lundi 25 novembre 2013

Migration vers Hypotheses

Ce blog émigre vers la plateforme Hypotheses, et devrait désormais être consacré presque entièrement à la recherche universitaire dans les domaines qui m'intéressent, à savoir… le conte, le livre illustré, le romantisme sous toutes ses formes, etc., mais aussi l'édition et les humanités numériques. Ombres vertes restera de son côté ici à l'état d'archives qui ne seront plus augmentées.
Un grand merci à mes quelques lecteurs/commentateurs passés, ainsi qu'à Rémi/Continuum pour avoir contribué à enrichir ce blog de ses billets.
Retrouvez-moi désormais sur Iconoconte.

mercredi 20 novembre 2013

Crane et Greenaway chez MeMo

Je viens de recevoir mes exemplaires de deux rééditions absolument splendides chez MeMo, auxquelles j'ai modestement contribué. Il s'agit de trois contes tirés de toy books de Walter Crane, qui ont été assemblés en un seul ouvrage pour l'occasion, et du Petit Livre des souvenirs de Kate Greenaway, paru à l'origine sous le titre The Little Birthday Book en 1880.



Pour le premier, j'ai adapté les textes d'après Perrault (pour “Cendrillon” et “Le chat botté”) et d'après la version anglaise d'origine (pour “Les trois ours”). La difficulté a été d'arriver à adapter le texte pour qu'il rentre dans les espaces blancs laissés libres par l'illustrateur : c'est un album, et pas un livre illustré, la mise en pages du texte doit donc s'adapter à celle de l'image, et non l'inverse.
Pour le second, MeMo souhaitant reprendre la traduction d'époque (1882), j'ai simplement été amené à en réviser la transcription, ainsi qu'à rédiger une courte postface pour remettre en contexte l'ouvrage.
Je tiens à souligner que rarement j'ai eu affaire à une réédition aussi splendide: la qualité de papier est impeccable, idem pour la qualité d'impression, qui fait honneur aux éditions originales imprimées par Edmund Evans au XIXe siècle. Je me réjouis d'avoir travaillé avec Christine Morault et Yves Mestrallet, qui sont de vrais amateurs de beaux livres et font un excellent travail, qui évite les deux écueils du tape-à-l'œil et de l'expéditif. Que l'on aime ou pas les illustrations, force est de reconnaître que ce sont de beaux livres. Si vous vous posez encore la question de savoir ce que vous pouvez offrir à votre neveu ou votre tante en décembre, allez voir ces livres en librairie.

jeudi 14 novembre 2013

Conte, illustration et humanités numériques

Je viens d'être recruté à la MSH Val de Loire pour un an en qualité d'ingénieur de recherches en humanités numériques, et aussi je m'intéresse beaucoup en ce moment à tout ce que les outils numériques peuvent apporter à la recherche sur le conte ou l'illustration. Je travaille actuellement à une édition numérique de livres illustrés qui exploite au mieux le caractère multimédia et la souplesse de structuration formelle du support numérique, pour faire ce que le papier n'arrive que difficilement à faire, en l'espèce une édition critique d'album pour enfants qui comporte également un appareil critique pour l'image, à la manière d'une exposition virtuelle. J'espère avoir l'occasion d'en reparler ici.

Walter Crane, illustration pour Little Red Riding Hood, xylographie.

Mais je vois également d'autres utilisations possibles du support numérique, par exemple, tel que cela a été développé par l'anthropologue Jamshid Tehrani (je remercie Catherine Velay-Vallantin pour m'avoir fait connaître cet article), une base de données permettant de cartographier la diffusion géographico-historique d'un conte-type donné (ou plus exactement ici de deux contes-types jugés proches), à travers le renseignement de toutes ses variantes. Cela pose des problèmes méthodologiques intéressants, notamment le fait d'accepter que le conte-type soit une catégorie pertinente, ce qui suppose d'accorder une réalité à “la tradition orale” et une certaine utilité aux travaux d'Aarne-Thompson, ce qui ne fait pas consensus, au moins en France, parmi les chercheurs sur le conte. (Et si l'on veut connaître mon avis sur la question, oui la catégorie de conte-type est utile, de même que la typologie d'Aarne-Thompson, du moment qu'elle ne soit pas mal utilisée, et donc que les contes-types ne soient pas réifiés et érigés en modèles esthétiques à l'aune desquels on viendrait juger de la perfection de ses variantes.)

