait-il d'une allusion à une réponse positive de l'artiste à une demande émanant de l'auteur ou de son éditeur? Rien ne l'indique dans les pièces que j'ai pour l'instant à ma disposition, mais je serais ravi d'en découvrir d'autres pour éclaircir les choses.

On me permettra en attendant de continuer à douter du fait que Barrie soit à l'origine du projet. Ce qui ne veut pas dire que je juge que cette origine barrienne soit fausse, ni vraie d'ailleurs, je la juge simplement douteuse. Plus probable qu'avant, certes, du fait avéré de la prise de connaissance par Barrie de l'art de Rackham dès mars 1905. Mais l'opération artistique étant dans la publication de Peter Pan in Kensington Gardens au moins aussi importante que l'opération littéraire, on nous permettra de continuer de pencher pour la théorie d'une idée émergeant dans la galerie Leicester plutôt que dans les locaux de Hodder & Stoughton. J'espère au final que l'on me pardonnera mon inconséquence de la note de bas de pages n° 5 en se rappelant que cette dernière n'était que marginale par rapport à mon propos, et que son contenu ne remettait pas en cause le fond de mon article.


mercredi 23 janvier 2013

Les contes de Grimm et leur réception

Je signale un beau cycle de conférences à Bordeaux sur le conte dans la littérature jeunesse, organisé par Christiane Connan-Pintado, et auquel j'ai participé en décembre dernier, on s'en doutera, à propos des contes de Grimm.
Le programme ici.
Walter Crane, pleine page pour Rapunzel, dans Household Stories, Macmillan, 1882.

L'IUFM d'Aquitaine a eu la bonne idée de filmer ces conférences, qui sont donc retransmises au fur et à mesure sur Internet. On a ici la série de conférences filmées, celles des cycles de conférences des années précédentes et celles de l'année en cours, sur le thème du conte. Dont la mienne, qui dure deux heures, et est émaillée d'imprécisions, je m'en excuse : qui veut trop embrasser mal étreint.

jeudi 5 janvier 2012

Peter Pan, anatomie d'un mythe

Dans la série des centenaires internationaux, celui de la première publication du roman Peter and Wendy de Jales Matthew Barrie, en 1911, aura fait bien peu de bruit... Le manque est réparé depuis peu, avec un peu de retard, par la revue en ligne Belphégor, qui vient de publier dans son nouveau numéro un dossier sur Peter Pan. Votre blogueur préféré y tient un modeste article (encore et toujours) sur Arthur Rackham et son interprétation du texte de Barrie.

Illustration d'Arthur Rackham pour Peter Pan in Kensington Gardens, 1906.

L'introduction de Franck Thibault, qui est d'une clarté exemplaire, vous parlera du dossier mieux que je ne saurais le faire. Tout au plus peut-on repréciser que celui-ci est consacré aux différentes réécritures et métamorphoses du personnage inventé par James Matthew Barrie, à la fois dans l’œuvre de son créateur et dans la postérité. Il manquera sans doute des choses dans ce dossier - et notamment une analyse poussée de l'interprétation du roman par Walt Disney -, mais il y a suffisamment de choses pour réjouir les amateurs de Barrie, comme du mythe qu'il a créé. Anatomies d'un personnage, d'un ensemble de textes et d'images, en somme d'un mythe qui a dépassé le strict état littéraire.

lundi 31 octobre 2011

Alice et les fantômes

Deux expositions à aller voir ab-so-lu-ment. Et pour une fois c’est en province.

Alice Liddell, qui a inspiré Lewis Carroll pour la création de son célèbre roman.
Archives Charmet Bridgeman Giraudon.

Tout d’abord “Images d’Alice, au pays des merveilles”, à la médiathèque de Rennes, qui est avant tout une exposition de livres illustrés qui explore la fortune iconographique de cette œuvre formidable qu’est Alice’s Adventures in Wonderland de Lewis Carroll. Je ne désespère pas de pouvoir m’y rendre: elle ne ferme qu’en mars de l’année prochaine. Et c’est un sujet tout à fait inédit d’exposition, le genre de choses qu’aurait pu faire Orsay si... j’allais dire “si les conservateurs de grands musées parisiens avaient de l’imagination”, mais c’est probablement à la fois faux et surtout gratuitement méchant: le fait est en tout cas que beaucoup d’expositions réellement originales (plutôt que d’énièmes rétrospectives sur Manet ou Mondrian) se font en province, et ne bénéficient pas pour autant de la même couverture médiatique. Ceci dit, moins de moi l’idée de vouloir attaquer les grandes expositions fondamentales sur les grands artistes ou les grands courants, mais simplement de souligner l’originalité d’une telle exposition, qui aurait de la peine à s’inscrire dans la ligne de grandes institutions parisiennes... et qui pourtant ramènerait énormément de monde, à Paris y compris je pense.

