mercredi 26 novembre 2008

Dulac à Toulouse

Illustration du Quatrain XXII du Rubaiyat d'Omar Khayyam.

Profitant d'un passage à Toulouse pour une journée d'étude sur le livre illustré, organisée par le département de littérature comparée de l'université du Mirail, je me suis attardé à la médiathèque José Cabanis pour aller voir une exposition sur Edmund Dulac, très célèbre illustrateur franco-anglais de la première moitié du XXe siècle. Compte-rendu de cette exposition, en partie justifiée par la richesse des collections de la médiathèque, et par le fait qu'Edmond Dulac (qui se fera plus tard naturaliser anglais, et signera Edmund) est né à Toulouse.

Illustration pour «La Princesse au petit pois» des Contes d'Andersen

D'abord, un cartel très limité, pour ne pas dire quasi-inexistant, rend difficile la compréhension du contexte d'émergence de ces images. Et dieu sait, pourtant, que le contexte est important dans le cadre du livre illustré: on n'illustre pas tel type d'ouvrages de la même manière que tel autre, etc. Mais là, visiblement, on est prié de se reporter au catalogue. Bon. Belle muséographie cependant, qui met vraiment très bien en valeur les ouvrages, comme les planches indépendantes. Mais assez confuse néanmoins, ceci étant dû encore une fois à la faible présence d'explications directes des œuvres exposées. Certaines œuvres ne nous sont même pas présentées: certaines vitrines contiennent jusqu'à 5 ouvrages, dont un seul est décrit par le cartel. Il est dès lors impossible de faire une différence entre les exemplaires, ou même d'imaginer une chronologie de publication. Ce qui entraîne de manière générale un flou historique complet, conséquence d'une muséographie qui insiste plus sur la mise en scène des ouvrages que sur l'explication de leur contexte de création. A de rares exceptions près, bien évidemment: quand les images ou les objets exposés posent vraiment question (les timbres postaux, les instruments de musique, les revues litéraires que Dulac ornait de lettrines à l'époque où il apprenait les Beaux-Arts à Toulouse), on a droit à une petite explication. Mais tout cela est vraiment très limité, et on doit donc se reporter au livre-catalogue qui a été édité pour l'occasion pour en apprendre plus. Soit, allons donc le voir de plus près.

En le feuilletant, je me rends d'abord compte qu'il ne s'agit pas vraiment d'un catalogue d'exposition, puisque les œuvres exposées ne sont pas toutes répertoriées, et que par ailleurs on trouve des reproductions d'œuvres non exposées. Il s'agit donc plutôt d'un essai plus ou moins indépendant du conservateur en charge de l'exposition, Pierre Nouilhan. Je m'attendais également à voir le nom de Sophie Galinier, la lectrice de ce blog qui a attiré mon attention sur cette exposition à l'organisation de laquelle elle a participé, mais visiblement c'est Pierre Nouilhan qui est responsable du livre, et Pierre Nouilhan et Sophie Galinier qui sont responsables de l'exposition. Soit.
Le livre est par ailleurs assez peu épais (120 pages avec beaucoup d'images), et assez cher (30 euros) pour la quantité de texte qu'on peut y trouver. D'autant plus que ce texte est parfois (souvent?) émaillé d'erreurs et d'approximations.
Un exemple d'erreur p. 19: «William Morris, par exemple, fabriquait ses ouvrages en petit nombre, créant lui-même ses caractères et ses encres»; non, Morris ne fabriquait pas lui-même ses encres, il passait beaucoup de temps à les choisir et les faisait venir spécialement d'Allemagne, certes, mais il ne les créait pas. Il faisait déjà suffisamment de choses au sein de la Kelmscott Press (la typo, la mise en page, les ornements, le texte), n'en rajoutons pas trop.
Un exemple d'approximation p. 39: «[Arthur Rackham] était un grand dessinateur, influencé par l'Art nouveau»; peut-être va-t-on trouver que je chipote, mais non, Arthur Rackham n'est pas influencé par l'Art nouveau. Il peut à la rigueur être considéré comme un artiste Art nouveau, étant tout à fait contemporain de l'émergence de ce mouvement d'arts décoratifs, mais en aucun cas il n'est «influencé» par lui. Ses références sont Beardsley, Housman, Crane, etc., mais certainement pas Guimard, Horta, ou même Mucha. Et puis parler d'Art nouveau en Grande-Bretagne est à peu près aussi problématique que de parler de symbolisme anglais: les îles britanniques ont leurs propres écoles et mouvements d'arts décoratifs au tournant du siècle (les Arts & Crafts, l'école de Glasgow...), et n'ont donc pas véritablement besoin de s'inspirer des volutes végétales des décorateurs Art nouveau. Ceci engagerait un vaste débat que je ne veux pas lancer, mais dire que Rackham est influencé par l'Art nouveau est sinon faux, du moins très rapide et approximatif.
Seulement deux exemples, mais qui montrent bien que cet essai de Pierre Nouilhan est de seconde main, et qu'il aborde visiblement le sujet de manière pour ainsi dire nouvelle. Non que ce qu'il dise est globalement faux, mais c'est juste une synthèse qui d'une part n'apporte visiblement pas grand-chose de neuf (ce qui en soi n'est pas grave, puisque son travail permet après tout de synthétiser la bibliographie anglo-saxonne pour un public francophone), et d'autre part semble par endroits fort imprécise. Ce n'est pas grave, mais c'est dommage. Parce que c'est le premier livre de conséquence à être publié en langue française sur Dulac, et qu'il est dès lors dommage qu'il soit par moments... inconséquent.