J'apprends dans l'article mis en lien ci-dessus que les algorithmes utilisés pour sa démonstration sont issus de technologies développées par des biologistes pour des analyses phylogénétiques, et qui ont déjà par ailleurs été utilisées par des philologues pour analyser l'évolution des textes bibliques, ou celle de l'intertextualité des contes de Canterbury. Ce qui appelle deux remarques. La apremière est qu'il est frappant de voir que ce sont les mêmes modèles méthodologiques qui ont été utilisés en biologie et en folkloristique pour arriver à retracer l'évolution, d'un côté du vivant, de l'autre de la tradition orale. Ce qui amène à considérer que l'intuition des Grimm selon laquelle les contes sont des organismes vivants n'est peut-être pas si idéologique que ça, ou du moins qu'il y a dans cette intuition un fond de vérité qu'il est difficile de refouler comme la simple marque d'une esthétique romantique complètement dépassée. Certes, les contes de tradition orale ne sont sans doute pas vivants au même titre que peuvent l'être des algues, des fourmis, des oiseaux ou des fougères. Mais du moins il faut considérer sérieusement l'analogie entre art et vie, comme a pu le faire notamment le philosophe Alain Séguy-Duclot à travers plusieurs de ses ouvrages, notamment Définir l'art et Penser la vie. Les deux relèveraient d'une dissémination et d'une évolution par types, ce qui est abordé plus avant dans Culture et Civilisation, et qui rendrait d'autant plue pertinente la notion de “conte-type”. Mais cette question demanderait évidemment des développements plus importants.
Deuxième chose, les mêmes modèles méthodologiques ont été utilisés pour retracer l'histoire de textes, ce qui tend à montrer 1/ que les approches folkloristiques et philologiques ne sont a priori pas incompatibles, 2/ qu'il y aurait une voie, peut-être, à suivre, qui combine histoire philologique des contes et histoire anthropologique. Cette voie est à construire, je ne le ferai pas tout seul, d'autant plus que tout ça n'est pas ma spécialité (je reste un historien de l'art et du livre illustré), mais peut-être pourrait-on y voir une voie de réconciliation entre approches littéraire et anthropologique du conte. Tout en gardant toutefois bien en tête que la poétique du conte de tradition orale diffère en profondeur des logiques mises en œuvre par la culture lettrée pour en rendre compte, et que pister des contes ne se fait donc pas de la même manière que pister des textes, ou du moins que cela ne veut pas forcément dire la même chose : l'un est un genre littéraire, l'autre une manifestation écrite de ce genre.

(Plus de renseignements sur Jamshid Tehrani.)

mardi 12 novembre 2013

Grimm et l'Angleterre : nouveau livre

Un bref billet simplement pour signaler la parution de mon nouveau livre, Le Conte et l'Image, publié aux Presses universitaires François Rabelais, dans la collection Iconotextes. Cet ouvrage est issu de mon travail de doctorat sur l'illustration anglaise des contes de Grimm au XIXe siècle.

Plus de renseignements (sommaire, prix, etc.) sur le site des PUFR. Et surtout ne l'achetez pas sur Amazon (même s'il s'y trouve): privilégiez votre librairie de quartier. Ou la Fnac si vraiment vous n'avez aucune librairie de proximité à proximité, mais pas Amazon.

lundi 25 février 2013

Surplace dans un jardin : mea culpa sur un détail d'érudition historique

En janvier 2012, j'ai publié un article au sujet de l'interprétation par Arthur Rackham de Peter Pan in Kensington Gardens de J. M. Barrie, dans la revue en ligne Belphégor. J'y disais dans la note de bas de page n° 5 que « rien ne semble montrer que celui-ci [Barrie] ait vu les aquarelles de Rackham pour Rip Van Winkle, contrairement à ce que moi ou Céline-Albin Faivre (« Le péan de Pan », in James Matthew Barrie, Peter Pan dans les Jardins de Kensington, trad. Céline-Albin Faivre, Rennes, Terre de Brume, 2010, p. 10) avons pu noter sur le sujet, ni a fortiori que ce soit lui qui ait eu l’initiative de cette collaboration. »



The Fairies have their tiffs with the birds,
illustration de Rackham pour Peter Pan in Kensington Gardens de Barrie, 1906.

Mme Faivre, qui avait par ailleurs contribué à ce numéro de revue entièrement consacré à Peter Pan, m'avait alors écrit pour me reprendre en me disant qu'il y avait bien des traces historiques de la présence de J. M. Barrie à l'exposition de Rackham consacrée à ses illustrations pour Rip van Winkle au printemps 1905. Il s'en est suivi une petite polémique aussi vive que stérile, comme souvent entre gens qui ne se connaissent que par contact épistolaire – qui plus est numérique, moyen de communication dont la rapidité ne permet pas aux esprits échauffés de se refroidir par la lenteur qu'impose le papier.
Toujours est-il qu'après avoir récemment fait l'acquisition de la monographie de Derek Hudson sur Rackham, qui me faisait défaut et que j'hésitais encore à acheter à cause de son caractère onéreux (et qui est par ailleurs introuvable en bibliothèque excepté à la BNF ou à Sainte-Geneviève), j'ai enfin retrouvé l'élément dont j'avais moi-même pris connaissance il y a des années de cela, et qui m'avait dans un premier temps fait dire que Barrie avait été à l'origine du projet (dans un précédent article paru dans la revue de la BNF, « Arthur Rackham dans les jardins de Kensington », la Revue des livres pour enfants, n° 247, juin 2009, p. 105-114), et qui en effet, comme l'avait également relevé Mme Faivre, pouvait accréditer cette idée d'une origine barrienne du projet. Il s'agit comme Mme Faivre l'indique d'une lettre de l'écrivain Edward Verrall Lucas à Rackham, citée p. 58 de l'ouvrage de Derek Hudson, que je reproduis ici:

