mardi 30 novembre 2010

Visage Vert, 17e du nom

Je suis très en retard par rapport au moment où j'ai reçu mon exemplaire, aussi j'espère qu'Anne-Sylvie Salzmann me pardonnera: j'étais pris par d'autres lectures... Voilà mon compte-rendu du 17e numéro du Visage vert. Ou plutôt devrais-je dire mon appréciation personnelle d'une partie seulement du numéro: je n'ai pas tout lu, et mon avis sur ce que j'ai lu n'engage évidemment que moi. Je ne prétends donc pas donner des leçons, simplement donner mon humble impression personnelle: les auteurs et éditeurs prendront dans mon compte-rendu ce qu'ils jugent pertinent, et rejetteront le reste.

Par où commencer? Mettons par le début, soit Romain Verger, dont j'ai vraiment apprécié l'imaginaire étrange et sylvestre, quoique certaines coquetteries de style, parfois un peu lourdes (ainsi du pléonasme “fresque pariétale”) m'engageraient à l'inviter à raffiner son style dans le sens de l'austérité. Je pense sincèrement que la prose de Romain Verger gagnerait à délaisser Huysmans et les autres fin-de-siècle, et à relire Nerval et Hoffmann. Toujours est-il que l'auteur, notamment dans “Sylvia” et “Aux champignons” (“Vlad” m'a semblé plus convenu, et pour tout dire peu intéressant) sait distiller une atmosphère d'étrangeté qui confine parfois au cauchemardesque, et que cette capacité à donner une ambiance à un récit (qui par ailleurs est minimaliste) n'est pas donné à tout le monde. Une plume prometteuse.
La nouvelle de Judith Gautier est assez intéressante, et même si elle ne me semble pas constituer la trouvaille du siècle, elle manie des thématiques qui, pour être devenues des clichés (la fleur mortelle exotique, l'histoire d'amour italienne...) sont néanmoins inscrites dans une narration tout à fait bien menée. “La Fleur-Serpent” se lit et délasse bien, on ne lui en demandera pas beaucoup plus. Du point de vue de l'histoire littéraire, elle ménage un pont intéressant entre le romantisme de Gautier et l'écriture fin de siècle de Vernon Lee, Jean Lorrain, etc.
J'ai énormément apprécié le récit de Rhys Hughes, “La déconfiture d'Hypnos”, qui est à la fois brillamment écrit (et probablement brillamment traduit) et assez inattendu dans sa forme narrative comme dans son ton humoristique. Le titre français est excellent, véritable trouvaille de traducteur. Ce récit de Rhys Hughes me rappelle un peu les Fictions de Borges: je crois que c'est l'impression que l'auteur est parti d'une idée métaphysique un peu bizarre avant de la transformer en récit, et n'est pas parti d'une situation, d'une impression ou d'un personnage. Très drôle en tout cas, et pour le coup c'est (pour moi) une vraie découverte: j'engage le Visage vert, s'il s'en sent les épaules, à traduire davantage de nouvelles de cet auteur gallois dans le cadre de sa maison d'édition fraîchement née.
J'ai du mal, en revanche, à comprendre l'enthousiasme de la revue pour la prose de Cristian Vila Riquelme, dont les récits, certes assez étranges, m'ont vraiment paru poussifs. C'est sans doute aussi l'effet de la traduction, qui en bien des endroits m'a semblé très maladroite, et a laissé des coquilles qui gênent vraiment la lecture (oubli de la ponctuation...). Toutefois, dans “Retour”, l'artifice, autrement appréciable, de l'adresse du narrateur à un “consul” auquel il rendrait un rapport ou écrirait une lettre paraît particulièrement impertinent à la fin du récit quand le dit narrateur disparaît dans l'autre monde... le rendant ainsi incapable de rédiger le dit rapport ou la dite lettre. L'ensemble me fait vraiment penser à un prosateur qui veut faire de la poésie “sans le savoir”, ou plutôt sans le dire, et qui n'y parvient donc guère.
Le conte de Jessica Almonda Salmonson est très bien, mais je me suis vraiment demandé ce que sa version apportait par rapport aux versions folkloriques dont elle s'est inspirée. C'est sans doute mon côté anthropologue qui ressort (d'où sort-il d'ailleurs, vu que je ne suis pas anthropologue du tout?), mais j'ai en général tendance à privilégier les contes populaires aux réécritures, sauf bien évidemment quand celles-ci apportent quelque chose de nouveau (ce qui ne me semble pas être le cas de “La femme qui avait épousé un phoque”). Mais pourquoi pas: en tout cas, c'est une très jolie histoire.

