Le roi de Thrace,Térée, est marié avec une princesse athénienne, Procné. Ils ont un fils, Itys. Procné veut revoir sa soeur Philomèle, elle demande à Térée d'aller la chercher à Athènes. Térée viole Philomèle sur le chemin du retour, et pour l'empêcher de parler il lui coupe la langue.
Il dit à Procné que sa soeur est morte, mais celle-ci, prisonnière, trouve le moyen de lui faire parvenir une tapisserie dans laquelle elle dévoile le drame dont elle a été victime. Les deux soeurs méditent une vengeance à l'encontre de Térée. Procné tue alors son enfant, Itys, pour le servir en nourriture à son père Térée.
"le souffle de la vie animait encore ses membres que déjà toutes les deux les mettaient en pièces; elles en font bouillir une partie dans des vases de bronze; les autres, percés avec des broches, pétillent sur le feu; la chambre ruisselle de sang. Avant que Térée ait rien appris, Procné fait servir ces mets sur la table de son époux [...]. Assis sur le trône élevé de ses ancêtres, Térée consomme ce repas et engloutit sa propre chair dans ses entrailles. Telles sont les ténèbres qui enveloppent son esprit qu'il commande: "Amenez-moi Itys." Procné ne peut dissimuler une joie cruelle; maintenant elle brûle de révéler elle-même le sacrifice qu'elle a accompli: "Tu as avec toi, dit-elle, celui que tu demandes." Il promène son regard autour de lui et cherche où est l'enfant. [...] mais telle qu'elle était, Philomèle a bondi en avant et lancé la tête sanglante d'Itys à la figure de son père." (traduction de Georges Lafaye)
(burin d'une édition française de 1768)
Finalement, Térée s'apprête à tuer les deux soeurs, quand les dieux décident de métamorphoser l'une en hirondelle, l'autre en rossignol, et Térée en huppe.
Ce qui est l'objet de l'article de Mme Frontisi, c'est essentiellement la question de la condition féminine dans l'antiquité, et du sens à accorder au viol dans les Métamorphoses. Elle prend sur ce point le contrepied d'un article féministe d'Amy Richlin, qui estime que le récit d'Ovide est un texte pornographique donnant une image de la femme dégradée à l'état d'objet sexuel, et asseyant ainsi un pouvoir androcentrique. Je ne reprendrais pas toute son argumentation, mais Mme Frontisi essaye au contraire de montrer que dans le récit d'Ovide, les hommes sont autant victimes que les femmes, et que le plus grand bourreau dans l'histoire, ce n'est pas l'homme mais le destin (ou les dieux).
Ce qui m'intéresse plus directement, c'est la parenté de cette histoire avec le Conte du Genévrier, tel qu'il est rapporté par les frères Grimm, dont j'ai déjà parlé ici. On retrouve le même motif de la mère qui assassine son fils (dans Grimm c'est une belle-mère, mais on sait que dans les contes la belle-mère est une figuration de la mauvaise mère, de sa partie "noire", négative), et du père qui mange son enfant (en ragoût chez les Grimm, en ragoût et en brochettes chez Ovide).
Sauf que le récit d'Ovide se termine mal: l'enfant est définitivement mort: nous sommes dans le domaine du récit mythique, et donc du tragique, où souvent (mais pas systématiquement) les histoires se terminent mal pour les hommes qui sont des jouets entre les mains des dieux. Alors que dans le conte de Grimm, l'enfant ressuscite après une métamorphose en oiseau de feu, et trois épreuves vécues sous cette forme, et qui lui permettent de rétablir justice en tuant sa belle-mère.
Tiens donc, une métamorphose en oiseau? Dans le récit d'Ovide, on a aussi une métamorphose en oiseau. Mais des deux soeurs et de Térée, pas de l'enfant. Ceci est dû, encore une fois, à la différence de genre des deux textes: l'un est un mythe, l'autre est un conte. Et dans les mythes, les métamorphoses sont rarement réversibles. Ne pourrait-on pas néanmoins conclure de tout ça, que derrière la métamorphose des trois adultes en oiseau, chez Ovide, se cacherait une mort symbolique? Ce qui est évident chez les Grimm l'est moins chez Ovide. Mais c'est une piste d'autant plus intéressante que l'oiseau est un symbole psychopompe très répandu.
Maurice Sendak a en tout cas très bien mis en valeur cette dimension morbide de la métamorphose, en rajoutant le détail du crâne au pied de l'enfant-oiseau, dans une illustration du Conte du Genévrier (The Juniper Tree) qui date de 1973.
Ce qui est l'objet de l'article de Mme Frontisi, c'est essentiellement la question de la condition féminine dans l'antiquité, et du sens à accorder au viol dans les Métamorphoses. Elle prend sur ce point le contrepied d'un article féministe d'Amy Richlin, qui estime que le récit d'Ovide est un texte pornographique donnant une image de la femme dégradée à l'état d'objet sexuel, et asseyant ainsi un pouvoir androcentrique. Je ne reprendrais pas toute son argumentation, mais Mme Frontisi essaye au contraire de montrer que dans le récit d'Ovide, les hommes sont autant victimes que les femmes, et que le plus grand bourreau dans l'histoire, ce n'est pas l'homme mais le destin (ou les dieux).
Ce qui m'intéresse plus directement, c'est la parenté de cette histoire avec le Conte du Genévrier, tel qu'il est rapporté par les frères Grimm, dont j'ai déjà parlé ici. On retrouve le même motif de la mère qui assassine son fils (dans Grimm c'est une belle-mère, mais on sait que dans les contes la belle-mère est une figuration de la mauvaise mère, de sa partie "noire", négative), et du père qui mange son enfant (en ragoût chez les Grimm, en ragoût et en brochettes chez Ovide).
Sauf que le récit d'Ovide se termine mal: l'enfant est définitivement mort: nous sommes dans le domaine du récit mythique, et donc du tragique, où souvent (mais pas systématiquement) les histoires se terminent mal pour les hommes qui sont des jouets entre les mains des dieux. Alors que dans le conte de Grimm, l'enfant ressuscite après une métamorphose en oiseau de feu, et trois épreuves vécues sous cette forme, et qui lui permettent de rétablir justice en tuant sa belle-mère.
Tiens donc, une métamorphose en oiseau? Dans le récit d'Ovide, on a aussi une métamorphose en oiseau. Mais des deux soeurs et de Térée, pas de l'enfant. Ceci est dû, encore une fois, à la différence de genre des deux textes: l'un est un mythe, l'autre est un conte. Et dans les mythes, les métamorphoses sont rarement réversibles. Ne pourrait-on pas néanmoins conclure de tout ça, que derrière la métamorphose des trois adultes en oiseau, chez Ovide, se cacherait une mort symbolique? Ce qui est évident chez les Grimm l'est moins chez Ovide. Mais c'est une piste d'autant plus intéressante que l'oiseau est un symbole psychopompe très répandu.
Maurice Sendak a en tout cas très bien mis en valeur cette dimension morbide de la métamorphose, en rajoutant le détail du crâne au pied de l'enfant-oiseau, dans une illustration du Conte du Genévrier (The Juniper Tree) qui date de 1973.
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