Le rêve de l'entomologiste.

Néanmoins, je ne voudrais pas, par ces quelques critiques sans doute un peu pointilleuses, éloigner le lecteur de cette exposition. Bien que le cadre scientifique de cette exposition soit à mon sens insuffisant (mais après tout, nous ne sommes pas non plus dans un musée national...), il reste que l'on est ébloui par les images de Dulac, très rarement visibles en aussi grand nombre sur le territoire français, à part, je suppose, dans les biblliothèques de quelques collectionneurs privés... Après tout, le but d'une exposition n'est pas seulement d'apprendre, c'est aussi (surtout?) de passer un bon moment, et de donner accès aux œuvres. Cette exposition est l'occasion de voir de très belles choses, pour certaines assez étonnantes, comme les photos des costumes de Dulac pour la création de la pièce At the Hawk's Well de William Butler Yeats, fin 1815. Ou encore les séries d'illustrations de l'artiste commandées par l'éditeur Henri Piazza pour orner les numéros de Noël de l'Illustration, de 1910 à 1913, sur des thématiques aussi variées que les poèmes de Verlaine, les princesses orientales, la poésie vénitienne de Musset, ou les comptines françaises.

Allez donc vous réjouir les yeux, l'exposition dure jusqu'au 25 janvier. Mais si vous lisez l'anglais, vous pouvez ne pas dépenser les 30 euros du livre... qui est parfois en plus mal écrit, et là c'est le correcteur qui parle. «Le travail, bien que maigre, ne fut pas totalement interrompu» (p. 101): je ne savais pas qu'un travail pouvait être «maigre», ou gras, aussi, peut-être? Enfin bon, cessons de nous plaindre, c'est déjà tellement bien qu'on ait droit à une exposition, en France, sur un illustrateur anglais. L'honneur est sauf, néanmoins: il est d'origine française!

lundi 24 novembre 2008

Parastou Forouhar


Quand j'ai vu les oeuvres de Parastou Forouhar, j'ai pensé immédiatement à Marjane Satrapi. Et pour cause, les deux artistes sont iraniennes. Forouhar est née 7 ans avant Satrapi, en 1962. Bien que très différents, leurs styles respectifs semblent esquisser en noir et blanc une mise en image critique de l'Iran actuel.


mardi 18 novembre 2008

Ossian et les peintres pré-romantiques

C'est la saison des soutenances, décidément. Après celle de Natacha le 22 et celle de Charlotte le 6 décembre, c'est le tour de Saskia Hanselaar, une amie de l'époque où je faisais mon Master 2 à Nanterre sous la direction de Ségolène Le Men. Saskia soutiendra sa thèse d'histoire de l'art à l'université de Paris-X Nanterre, MAE, rez-de-jardin, salle 2, le lundi 24 novembre à 14h00. Sa thèse est tinitulée:

Ossian ou l'esthétique des ombres: une génération de peintres français à la veille du Romantisme (1793-1833)

Avec un titre comme ça, personnellement je craque, et j'ai vraiment envie d'en savoir plus. Malheureusement je ne pourrais pas être là, faisant cours au même moment... Bon, à défaut de pouvoir soutenir Saskia le 24, j'aurai peut-être un jour, je l'espère, l'occasion de lire son travail.

Anne-Louis Girodet-Trioson, Les ombres des héros morts pour la Patrie conduites par la Victoire viennent habiter l'Elysée aérien où les ombres d'Ossian et de ses valeureux guerriers s'empressent de leur donner dans ce séjour d'immortalité et de gloire la fête de la Paix et de l'Amitié, huile sur toile, 192 x 182 cm, 1801, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.