Goya, La Conjuration (Les Sorcières), 1797-1798
Huile sur toile - 43 x 30 cm
Madrid, Fundación Lázaro Galdiano
Photo : Fundación Lázaro Galdiano

L'autre expo à aller voir cet automne, donc, est, à Strasbourg, “L’Europe des esprits, ou la fascination de l'occulte, 1750-1950”, qui poursuit la voie ouverte par l’expo “Traces du Sacré” à Pompidou en 2008, dans une veine moins centrée sur les beaux-arts, plus axée sur une histoire culturelle prise au sens large. Une histoire de la fascination qu’ont connu les arts et la littérature pour le monde des fantômes et des esprits nocturnes, de Fuseli à Brauner en passant par Novalis, Breton ou Conan Doyle, donc, mais aussi des tables tournantes, et également de toutes les pseudo-sciences qui ont pu graviter autour des rêveries occultistes. De quoi aiguiser l’appétit pour tous les amateurs d’ombre! Je ne pourrai pas me rendre à Strasbourg, mais si quelqu’un y va et se sent l’humeur (et le temps) de rédiger un petit compte-rendu critique, ce blog lui est ouvert (sous réserves, bien sûr, d’acceptation du contenu par son principal auteur/éditeur). Le risque de ce genre d’expositions étant de noyer le visiteur sous un flot d’objets divers sans lien entre eux, comme ç’avait par exemple été en partie le cas pour l’exposition “Mélancolie” dirigée par Jean Clair il y a quelques années, il est à attendre une hauteur de vue qui permette véritablement de faire le tour du sujet sur deux siècles autrement que de manière superficielle.
Autant dire, ici, un véritable défi, vu l’ampleur tant chronologique que thématique. Mais si celui-ci est relevé avec succès, autant dire qu’il s’agira ici d’une exposition très importante, et encore une fois très originale: si le rapport entre beaux-arts et occultisme a déjà été en partie traité entre autres, récemment, à l’occasion de “Traces du Sacré” déjà mentionné, une bonne histoire de l’occultisme et de ses rapports à la fois avec la science et les arts (c'est-à-dire en tant que phénomène culturel global) reste à faire. Tout le monde (les heureux élus se reconnaîtront) connaît le Sâr Péladan, mais peu connaissent Éliphas Lévi ou Stanislas de Guaita, et leur lien, s’il existe, avec la pensée, la science et les arts de leur époque reste à établir.
Mais il est impossible d’être exhaustif, et La Tribune de l’art estime que ce ne sont pas les manques qu’il faudrait souligner dans cette expo, mais au contraire, davantage, un fourre-tout parfois un peu obscur. On ne doute pas néanmoins que les initiés sauront s’y reconnaître. En attendant, le catalogue est très beau et semble très pointu... mais n’est pas un vrai catalogue dans la mesure où il ne répertorie ni n’explique les œuvres exposées, et donc ne dispense pas d’aller voir ces dernières. C’est jusqu’en février 2012.

lundi 10 octobre 2011

L'illustration des contes de Grimm au 19e siècle


Samedi prochain, au séminaire de l’AFRELOCE, je présenterai quelques résultats de mon sujet de thèse. Ça se déroule à l’ENS Ulm, à partir de 10h00.
Plus d’informations sur Le Magasin des Enfants.

On parlera notamment de l’influence de l’illustration sur le statut littéraire des contes: non seulement ce dernier est modifié du fait même que les textes soient illustrés, mais la nature même des images (leur style, leur parti pris iconographique, etc.) influe sur leur réception, et partant sur le genre littéraire qui leur est reconnu.

vendredi 4 février 2011

Des revenants au Louvre

Daniel Rabel, Première entrée des fantômes, quatre figures, 1632, cliché RMN.

Du 13 janvier au 28 mars a lieu une drôle de programmation culturelle au musée du Louvre. Non ce n'est pas une suite de conférences d'histoire de l'art ou de théorie muséographique, mais bien un cycle de conférences et de projections de films autour des revenants, et de la figure du retour des morts. Accompagnant une exposition du département des arts graphiques sur le même sujet (qui elle-même accompagne en partie l'expo block-buster “L'Antiquité rêvée”, dont j'espère pouvoir reparler), qui dure du 13 janvier au 14 mars, et qui a l'air absolument passionnante.
Que l'on ne s'attende pas à du film de zombi* bien gras, bien sûr, Louvre oblige, mais bien à un Dreyer, un Fritz Lang, des films de Kiyoshi Kurosawa, le Dead Man de Jarmusch (qui est désormais, depuis l'expo Blake du Petit Palais, admis au musée), Aux frontières de l'aube de Bingelow à la rigueur, etc. Je note personnellement surtout une reconstitution des fantasmagories de Robertson, sorte de spectacle à la lanterne magique de la fin du 18e siècle, qui fait partie des ancêtres du cinéma.

Côté conférences, il y a également de quoi faire: je retiens notamment celle de Jean Wirth sur le macabre médiéval, le 21 février, et celle de Clément Chéroux sur la photographie spirite, le 28 février. Sinon, Didi-Huberman, Olivier Schefer, Philippe-Alain Michaud... du beau monde.

