En lisant l'Histoire Ecclésiastique du Peuple Anglais de Bède le Vénérable, on apprend que l'Irlande est un pays proche du paradis terrestre, abondant, clément et sans dangers aucuns. Un vrai pays de cocagne (I, 1):
En largeur, salubrité et douceur de climat, l'Irlande dépasse infiniment la Bretagne. La neige la couvre à peine trois jours par an: personne ne fait les foins en été pour constituer les réserves d'hiver, ni ne bâtit d'étables pour ses bêtes de trait. On n'y trouve aucune bête rampante, et même aucun serpent n'y pourrait vivre. En effet, souvent des serpents y sont emportés par bateau de Bretagne [de Grande-Bretagne], mais, dès que les bâtiments s'approchent des côtes et que leur parvient l'odeur de la terre, ces serpents meurent aussitôt. Plus encore, tout produit en provenance de l'île est d'une grande efficacité contre le poison. Nous avons même vu de nos yeux que, lorsque des personnes étaient mordues par des serpents, il suffisait de gratter quelques feuilles d'arbres en provenance d'Irlande, de les plonger dans l'eau et de les donner à boire, pour extraire aussitôt le poison et réduire la tumescence.
Tiens! Mince alors! Je croyais que c'était Saint Patrick qui, en christianisant l'Irlande, avait mis tous les serpents dehors! Le serpent symbole de Satan, bien sûr, qui est évacué au cours de la christianisation... mais non, Bède me dit que quand Patrick est arrivé, il n'y avait de toute façon pas de serpents, parce qu'il n'y a jamais eu de serpents en Irlande.
Qui croire, Bède ou la légende de Saint Patrick? J'ai du mal à trouver l'origine exacte de la légende, il faudrait je suppose faire de plus amples recherches. Mais confronter un texte et un autre ne nous aidera pas à dire si une légende est plus vraie qu'une autre. De toute façon c'est Bède qui a raison: il n'y a jamais eu de serpents en Irlande, pour des raisons de migration des espèces et d'évolution climatique, semble-t-il.
Du coup, sans même essayer de montrer que le témoignage de Bède viendrait avant celui de la légende de Saint Patrick, on peut arguer que la légende de l'historien anglais est antérieure à celle du patron de l'Irlande. L'antériorité d'un écrit sur l'autre ne changerait rien de toute façon: cela reste des écrits, alors que les légendes sont d'abord orales avant que d'être retranscrites par les moines. Et de même que le paganisme précède le christianisme en terre d'Irlande, on peut supposer que la superstition païenne d'une Irlande "terre d'abondance" précède celle de la christianisation symbolique de l'île par un saint évangélisateur. On retrouverait ainsi une vieille légende païenne sous la plume de Bède le Vénérable, qui par ailleurs nous explique ensuite comment on fait, justement, pour imposer le christianisme.
Mais pas n'importe quel christianisme. Il est remarquable que Bède ne parle jamais de Saint Patrick dans son Histoire. Certes, son propos est davantage centré sur le pays des angles que sur celui des "scots", l'Irlande. Mais les seules pages où il décrit le christianisme celtique que fonde Saint Patrick en Irlande au cours du Ve siècle, c'est pour dénoncer l'hérésie pélagienne.
A l'époque de Bède, la principale préoccupation des moines anglais est de défendre la suprématie du christianisme romain. Christianisme romain qui a triomphé du christianisme celtique en Northumbrie, comme on l'a vu dans les commentaires du dernier billet sur le sujet, au cours du synode de Witby. Du coup, Bède passe quasiment sous silence le christianisme celtique ou christianisme irlandais, parce que de toute façon pour lui la vraie foi c'est celle professée par Rome. Et du coup, il passe également sous silence les efforts de Saint Patrick: la seule évangélisation valable est celle des romains, sous la houlette de Saint Augustin de Canterbury, envoyé du pape Grégoire. En tout cas c'est ce que j'ai cru déduire des différents éléments en ma possession.
Du coup, on peut même supposer que la légende de Saint Patrick existait à l'époque de Bède, mais qu'il l'a évacuée avec le reste du folklore du christianisme celtique. Cela voudrait dire qu'il aurait substitué une légende païenne à une légende chrétienne? Bizarre pour un homme d'église... Mais peut-être pas si bizarre que ça, après tout: la signification chrétienne d'une terre sans serpents (id est sans Satan) est conservée, mais d'une autre manière. Là où Saint Patrick évangélise activement en débarrassant l'Irlande de ses serpents, Bède fait de l'Irlande une terre bénie de Dieu, où l'absence de serpents la prédestine à accueillir la bonne parole catholique et romaine.
Paradoxe de l'histoire (et pure hypothèse de ma part, sans autres éléments historiques à mettre dans le dossier), Bède aurait utilisé une superstition d'idolâtre pour combattre une légende chrétienne: il aurait repris une légende païenne pour remplacer une hérésie chrétienne. Car mieux vaut, dans l'esprit de Bède, décrire une irlande païenne prédestinée au christianisme, que de rapporter l'existence d'une mauvaise christianisation.