Pour la petite histoire, Ossian est un barde écossais mythique redécouvert par James Mcpherson, qui publia ses poèmes entre 1760 et 1763. Cette publication fit beaucoup de bruit à l'époque, notamment parce que les poèmes retranscrits par Macpherson virent leur authenticité contestée, mais surtout parce que ses thématiques et l'imaginaire qui fut attaché eut un retentissement considérable, à la fois dans les milieux littéraires et dans les milieux artistiques. Ossian était alors considéré comme le «Homère celtique», à une époque où l'Ecosse et le Pays de Galles commençaient à vouloir mettre en valeur leur culture nationale (le XVIIIe siècle est, en Ecosse, notamment l'époque de l'invention des kilts et des tartans). Les pré-romantiques et romantiques se sont emparé de l'œuvre d'Ossian notamment parce qu'elle opérait un déplacement de référent culturel par rapport à la culture classique et néoclassique: ce n'est plus la Grèce ou la Rome antiques qui sont posées en modèle, mais le monde «barbare» et nordique des Celtes. L'importance des écrits d'Ossian, complètement oublié de nos jours, était énorme au tournant des XVIIIe et XIXe siècles: il était, entre autres, l'un des poètes préférés de Napoléon. On peut en lire des extraits dans le n°23 de la collection romantique, chez Corti.

Le travail que propose Saskia est tout bonnement d'étudier la réception du mythe et de l'oeuvre ossianique dans la peinture pré-romantique française. Travail passionnant s'il en est, car la période est celle de nombreux déchirements idéologiques, esthétiques et politiques, où Ossian, en tant que héros celte, a pu servir des causes aussi différentes que le nationalisme écossais ou le bonapartisme... Bon courage à elle en tout cas pour le rite de passage.

dimanche 16 novembre 2008

Ouaknin, Kiefer et la kabbale

En écoutant Michel Cazenave sur France Culture il y a quelque temps (c'était l'émission du 8 novembre, je ne pense pas qu'elle soit encore podcastable, malheureusement), Charlotte et moi sommes tombés sur une entrevue avec un personnage hors du commun, Marc-Alain Ouaknin. Il a même sa page wikipedia, c'est dire. Rabbin, docteur en philosophie et professeur de littérature comparée, il parlait alors du problème de l'interprétation des textes bibliques. Ce qui m'a frappé, c'est d'abord son propos que j'ai trouvé absolument passionnant, ensuite le fait que je l'ai retrouvé dans l'émission de Victor Malka le lendemain, le 9 novembre, à croire qu'il avait campé à Radio-France pendant la nuit (mais certaines émissions doivent être, je crois, pré-enregistrées, de toute façon, non? J'avoue mon ignorance dans ce domaine), et enfin le fait qu'il sorte trois bouquins quasiment en même temps (Zeugma, mémoire biblique et déluges contemporains, aux éditions du Seuil, Mystères de la Bible aux éditions Assouline et Invitation au Talmud aux éditions Flammarion, une réédition).
Du coup on a fait quelques petites recherches sur le net, et on a vu qu'il avait fait une conférence sur Anselm Kiefer et la kabbale à l'occasion de Monumenta 2007. Très intéressant, même si le début tarde un peu à se mettre en place. Mais bon, c'est une conférence, pas un cours... Toujours sur le site de Monumenta, il y a également tout un entretien avec ce rabbin, où il explique notamment la conception judaïque du Livre, qui n'est pas seulement un objet de consommation, un media qu'on peut jeter après usage, mais un objet rituel, envers lequel le lecteur s'engage physiquement, de tout son être, et pas seulement de manière intellectuelle. Passionnant. Dans le même registre, une table ronde d'universitaires sur la kabbale, l'alchimie et l'art de Kiefer, dont le propos reste assez grand public, mais qui a l'immense mérite de tordre le coup à certains préjugés (nombreux en matière d'ésotérisme), et par ailleurs d'être très clair. Ce qui est également assez rare dans le domaine de l'ésotérisme. Très bonne introduction à l'histoire de la kabbale et à celle de l'alchimie si l'on n'y connaît pas grand chose (comme moi). En tout cas c'est très agréable et intéressant à écouter quand on doit donner le biberon à un nourrisson à 1h30 du matin.

Anselm Kiefer, Zim Zum, 1990, National gallery of Art, Washington.


Je regrette vraiment d'avoir manqué le Monumenta de 2007. D'autant plus que celui de cette année, avec Richard Serra, était pour le coup assez décevant. En regard de la richesse de l'œuvre de Kiefer, la Promenade de Serra fait pâle figure.

vendredi 14 novembre 2008

L'art invisible




Non, je ne veux pas parler du livre de Scott McCloud sur la bande dessinée. Simplement signaler la sortie, sinon aujourd'hui 14 novembre (date annoncée de publication), du moins très prochainement, d'un livre sur la typographie du livre français. Réalisé par les étudiants du pôle Métiers du Livre de l'IUT de Bordeaux sous la direction de leurs professeurs d'édition et d'histoire de la typographie, Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier, cet ouvrage regroupe à la fois des études historiques et des rencontres professionnelles» avec des éditeurs, graphistes, typographes... Le livre, paru aux Presses Universitaires de Bordeaux, a l'air d'être intéressant non seulement parce qu'il nous instruit de certains éléments de l'histoire des caractères, mais également parce qu'il plaide pour un renouveau de l'art de création des fontes et de composition des caractères.