Girodet, Le Songe d'Enée, lavis brun et gris, rehauts de blanc sur traits de crayon, Paris, musée du Louvre, cliché RMN.


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*On a quand même droit au Jour des morts-vivants de Romero, pas aussi incontournable que La Nuit, du même, mais bon... pour une fois qu'il y a des zombis au Louvre!

mardi 30 novembre 2010

Visage Vert, 17e du nom

Je suis très en retard par rapport au moment où j'ai reçu mon exemplaire, aussi j'espère qu'Anne-Sylvie Salzmann me pardonnera: j'étais pris par d'autres lectures... Voilà mon compte-rendu du 17e numéro du Visage vert. Ou plutôt devrais-je dire mon appréciation personnelle d'une partie seulement du numéro: je n'ai pas tout lu, et mon avis sur ce que j'ai lu n'engage évidemment que moi. Je ne prétends donc pas donner des leçons, simplement donner mon humble impression personnelle: les auteurs et éditeurs prendront dans mon compte-rendu ce qu'ils jugent pertinent, et rejetteront le reste.

Par où commencer? Mettons par le début, soit Romain Verger, dont j'ai vraiment apprécié l'imaginaire étrange et sylvestre, quoique certaines coquetteries de style, parfois un peu lourdes (ainsi du pléonasme “fresque pariétale”) m'engageraient à l'inviter à raffiner son style dans le sens de l'austérité. Je pense sincèrement que la prose de Romain Verger gagnerait à délaisser Huysmans et les autres fin-de-siècle, et à relire Nerval et Hoffmann. Toujours est-il que l'auteur, notamment dans “Sylvia” et “Aux champignons” (“Vlad” m'a semblé plus convenu, et pour tout dire peu intéressant) sait distiller une atmosphère d'étrangeté qui confine parfois au cauchemardesque, et que cette capacité à donner une ambiance à un récit (qui par ailleurs est minimaliste) n'est pas donné à tout le monde. Une plume prometteuse.
La nouvelle de Judith Gautier est assez intéressante, et même si elle ne me semble pas constituer la trouvaille du siècle, elle manie des thématiques qui, pour être devenues des clichés (la fleur mortelle exotique, l'histoire d'amour italienne...) sont néanmoins inscrites dans une narration tout à fait bien menée. “La Fleur-Serpent” se lit et délasse bien, on ne lui en demandera pas beaucoup plus. Du point de vue de l'histoire littéraire, elle ménage un pont intéressant entre le romantisme de Gautier et l'écriture fin de siècle de Vernon Lee, Jean Lorrain, etc.
J'ai énormément apprécié le récit de Rhys Hughes, “La déconfiture d'Hypnos”, qui est à la fois brillamment écrit (et probablement brillamment traduit) et assez inattendu dans sa forme narrative comme dans son ton humoristique. Le titre français est excellent, véritable trouvaille de traducteur. Ce récit de Rhys Hughes me rappelle un peu les Fictions de Borges: je crois que c'est l'impression que l'auteur est parti d'une idée métaphysique un peu bizarre avant de la transformer en récit, et n'est pas parti d'une situation, d'une impression ou d'un personnage. Très drôle en tout cas, et pour le coup c'est (pour moi) une vraie découverte: j'engage le Visage vert, s'il s'en sent les épaules, à traduire davantage de nouvelles de cet auteur gallois dans le cadre de sa maison d'édition fraîchement née.
J'ai du mal, en revanche, à comprendre l'enthousiasme de la revue pour la prose de Cristian Vila Riquelme, dont les récits, certes assez étranges, m'ont vraiment paru poussifs. C'est sans doute aussi l'effet de la traduction, qui en bien des endroits m'a semblé très maladroite, et a laissé des coquilles qui gênent vraiment la lecture (oubli de la ponctuation...). Toutefois, dans “Retour”, l'artifice, autrement appréciable, de l'adresse du narrateur à un “consul” auquel il rendrait un rapport ou écrirait une lettre paraît particulièrement impertinent à la fin du récit quand le dit narrateur disparaît dans l'autre monde... le rendant ainsi incapable de rédiger le dit rapport ou la dite lettre. L'ensemble me fait vraiment penser à un prosateur qui veut faire de la poésie “sans le savoir”, ou plutôt sans le dire, et qui n'y parvient donc guère.
Le conte de Jessica Almonda Salmonson est très bien, mais je me suis vraiment demandé ce que sa version apportait par rapport aux versions folkloriques dont elle s'est inspirée. C'est sans doute mon côté anthropologue qui ressort (d'où sort-il d'ailleurs, vu que je ne suis pas anthropologue du tout?), mais j'ai en général tendance à privilégier les contes populaires aux réécritures, sauf bien évidemment quand celles-ci apportent quelque chose de nouveau (ce qui ne me semble pas être le cas de “La femme qui avait épousé un phoque”). Mais pourquoi pas: en tout cas, c'est une très jolie histoire.