2 Gordon Place, Campden Hill, W.
March 29, 1905

Dear M. Rackham,

I have at last been able to get to your exhibition; which I enjoyed immensely. Hiteherto one has had to go to the Continent for so much mingled grace & grotesque as you have given us. The drawings seem to me extraordinary successful & charming. The only thing I quarrel with is the prevalence of "sold" tickets – one on every picture that I liked best. Barrie tells me he has the same grievance. I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein. Believe me yours sincerely.

E. V. Lucas 

Mea culpa, donc. Je retire ce que j'ai dit, et reviens à ce que j'avais moi-même écrit auparavant en 2009. Et pourtant pas complètement… Après un aller (l'article de 2009), un retour (l'article de 2012), et un nouvel aller (le présent billet), j'ai un peu l'impression de faire du surplace, mais cela a au moins eu le mérite de me faire lire avec un peu plus d'attention cette missive de Lucas à Rackham. La lettre de Lucas corrobore tout à fait le fait que Barrie se soit rendu à l'expo de Rackham, cela est un point acquis, et mon mea culpa ici est entier: j'y reconnais mes torts entièrement. Mais l'origine barrienne du projet reste en revanche encore à démontrer: le fait que Barrie ait apprécié au printemps 1905 l'exposition des aquarelles pour Rip van Winkle, et que Lucas parle dans la même lettre d'une prochaine illustration de Peter Pan par Rackham ne font pas nécessairement de l'auteur de Peter Pan l'instigateur du projet. Derek Hudson dit même exactement l'inverse trois pages plus loin (p. 61-62) : « The initiative in commissionning these [Peter Pan] drawings came from Messrs Ernest Brown and Phillips of the Leicester Galleries, who arranged a meeting between Rackham and barrie for a preliminary discussion in June 1905. » Cette entrevue de juin 1905 prend pourtant place trois mois après la lettre de Lucas à Rackham mentionnant l'idée d'illustrer Peter Pan.
D'où vient donc alors cette idée? « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan in the same vein » renvoie à une parole entendue par Lucas, peut-être prononcée par Barrie dont il vient de parler, mais peut-être aussi par ses éditeurs, Hodder & Stoughton, qui en voyant l'exposition de Rackham en auraient parlé à Barrie, le même Barrie visitant l'exposition à un moment où beaucoup d’œuvres sont déjà vendues, soit donc relativement tard après le début de la manifestation artistique. Ce dernier enchaînement des faits n'est toutefois bien sûr qu'une hypothèse, et il est difficile d'arriver à reconstituer exactement le cours des événements de ce printemps 1905 sans autres éléments à ajouter au dossier. On insistera néanmoins sur une chose, à savoir le fait que Lucas parle en mars 1905 du projet comme s'il émanait de l'artiste, non de l'écrivain : « I am glad to hear that you think of treating Peter Pan… » S'agirait-il d'une allusion à une réponse positive de l'artiste à une demande émanant de l'auteur ou de son éditeur? Rien ne l'indique dans les pièces que j'ai pour l'instant à ma disposition, mais je serais ravi d'en découvrir d'autres pour éclaircir les choses.

On me permettra en attendant de continuer à douter du fait que Barrie soit à l'origine du projet. Ce qui ne veut pas dire que je juge que cette origine barrienne soit fausse, ni vraie d'ailleurs, je la juge simplement douteuse. Plus probable qu'avant, certes, du fait avéré de la prise de connaissance par Barrie de l'art de Rackham dès mars 1905. Mais l'opération artistique étant dans la publication de Peter Pan in Kensington Gardens au moins aussi importante que l'opération littéraire, on nous permettra de continuer de pencher pour la théorie d'une idée émergeant dans la galerie Leicester plutôt que dans les locaux de Hodder & Stoughton. J'espère au final que l'on me pardonnera mon inconséquence de la note de bas de pages n° 5 en se rappelant que cette dernière n'était que marginale par rapport à mon propos, et que son contenu ne remettait pas en cause le fond de mon article.