Dans le dossier “Présences cachées” j'ai particulièrement apprécié la nouvelle de John Buchan, les deux autres m'ayant laissé relativement indifférent. “Skule Skerry” est un récit vraiment très bien écrit (et traduit), très fluide, très agréable à lire: on se trouve véritablement face au “beau style” qui fait l'attrait majeur de la littérature anglaise, fût-elle “de genre”, de cette période. Rien de transcendant, encore une fois, mais une belle histoire qui raconte l'entrevue (ou non ?) d'un ornithologue anglais avec un selkie dans les Orcades peut difficilement laisser indifférent un amateur d'histoires où l'autre monde se laisse entrevoir à l'homme aventureux. Par contraste, la nouvelle d'Edward Fredric Benson me semble assez convenue, et pour tout dire relativement poussive: cette entrevue, sur fond d'hôtel suisse mal décrit, avec une espèce inconnue d'hominidés me rappelle “le Horla”, à savoir une sorte de fantastique dépourvue de magie que je ne goûte guère. Quant à Paul Busson, je ne l'ai lu qu'en diagonale, n'appréciant qu'à petites doses l'artifice, ici mis en scène de manière particulièrement lourde, du récit enchâssé.
L'article critique de Michel Meurger est, comme à l'habitude de l'auteur, d'une prodigieuse érudition qui force l'adhésion. Toutefois, on pourra sans doute lui reprocher un goût un peu trop prononcé pour les affèteries stylistiques, goût qui rend parfois un peu difficile d'accès son discours ; ainsi on relèvera “une culture rustique saturée de démonie” pour parler des superstitions populaires ayant trait aux démons et diables, ou bien “le sieur Sänfftle” au lieu d'un sobre et pourtant compréhensible “Sänfftle”, etc. Certaines mises en perspective me semblent par ailleurs maladroites: “Bon sismologue, [Paul Busson] a su capter les vibrations d'un réveil dionysiaque paysan” ; j'ignorais qu'il y eût, à la fin du 19e siècle, un renouveau des croyances païennes en Europe dans le monde paysan, croyant naïvement qu'il s'agissait d'un tropisme qui avait uniquement agité le monde lettré, savant, majoritairement urbain (Machen, Giono, Yeats, Crowley... mais aussi Barrie ou Grahame). Il faudra que Michel Meurger nous le montre, ou alors qu'il révise son jugement ou sa manière d'écrire.

Un dernier mot sur la présentation graphique de la revue, qui d'après ce que j'ai compris devrait encore évoluer dans les prochains numéros depuis que le Visage vert a quitté le gîte de la maison Zulma. La maquette est vraiment très belle et très originale, mais en effet le cadre rend sans doute difficile la mise en pages, et les notes de bas de page au milieu du texte sont assez dommageables. L'illustration, en revanche, est de très grande qualité, et on ne saura jamais assez remercier les petites maisons comme le Visage vert de prendre soin de la qualité visuelle de leurs publications, qui se fait certes à la mesure de leur budget, mais avec goût et ténacité. Merci à vous, et bon vent vers l'autre monde (et retour !).




1 commentaire:

Le Visage vert a dit…

Diable, Anne-Sylvie Salzman, championne de la procrastination, ne vous tiendra pas rigueur de votre retard. Merci en tout cas de votre recension, qui a ravi Rhys Hughes.