Dans le dossier “Présences cachées” j'ai particulièrement apprécié la nouvelle de John Buchan, les deux autres m'ayant laissé relativement indifférent. “Skule Skerry” est un récit vraiment très bien écrit (et traduit), très fluide, très agréable à lire: on se trouve véritablement face au “beau style” qui fait l'attrait majeur de la littérature anglaise, fût-elle “de genre”, de cette période. Rien de transcendant, encore une fois, mais une belle histoire qui raconte l'entrevue (ou non ?) d'un ornithologue anglais avec un selkie dans les Orcades peut difficilement laisser indifférent un amateur d'histoires où l'autre monde se laisse entrevoir à l'homme aventureux. Par contraste, la nouvelle d'Edward Fredric Benson me semble assez convenue, et pour tout dire relativement poussive: cette entrevue, sur fond d'hôtel suisse mal décrit, avec une espèce inconnue d'hominidés me rappelle “le Horla”, à savoir une sorte de fantastique dépourvue de magie que je ne goûte guère. Quant à Paul Busson, je ne l'ai lu qu'en diagonale, n'appréciant qu'à petites doses l'artifice, ici mis en scène de manière particulièrement lourde, du récit enchâssé.
L'article critique de Michel Meurger est, comme à l'habitude de l'auteur, d'une prodigieuse érudition qui force l'adhésion. Toutefois, on pourra sans doute lui reprocher un goût un peu trop prononcé pour les affèteries stylistiques, goût qui rend parfois un peu difficile d'accès son discours ; ainsi on relèvera “une culture rustique saturée de démonie” pour parler des superstitions populaires ayant trait aux démons et diables, ou bien “le sieur Sänfftle” au lieu d'un sobre et pourtant compréhensible “Sänfftle”, etc. Certaines mises en perspective me semblent par ailleurs maladroites: “Bon sismologue, [Paul Busson] a su capter les vibrations d'un réveil dionysiaque paysan” ; j'ignorais qu'il y eût, à la fin du 19e siècle, un renouveau des croyances païennes en Europe dans le monde paysan, croyant naïvement qu'il s'agissait d'un tropisme qui avait uniquement agité le monde lettré, savant, majoritairement urbain (Machen, Giono, Yeats, Crowley... mais aussi Barrie ou Grahame). Il faudra que Michel Meurger nous le montre, ou alors qu'il révise son jugement ou sa manière d'écrire.

Un dernier mot sur la présentation graphique de la revue, qui d'après ce que j'ai compris devrait encore évoluer dans les prochains numéros depuis que le Visage vert a quitté le gîte de la maison Zulma. La maquette est vraiment très belle et très originale, mais en effet le cadre rend sans doute difficile la mise en pages, et les notes de bas de page au milieu du texte sont assez dommageables. L'illustration, en revanche, est de très grande qualité, et on ne saura jamais assez remercier les petites maisons comme le Visage vert de prendre soin de la qualité visuelle de leurs publications, qui se fait certes à la mesure de leur budget, mais avec goût et ténacité. Merci à vous, et bon vent vers l'autre monde (et retour !).




vendredi 29 octobre 2010

Svankmajer

Jan Svankmajer

Hier soir aux Studios, à Tours, nous avons eu la chance d'assister à une projection des Conspirateurs du plaisir (1996) de Svankmajer, réalisateur tchèque surtout connu pour ses films d'animation, en sa présence. Non seulement le film était passionnant - je ne dirais pas “déroutant” parce qu'en fréquentant Lynch ou Gilliam les idées surréalistes, l'imaginaire sexuel ou la narration métaleptique sont devenus familiers au spectateur “exigeant” -, mais Svankmajer s'est également montré très aimable dans ses réponses aux questions, nombreuses et intéressantes, du public.


Alice de Jan Svankmajer (1988)

Ce qui déroute le plus, c'est de se rendre compte que des cinéastes de l'ampleur de Svankmajer ne sont pas mieux connus en France, qui se targue pourtant d'être l'un des hauts-lieux du 7e art. Une rétrospective complète de son œuvre (la première en France), animée par le sympathique et savant Pascal Vimenet, a néanmoins lieu en ce moment au Forum des images, à Paris. Ce soir, vous pourrez voir son adaptation d'Alice, qui est à mille lieues du médiocre long-métrage de Tim Burton dont on nous a bassiné les oreilles lors de sa sortie. Allez voir l'Alice de Svankmajer, vous comprendrez ce que c'est qu'une adaptation personnelle et réellement troublante du chef-d'œuvre de Lewis Carroll.

dimanche 26 septembre 2010

Le bois et le jardin

Thoreau

Les nouvelles traductions sont à la mode... Autant je doute de la pertinence de celles du genre des Confessions de saint Augustin, dont le titre avait de manière polémique été transformé en les Aveux en 2008, autant Walden, de Thoreau, souffrait dans la précédente traduction de G. Landré-Augier d'avoir été retranscrite dans un français très lourd, voire poussif (j'ignore ce qu'il en est de la trad. de Fabulet chez Gallimard), et nécessitait sans doute une retraduction. Même si l'original est très digressif et parfois assez long, le style de Thoreau est loin d'être chargé, et je pense que la nouvelle traduction de Brice Matthieussent, parue ce mois-ci chez Le Mot et le Reste, sera très bonne. Je dis "je pense" parce que je n'ai pas encore eu le temps d'aller la voir, mais vu l'expérience du traducteur, qui s'est déjà confronté à la plupart des grands noms de la littérature américaine, je pense que l'on peut y aller les yeux fermés.