Tiens! Mince alors! Je croyais que c'était Saint Patrick qui, en christianisant l'Irlande, avait mis tous les serpents dehors! Le serpent symbole de Satan, bien sûr, qui est évacué au cours de la christianisation... mais non, Bède me dit que quand Patrick est arrivé, il n'y avait de toute façon pas de serpents, parce qu'il n'y a jamais eu de serpents en Irlande.
Qui croire, Bède ou la légende de Saint Patrick? J'ai du mal à trouver l'origine exacte de la légende, il faudrait je suppose faire de plus amples recherches. Mais confronter un texte et un autre ne nous aidera pas à dire si une légende est plus vraie qu'une autre. De toute façon c'est Bède qui a raison: il n'y a jamais eu de serpents en Irlande, pour des raisons de migration des espèces et d'évolution climatique, semble-t-il.
Du coup, sans même essayer de montrer que le témoignage de Bède viendrait avant celui de la légende de Saint Patrick, on peut arguer que la légende de l'historien anglais est antérieure à celle du patron de l'Irlande. L'antériorité d'un écrit sur l'autre ne changerait rien de toute façon: cela reste des écrits, alors que les légendes sont d'abord orales avant que d'être retranscrites par les moines. Et de même que le paganisme précède le christianisme en terre d'Irlande, on peut supposer que la superstition païenne d'une Irlande "terre d'abondance" précède celle de la christianisation symbolique de l'île par un saint évangélisateur. On retrouverait ainsi une vieille légende païenne sous la plume de Bède le Vénérable, qui par ailleurs nous explique ensuite comment on fait, justement, pour imposer le christianisme.
Mais pas n'importe quel christianisme. Il est remarquable que Bède ne parle jamais de Saint Patrick dans son Histoire. Certes, son propos est davantage centré sur le pays des angles que sur celui des "scots", l'Irlande. Mais les seules pages où il décrit le christianisme celtique que fonde Saint Patrick en Irlande au cours du Ve siècle, c'est pour dénoncer l'hérésie pélagienne.
A l'époque de Bède, la principale préoccupation des moines anglais est de défendre la suprématie du christianisme romain. Christianisme romain qui a triomphé du christianisme celtique en Northumbrie, comme on l'a vu dans les commentaires du dernier billet sur le sujet, au cours du synode de Witby. Du coup, Bède passe quasiment sous silence le christianisme celtique ou christianisme irlandais, parce que de toute façon pour lui la vraie foi c'est celle professée par Rome. Et du coup, il passe également sous silence les efforts de Saint Patrick: la seule évangélisation valable est celle des romains, sous la houlette de Saint Augustin de Canterbury, envoyé du pape Grégoire. En tout cas c'est ce que j'ai cru déduire des différents éléments en ma possession.
Du coup, on peut même supposer que la légende de Saint Patrick existait à l'époque de Bède, mais qu'il l'a évacuée avec le reste du folklore du christianisme celtique. Cela voudrait dire qu'il aurait substitué une légende païenne à une légende chrétienne? Bizarre pour un homme d'église... Mais peut-être pas si bizarre que ça, après tout: la signification chrétienne d'une terre sans serpents (id est sans Satan) est conservée, mais d'une autre manière. Là où Saint Patrick évangélise activement en débarrassant l'Irlande de ses serpents, Bède fait de l'Irlande une terre bénie de Dieu, où l'absence de serpents la prédestine à accueillir la bonne parole catholique et romaine.
Paradoxe de l'histoire (et pure hypothèse de ma part, sans autres éléments historiques à mettre dans le dossier), Bède aurait utilisé une superstition d'idolâtre pour combattre une légende chrétienne: il aurait repris une légende païenne pour remplacer une hérésie chrétienne. Car mieux vaut, dans l'esprit de Bède, décrire une irlande païenne prédestinée au christianisme, que de rapporter l'existence d'une mauvaise christianisation.
7 commentaires:
À propos de la première image, c'est toujours surprenant cet "Ouroboros" que l'on trouve à peu près partout dans le vieux monde.
Gilles: Qu'est-ce que tu trouves surprenant, la figure elle-même ou bien le fait qu'on la trouve partout dans le "vieux monde"?
Le fait qu'on trouve la figure en beaucoup d'endroits, comme mythe important (l'article de Wikip. dit jusque chez les aztèques et aussi chez les aborigènes, mais bon, là il y a probablement moins de rapport).
pour la légende de Saitn Patrick chassant les serpents d'Irlande, ont en trouve pour la première fois mention dans la vita tripartita écrite au 9ème siècle par auteur anonyme et qui retrace la vie de saint Patrick
D'accord, merci pour le renseignement. Ca confirme le fait que l'explication de Bède est antérieure au premier témoignage écrit de la légende de Patrick, mais en ce qui concerne l'existence possible de la même légende à l'état oral avant Bède... on n'en aura jamais de témoignage je présume.
Il est intéressant en tout cas de constater que c'est la légende de Patrick, arrivée plus tard, qui a pris le pas sur celle rapportée par Bède.
Sur l'ambivalence du serpent dans les cultures celtes, un article sur l'œuf de serpent (l'oursin fossile) ici :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_2001_num_98_4_12570
Décidément, 3 ans ou presque après sa publication, cet article intéresse encore les “foules”! Merci de votre commentaire, qui donne une autre piste pour interpréter la légende.
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