Moins complet que le manuel de James Felici, plus centré sur la France et donc moins général que le livre d'Ellen Lupton sur la même question, ce livre a donc par ailleurs la particularité d'être sinon polémique, du moins programmatique. Dans l'article de Livres Hebdo que j'ai lu sur le sujet, des éditeurs comme Allia, Fata Morgana ou Tristram sont cités en exemples de maisons pour qui la présentation physique du texte a de l'importance. Plus une typo est visible, moins elle est lisible. Et inversement. C'est pourquoi on peut parler d'art invisible, tant les efforts des typographes et des graphistes qui s'acharnent à produire des fontes de qualité passent généralement inaperçus, dans notre univers visuel où les apostrophes et les guillemets droits tendent à s'imposer même dans l'édition papier.

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Oui, j’aurais pu donner l’exemple en utilisant des apostrophes orthodoxes dans l’ensemble de ce billet, mais pour le coup c’est vraiment trop fastidieux pour un support comme le blog.

dimanche 9 novembre 2008

Féerie symboliste

C'est la saison des soutenances de thèse... La date définitive de celle de Charlotte est arrêtée. Ce sera le 6 décembre, je crois aux alentours de 14h00 en salle 410 du site Censier de l'université de Paris-III.
Je rappelle le sujet : il s'agit d'une thèse en littérature générale et comparée, dont le titre complet est La fée dans le symbolisme européen, domaines francophone et anglophone, identité nationale, mémoire littéraire et questionnements poétiques.
Le jury sera constitué de Jean Bessière (le directeur), Stéphane Michaud, Joanny Moulin, Micéala Symington, et Laurence Brogniez.

Dante Gabriel Rossetti, illustration pour The Maids of Elfin-Mere, poème de William Allingham, publié en 1855 (gravure sur bois des frères Dalziel).

La thèse de Charlotte Michaux tente de rassembler et de confronter les poèmes de plus de 50 auteurs français, belges, anglais et irlandais, entre 1880 et 1920, dans une approche qui ne se contente pas d'une simple analyse thématique, mais qui met en perspective le motif féerique à la fois dans l'histoire littéraire et dans la poétique symboliste de la suggestion. Tout un programme, donc, dont le motif central est davantage celui de la grande fée hiératique héritée de l'imagerie préraphaélite que celui de la petite créature espiègle aux ailes de libellule. Avis aux amateurs, ainsi qu'aux amis (ce sont parfois les mêmes personnes) : venez soutenir Charlotte dans cette épreuve.

lundi 3 novembre 2008

Folklore en ligne

Une nouvelle liste de diffusion sur les sciences du folklore est née sur H-net. On peut s'inscrire ici. La liste est internationale, visiblement de langue anglaise, et a pour but de faciliter la communication entre les chercheurs. Dieu sait que la recherche française est en retard et en manque de visibilité dans ce domaine. J'espère que cette liste sera utile à lui donner, peut-être, quelques impulsions.

samedi 1 novembre 2008

Plagiat sur droits d'auteurs

Je ne fais que rapporter une information déjà colportée par Pierre Assouline, mais le fait divers est trop amusant pour ne pas être partagé : Bernard Edelman, éminent spécialiste du droit d'auteur, auteur du "Que sais-je?" sur la propriété littéraire et artistique, s'est lui-même fait récemment accuser... de plagiat dans l'un de ses livres, où il aurait oublié de mettre des guillemets à une longue citation d'une thèse de Laurent Pfister sur l’histoire du droit d’auteur. L'accusatrice est une enseignante-chercheuse en lettres de l'université de Tours, Hélène Maurel-Indart, elle-même spécialiste de ces questions, qui avait formulé ses accusations dans un livre publié aux éditions de la Différence, Plagiats, les coulisses de l'écriture. Bernard Edelman l'avait attaquée en diffamation, et le tribunal de grande instance de Versailles vient de débouter sa plainte, donnant ainsi raison à Hélène Maurel-Indart.
Les emprunts non référencés sont une pratique malheureusement récurrente dans les milieux universitaires, mais l'affaire est d'autant plus étonnante qu'il s'agit là d'un plagiat d'une thèse sur le droit d'auteur par un spécialiste de la propriété intellectuelle... Plus de détails sur le site de l'@mateur d'idées. Il est vrai qu'on ne demande pas forcément à un philosophe d'être sage, ni à un historien de l'art d'avoir bon goût... mais de là à enfreindre les règles qu'on enseigne, il y a des limites !