Arthur Rackham pour James Matthew Barrie, Peter Pan in Kensington Gardens, 1906
(pour célébrer la venue de l'automne)


En revanche, n'allez pas acheter les yeux fermés la nouvelle traduction par Céline-Albin Faivre de Peter Pan in Kensington Gardens de James Matthew Barrie, illustré par Rackham, parue il y a quelques jours. Autant il faut remercier les éditions Terre de Brume pour avoir accepté de rééditer un tel chef-d'oeuvre de la littérature enfantine avec l'intégralité des illustrations de Rackham, ce qui ne s'était pas fait en France depuis... 1907, autant on peut reprocher à cette nouvelle traduction d'être émaillée de lourdeurs, et surtout de contresens, comme ce "little persons" de la première ou deuxième page, je ne sais plus, qui est traduit par "petit peuple", faisant ainsi allusion aux fées alors qu'il n'est ici question, dans le texte de Barrie, que d'enfants (dans ce passage tout du moins, les fées apparaissant ultérieurement*)... Pour le reste, les illustrations couleur de Rackham sont superbement reproduites - j'ai plus de réserve pour les illustrations noir et blanc reproduites à l'encre violette, ce qui est très laid**. Et bien sûr le texte de Barrie est à lire (en anglais de préférence).

Dans la veine du romantisme écologique, il convient également de signaler la sortie, aux éditions Finitude, de la Vie dans les bois de Charles Lane, un livre auquel Thoreau a visiblement beaucoup pensé quand il a écrit Walden. C'est visiblement la première traduction française de ce court essai. L'automne se passera donc dans les bois ou les jardins, selon les goûts...

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* Au passage : l'expression consacrée en anglais pour le "petit peuple", c'est-à-dire les fées, est "little people", pas "little persons"...
** Décidément j'aime énormément la ligne éditoriale de Terre de brume, mais pas leurs maquettes (ni leur site en flash, d'ailleurs)...

dimanche 11 juillet 2010

Retour des Orientales 2 - La Perse

Après l'Inde, la Perse était à l'honneur de la dernière demi-journée du festival des Orientales, à Saint-Florent-le-Vieil.

Biographie de Rûmî par Leili Anvar

Deux spectacles avaient été prévus en écho l'un à l'autre, il s'agissait en début d'après-midi de la conférence de Leili Anvar et du concert, très attendu, de Shahram Nazeri, à 18h00. L'un comme l'autre ont été des moments inoubliables, même si la qualité du premier a été très surprenante: je m'attendais à une simple conférence très didactique sur le thème de la poésie d'amour iranienne, et j'ai eu l'une des interventions les plus émouvantes qu'il m'ait été donné d'entendre durant ma courte vie.
Je pèse mes mots: j'ai pourtant eu plus que souvent l'occasion d'entendre des conférences scientifiques, mais celle-ci, soit qu'elle était accompagnée d'une improvisation par l'un des musiciens de Nazeri, soit que Leili Anvar, maitre de conférences à l'Inalco, avait elle-même mis tout son cœur dans la lecture - en langues française et persane - d'extraits de poésie amoureuse de Rûmî, d'Attar, et d'autres poètes (et poétesses) iraniens du XIIe au XVe siècle, cette conférence, donc, m'a laissé complètement transi, coi, pantois. Je crois n'avoir pas été le seul à avoir ainsi compris le sens du mot “transporté”: la poésie d'amour, charnel ou mystique, a je crois cet après-midi bien rempli son rôle extatique.


Shahram Nazeri

Le concert de Shahram Nazeri, de son côté, a été absolument envoûtant, et qui ne connaît pas le Ravi Shankar du chant perse, la star de la musique traditionnelle iranienne, n'a plus qu'à aller la découvrir pour être convaincu. Ce que j'ai entre autres apprécié ce soir là, c'est l'humilité de ce grand artiste: la programmation ne le mettait pas en avant, et laissait toute sa place aux musiciens qui l'accompagnaient, et qui ont ainsi pu faire montre de leur virtuosité et de leur sensibilité propres. Le grand chanteur nous a chanté à l'occasion de son passage en France un extrait du Livre des rois du poète Firdousi, qui, comme nous l'a rappelé Leili Anvar en début de concert, a été composé il y a tout juste mille ans, en l'an 1010. L'extrait choisi m'a laissé pensif, il s'agissait de l'histoire, résumée par Leili Anvar en début de concert lors de sa présentation, d'un roi tyrannique et surtout usurpateur, qui s'est trouvé défait par le prétendant légitime du trône, lui-même aidé par un forgeron puissant, symbole du peuple. Allusion au régime iranien actuel? Probablement: c'est par le mythe que la musique répondrait de manière détournée à l'histoire. Toujours est-il que mythe et réalité se sont ce soir-là trouvés joints dans le chant d'un aède venu d'Orient.



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Une note funeste néanmoins pour cette édition du festival, sans doute: alors même que des artistes perses comme Shahram Nazeri étaient, dans le document de présentation du festival, présentés comme très libres dans leur rapport à la religion musulmane (“L'âme perse a toujours préféré s'immerger dans cet océan de la transe et de la connaissance symbolique plutôt que de se laisser porter par le fleuve calme de la légalité religieuse”), on s'interrogera sur la tribune laissée dans le même festival à Tariq Ramadan, pourtant connu pour son double discours et son accointance avec les franges les plus radicales de l'islam.
Et surtout, quoi que l'on pense du personnage, que vient faire une conférence sur “l'islam aujourd'hui" dans un festival de musique, fût-elle orientale? A part une lubie incompréhensible d'Alain Weber, le directeur artistique qui est pourtant d'habitude de jugement plus sûr, je ne vois pas d'autre explication à ce "point noir" qu'une intrusion du politique dans la programmation. Hervé de Charette, député Nouveau Centre et maire de Saint-Florent-le-Vieil, mais aussi président de l'Institut français de finance islamique, y aurait-il été de son grain de sel? Dans tous les cas, il y a des moments où devrait seul régner le symbolique, et où le politique devrait avoir la sagesse de s'éclipser.

mardi 6 juillet 2010

Retour des Orientales 1 - L'Inde

Le weekend dernier, Cha et moi étions sur un petit nuage. La dernière édition du festival des Orientales à Saint-Florent-le-Vieil, la patrie de Julien Gracq, nous a permis de découvrir bien des artistes talentueux, et de nous envoler un peu vers d'autres horizons.

Arrivés tard le samedi soir, nous avons pu assister à la “nuit indienne” intitulée Rising Stars, nuit consacrée à la découverte de jeunes artistes prometteurs de musique classique indienne.

Rama Vaidyanathan (origine site de la danseuse)

La soirée commençait, à 23h00, par un spectacle de danse de Rama Vaidyanathan, accompagnée de son ensemble. Jeune artiste talentueuse, Rama Vaidyanathan s'est donnée corps et âme à une ancienne danse rituelle, la danse bharata natyam, qui consiste à danser les vieilles légendes mythologiques hindoues. Il s'ensuit une danse extrêmement évocatrice, à la limite du mime parfois, qui raconte de manière virtuose et évocatrice les aventures de Krishna , Shiva et des autres divinités du panthéon indien. Il faut souligner que Rama Vaidyanathan a eu le souci de faire partager le maximum de son art avec le public, dans la mesure où elle racontait les mythes en les mimant avant d'entamer chacune de ses danses, accompagnées par un flûtiste, un joueur de tabla et une chanteuse. Le spectacle était splendide, et c'était probablement la partie de la nuit indienne que j'ai préféré, très probablement en partie du fait que mon attention fatiguée a baissé pendant les deux autres spectacles.
La seconde partie de la nuit était consacrée à un concert de trois musiciens virtuoses d'Inde du nord, Debapriya Adhykary (chant khyal), Samanwaya Sarkar (sitar) et Madhurjya Barthakur (tabla, jugalbandi), qui dans la plus pure tradition hindustani ont improvisé sur un raga. Néanmoins, contrairement à l'habitude qui consiste à mettre en valeur un seul musicien en l'accompagnant de manière relativement discrète, le chanteur et le cithariste se sont ici partagé la vedette en dialoguant mélodiquement tout au long du concert, accompagnés par le joueur de tabla qui a également montré de quel bois il était fait vers la fin de la représentation. Trois musiciens virtuoses, pour un concert nettement plus contemplatif, mais tout aussi fascinant que le premier.
Le troisième concert, qui a commencé vers 1h30 du matin environ, s'est déroulé devant une assemblée plus éparse. Pourtant, il est très rare d'avoir l'occasion d'entendre un concert de shehnaï, le hautbois indien. Les frères Sanjeev & Ashwani Shankar, accompagnés d'un musicien occidental étudiant l'art du shehnaï en Inde ont pu nous faire découvrir cet instrument avec l'accompagnement traditionnel des tablas et de la tampura. Vous pouvez voir et entendre un extrait ici. Que dire sinon que, à 2h00 du matin, sous le chapiteau du festival, on se serait cru dans un temple lointain? En entendant cet instrument, j'ai compris pourquoi il avait tant servi à orner les rituels religieux: le son est empreint d'une telle emphase, d'une telle profondeur qu'il est particulièrement apte à donner une image, mobile et éternelle, du sacré.


Krishna, dieu de l'amour, accessoirement de la flûte et des bergers (origine Wikipedia).

Le lendemain matin, nouveau spectacle de Rama Vaidyanathan. Le spectacle avait lieu cette fois-ci au palais Briau, un improbable ensemble d'édifices, pour moitié en ruines, donnant sur la Loire au milieu d'un immense parc. L'ensemble, tout de brique mais imitant l'architecture des villas italiennes, avait autrefois été construit pour un grand industriel du chemin de fer du Second Empire. Dans l'entrée du palais transformée pour l'occasion en salon de danse oriental, on se serait cru dans le Salon de musique de Satyajit Ray. Les danses de Rama, ce matin, tournaient autour du dieu Krishna, grand flutiste s'il en est.
La danseuse nous a ainsi raconté une splendide lamentation aux oiseaux, où une femme amoureuse de Krishna, harangue les volatiles autour d'elle, la perruche, l'aigle, etc., en leur demandant de porter sa plainte au dieu pour qu'il vienne à lui. Jamais la mythologie de l'oiseau transport de l'âme vers les dieux ne m'a semblé aussi proche. Cela m'a rappelé une autre soirée, où d'autres histoires d'oiseaux nous avaient été contées. Décidément, je crois que j'aime les oiseaux autant que j'aime les arbres, surtout quand ils sont chantés, dansés, joués, racontés de cette merveilleuse manière.

jeudi 6 mai 2010

Le conte et l'oiseau, une histoire naturelle

Ce fut un grand moment d'échange et de bouillonnement d'idées que la rencontre avec Fabienne Raphoz à la librairie Le Livre, à Tours, ce 23 avril dernier. Fabienne Raphoz, par ailleurs éditrice chez José Corti et auteur de livres de poésie chez Héros-Limite, présentait une anthologie de sa composition autour de la présence de l'oiseau dans les contes... et dans les contes populaires de tradition orale en particulier. Je renvoie à la page consacrée à l'ouvrage sur le site des éditions Corti pour une plus ample description de ce projet passionnant qui a consisté à débusquer des oiseaux — tous types d'oiseaux, imaginaires (l'oiseau de feu) et réels, génériques («un oiseau» dont l'espèce n'est pas nommée) et spécifiques (les corbeaux, cygnes, martinets, rossignols, poules, etc.) — dans les contes de tradition orale recueillis dans le monde entier, et parmi quelques mythes des «nations premières».
Les textes sont rangés dans l'ordre de la classification Aarne-Thompson, ordre canonique pour les folkloristes qui permet de classifier les contes en fonction de leur proximité avec un «conte-type», entité abstraite qui n'a pas pour autre fonction épistomologique que d'autoriser le rapprochement entre différentes versions d'un même conte.

Quelques illustrations d'Ianna Andréadis pour l'Aile bleue des contes, photographie que j'ai empruntée à son site internet.

L'ouvrage est magnifiquement illustrés de dessins en silhouettes d'Ianna Andréadis, artiste peintre qui a magnifiquement représenté les oiseaux selon leurs espèces, dans une sobriété de noir et de blanc qui ne peut que rappeler le noir de la typographie sur le blanc du papier. Mallarmé n'avait-il pas comparé la poésie à la grâce du vol d'un oiseau dans le ciel?
Les illustrations d'Ianna Andréadis sont, elles, classées selon un autre ordre canonique, celui du Handbook of the Birds of the World (HBW), qui classe les oiseaux selon leur espèce et leur famille, dans la plus stricte tradition taxinomique de la biologie animale, nommée du temps de Linné «histoire naturelle».
L'improbable Froba, ou oiseau bleu des contes, inventé par Ianna Andrédais pour l'occasion

Cette coexistence de deux classifications au sein d'un même ouvrage, celle d'Aarne-Thompson pour les textes, et celle du HBW pour les images, m'a laissé songeur. Il m'a semblé que nous avions comme deux histoires naturelles qui se rencontraient et s'entrelaçaient, celle des textes et celle des images, celle des contes et celle des oiseaux. Le conte, dont personne n'a pu jusqu'ici décrire l'origine et raconter l'apparition, ne serait-il pas au sens strict une histoire naturelle, au sens où les Grimm parlaient, justement à leur propos, de «poésie de nature» ? Sans vouloir dire que les contes sont nés de la nature comme les oiseaux (ils restent des objets de culture), le rapprochement entre les deux ordres, ici magnifiquement entrelacés, méritait d'être souligné. Splendide et magnifique rencontre, en tout cas, et absolument poétique, de l'art de raconter des histoires et de l'animal au chant divin qui parcourt l'azur des cieux.

mardi 23 mars 2010

L'autre voyage d'Ulysse

Le livre était passé à peu près inaperçu l'automne dernier, lors de sa parution. C'est aujourd'hui sur France Culture, dans la seconde partie de l'émission A plus d'un titre, que l'on peut écouter Evanghélia Stead présenter son anthologie qui rassemble, chez Jérôme Millon, une quinzaine de textes écrivant le second voyage d'Ulysse, que Tirésias lui avait prédit dans l'Odyssée d'Homère. A partir à la fois d'une relecture d'Homère et d'une relecture de la lecture qu'en fait Dante, Tennyson, Borges, Cavafis et bien d'autres ne se contentent pas de réécrire l'œuvre originelle, mais la prolongent là où elle reste ouverte. Ulysse n'est donc pas l'homme d'un seul voyage: à nous de nous laisser happer par ses autres périples, aussi poétiques qu'inattendus.

samedi 16 janvier 2010

Bright Star

Suprême ravissement du dernier film de Jane Campion qui m'interdit d'en parler plus avant.


I had such a dream last night.
I was floating above the trees, with my lips connected with those of a beautiful figure.


Allez le voir, c'est tout.

vendredi 21 août 2009

Emerson, Woodnotes

Ralph Waldo Emerson


Dans la foulée, quelques vers de la traduction, par la même, d'un poème de Ralph Waldo Emerson, parue récemment (juin) dans le n°2 de la revue MIR, éditée par les éditions Ikko.



Ce paysan rêveur était assis, humble,
Auprès des eaux de la forêt ;
Les racines enchevêtrées du pin
Formaient les entrelacs de son trône ;
Le vaste lac, frangé de sable et d’herbes,
Était poli comme un verre
Coloré par les ombres vertes et majestueuses
De l’arbre et de la nue.




(c'est moi qui souligne)

Browning et la terre gaste

Je parlais dernièrement de l'Anneau et le livre de Browning, récemment paru aux éditions le Bruit du temps. La traduction par Charlotte d'un poème (Childe Roland at the Dark Tower Came) du même écrivain vient d'être publiée sur le site de la revue électronique Retors, animée par Sarah Cillaire. Réinterprétation romantique du thème merveilleux de la terre gaste, ce poème est aussi un parfait exemple de réécriture moderne d'un motif médiéval, celui du chevalier qui erre en quête de la Tour Sombre.

Robert Browning (1812-1889)


C'est surtout un très beau poème sur le désenchantement, qui me rappelle, dans un registre et une forme complètement différents, La Route de Cormac McCarthy, que j'ai lu très récemment sur les conseils d'une amie, Julia, et qui m'a considérablement bouleversé.

IX

Ecoutez-moi ! Je ne m'étais pas plus tôt
Engagé par la plaine que je fis halte,
Après un pas ou deux, pour jeter un dernier regard
Sur la grand route : le néant ; autour de moi une grise plaine :
Rien qu'une étendue grise, à perte de vue.
Autant aller de l'avant, n'ayant guère d'autre choix.

mardi 7 juillet 2009

Géographies du merveilleux à Fontevraud

Encore une fois, la programmation culturelle de Fontevraud se révèle particulièrement alléchante. Après l'exposition sur les rapports entre Miyazaki, Takahata et Paul Grimault, le thème du cycle de conférences de cet été se trouve être Géographie et merveilleux au Moyen-Âge.

Marco Polo

Le programme a été conçu avec la collaboration de Jacques Le Goff, et comprend des interventions de Philippe Walter, François Bon, André Miquel, et bien d'autres universitaires spécialistes de la littérature de voyage ou de la littérature médiévale. On regrettera sans doute que les interventions portent presque exclusivement sur la littérature, et peu sur les arts plastiques, mais ce serait bouder son plaisir que de ne pas aller entendre une conférence sur l'Autre Monde dans les odyssées irlandaises (Philippe Walter, vendredi 31 juillet), sur Le Devisement du monde de Marco Polo (Michèle Guéret-Laferté, vendredi 24 juillet), ou sur les Monstres, hallucinations et peurs dans les voyages anciens (François Moureau, vendredi 21 août).

Les conférences ont lieu le vendredi, et le samedi ont lieu des lectures de grands classiques de la littérature merveilleuse, comme le Voyage au centre de la Terre et 20000 Lieues sous les mers de Jules verne, ou le Gulliver de Swift, mais aussi de textes moins connus comme Le Voyage souterrain de Niels Klim, de Ludwig Holberg, ou, plus proche de nous, Le Mont analogue de René Daumal.


Gulliver par Arthur Rackham

En marge de tout cela, et toujours dans un programme axé sur les voyages et les mondes imaginaires, on a droit, le samedi 15 août, à une représentation du Chant de l'Odyssée par le célèbre conteur Bruno de la Salle, ainsi qu'à toute une série de projections en plein air de films et dessins animés avec pour thème le voyage merveilleux : Méliès, Miyasaki, Lotte Reiniger, Terry Gilliam...

Les Aventures du prince Ahmed de Lotte Reiniger, l'un des premiers chefs-d'oeuvre du cinéma de silhouettes.

Franchement, vous êtes sûr que vous n'avez pas envie d'aller faire un tour du côté de Fontevraud cet été ?